Système d'accord

De Arbres

Deux mots ou expressions s'accordent en traits grammaticaux (personne, genre, nombre) si elles ont la même valeur pour les traits en question.


Le système d'accord breton est intéressant car il montre un effet de complémentarité dans le système d'accord: les traits du sujet sont généralement réalisés morphologiquement soit sur le sujet lui-même, soit sur l'accord verbal, mais rarement sur les deux.

En (1), le sujet ar c'hezeg-ze est 3PL, et son verbe est 3SG. Dans la proposition coordonnée, le sujet est un pronom vide, non réalisé, et le verbe apparaît avec les traits 3PL.


(1) Ar c'hezeg-ze a zo hualet ha, daoust da ze, e c'haloupont.
le chevaux- R est.3SG entravé et malgré de ça R galopent.3PL
'Ces chevaux-là sont entravés et, malgré cela, ils galopent.' Le Bozec (1933:48)


La morphologie de la copule a zo en (1) est celle de l' accord gelé. Les traits du sujet pourraient varier sans que sa morphologie en soit modifiée.

La morphologie de galoupont en (1) est un accord riche, car sa morphologie révèle les traits du sujet.

L'accord en (1) est réalisé dans la syntaxe, c'est un accord syntaxique. Il existe aussi un autre type d'accord qui est l'accord sémantique, et qui peut donner des résultats divergents.


Morphologie

Les verbes bretons se conjuguent aux trois personnes (première, deuxième, troisième), au singulier comme au pluriel. Ils se conjuguent aussi avec une personne supplémentaire: l'impersonnel.


(1) Ne vennont ket krediñ e c’heller bout dishañval doc’hte.
ne veulent pas croire R peut.IMP être di.fférent de.eux
' Ils ne peuvent croire que quiquonque/on soit différent d’eux .' Vannetais, Herrieu (1994:249)


La morphologie verbale inclut aussi le temps, le mode et l'aspect.

Description du système d'accord

En breton, seul l'élément tensé, verbe lexical ou auxiliaire, est susceptible de porter l'accord en genre et en nombre avec le sujet. Ce n'est pas le cas dans toutes les langues indo-européennes. En portugais par exemple, les verbes infinitifs portent les traits de leur sujet. Dans certaines langues non-indo-européennes, il est courant de voir plusieurs éléments d'une même phrase porter les traits du sujet (par exemple en ibibio, en kilega ou en swahili, langues nigéro-congolaises).

La caractéristique saillante du système d'accord breton s'appelle l'effet de complémentarité. Il est décrit par de nombreux auteurs (Leclerc 1986:62, Fave 1998:83-86...). L'effet de complémentarité est révélé par le fait que les traits du sujet sont réalisés morphologiquement soit sur le sujet lui-même, soit sur l'accord verbal, mais pas sur les deux dans la même proposition. Ainsi en (2), les traits de seconde personne et du pluriel portés par le pronom sujet c'hwi ne sont pas portés dans la morphologie d'accord verbal, qui lui est égal à l'accord de troisième personne singulier.


(2) pan eo c'hwi a deu.
quand est vous R vient.3SG
'puisque c'est vous qui venez.' Tréguier, Leclerc (1986:137)


Pour une première approximation, il semble donc que la généralisation soit que les traits du sujet n'apparaissent qu'une seule fois dans la proposition. Cette généralisation est cependant fausse.

compléments du sujet antéposés

En (1), dans Bouzeg (1986:II), on trouve un exemple de comptine où le sujet préverbal pluriel tout précède un verbe 3PL dans une phrase positive. Il s'agit d'un accord riche classique, avec un pronom sujet incorporé sur le site de l'accord verbal. Le quantifieur tout est un quantifieur flottant. Il quantifie sur le pronom incorporé et a été antéposé en zone préverbale.


(1) Ur bern tud 'vo 'ba 'n eured, Toullig ha Moullig,
un tas gens sera dans le mariage Toullig et Moullig
Hag an Aotrou Bevar doullig, ha tout 'teuint da heul.
et le monsieur quatre trouDIM et tout viendront à suivre
'Un tas de gens viendront au mariage, Toullig et Moullig,
et monsieur de quatre trous, et tous viendront à la suite.' Riec, Bouzeg (1986:II)


En (2), le sujet est interprété est int o daou, 'eux deux'. La tête pronominale du groupe a été incorporée dans le complexe verbal, puis le complément du nom a été antéposé.


(2) O daou 'emaont memes oad.
leur deux sont même âge
'Les deux ont le même âge.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:15)


exceptions

Les seules exceptions réelles à la complémentarité entre un sujet réalisé et un accord verbal sont:

  • le verbe 'avoir', qui ne suit pas cette règle dans certains dialectes.
  • les groupes au vocatif, qui semblent invisibles pour l'accord.


(2) Tapet oc'h [ ma lapous ]3SG!
attrapé êtes mon oiseau
'T'es bien attrapé, mon coquin!' Le Scorff, Ar Borgn (2011:13)


Lorsque, tout à fait exceptionnellement, on trouve des sujets pronominaux postverbaux non-incorporés, ils déclenchent un accord pauvre comme le ferait un sujet lexical.


(3) Ar penneka dén eo c'hwi.
le têtu.le.plus homme est vous
'Le plus têtu c'est vous.' Léon, Seite (1975:90)


(4) Penoz vez te ar mab am boa ganet.
comment est toi le fils R.1SG avait né
'Comment es-tu le fils dont j'ai accouché?' Trégorrois (Plouguiel), Laurent (1971:48)


Quelques exceptions au système d'accord sont notées à travers les dialectes.

variation dialectale

sujets postverbaux de Saint Yvi

En cornouaillais, dans le breton de Saint Yvi, les sujets pronominaux postverbaux signalés par German (2007:174) co-existent avec l'accord verbal.

(1) Benn eo kouet barz.
quand est tombé eux dedans
'Quand ils sont tombés dedans.' Breton de Saint Yvi, German (2007:174)


(2) Benn eo maro .
quand est mort eux
'Quand ils moururent.' Breton de Saint Yvi, German (2007:174)

sujet prénégation

Il existe des variétés de breton dans lesquelles un sujet prénégation ne force pas l'accord. Cheveau (2007:214) en relève en vannetais, Stump (1984:293, n.2) en note des traces dans la grammaire de Trépos et on en trouve des exemples dans un entretien de Mona Bouzeg. Les limites dialectales géographiques entre ces deux variétés sont actuellement sous-documentées.


accord avec un sujet postverbal

Exceptionnellement, un accord erratique avec un sujet postverbal peut apparaître. En (1), il pourrait s'agir d'une faute de ponctuation (une virgule indiquerait une dislocation à droite prédisant un tel accord).


(1) Stank int [ ar re a rae kement ‘rall ]PL.
nombreux sont le ceux R faisait autant autre
'Nombreux sont ceux qui en faisaient autant.' Vannetais, Herrieu (1994:233)
?'Ils sont nombreux, ceux qui en faisaient autant'?

Analyses

Il existe une analyse répandue qui pose que le breton, de manière générale, refuse la redondance des marques. Dans cette hypothèse, un parallèle est développé entre le système d'accord verbal et le système du pluriel dans le groupe nominal: le verbe ne s'accorde pas avec son sujet, de la même manière que le nom ne prend pas de marque du pluriel lorsqu'il est précédé d'un cardinal (dek vloaz mais *dek bloazhioù).

Une règle "naïve" explique que le breton serait une langue plus économique que les autres, puisqu'elle éviterait de redire les traits du sujet dans la mesure ou ceux-ci seraient déjà énoncés. Une telle règle n'est pas satisfaisante, car elle ne pourrait pas expliquer pourquoi la complémentarité est restreinte au domaine de la proposition. En (1), ci-dessous, elle prédirait par exemple faussement que le verbe 'être' enchâssé pourrait apparaître sans les traits du sujet. Au contraire, il apparaît toujours une marque du sujet (pronominale ou d'accord) dans chaque proposition, indépendamment des besoins de l'interprétation.


(1) ... ne oa ket an doareoù, war-lerc'h ar brezel, ar pezh [ e oant dek vloaz a-raok ]...
ne était.3SG pas le manières après le guerre le N R étaient.3PL 10 an avant
'Les choses n'étaient pas, après la guerre, ce qu'elles étaient dix ans auparavant.'
Denez (1993:32)


La règle d'évitement de la redondance morphologique est trop puissante. En effet, elle ne prédit pas toutes les exceptions précitées. De plus, il est possible de manière générale en breton d'avoir plusieurs marques qui sont donc redondantes. En (2), le sujet vide pronominal 3PL a été incorporé dans le verbe, déclenchant l'accord riche 3PL. Le modificateur du sujet o-fevar, est non seulement un exemple de co-occurrence d'un cardinal et d'une marque du pluriel, mais il double les marques plurielles du sujet.


(2) A: - Ped a zo dit? B: - O-fevar int din.
combien R est à.toi 3PL-4 sont.3PL à.moi
'A: - Combien sont à/de toi? B: - Les quatre sont à/de moi.' Léon, Fave (1998:60)


accord gelé et intervenants pour l'accord

Jouitteau (2005/2010:chap 4), Jouitteau & Rezac (2006) et Jouitteau & Rezac (2008) proposent que lorsque le verbe apparaît avec une morphologie qui coïncide avec celle des traits 3SG, il s'accorde vraiment avec une entité 3SG. Cette entité 3SG est la projection verbale elle-même (VP étendu), celle qui contient le sujet. Dans cette hypothèse, c'est la localité qui dirige l'accord verbal: le verbe en breton s'accorde toujours avec l'élément le plus proche de lui, quel qu'il soit. Lorsque le sujet est un pronom incorporé, le verbe breton le "voit en premier" et s'accorde avec lui. Lorsque le sujet est contenu dans la structure verbale, l'élément le plus proche du verbe fléchi est la projection verbale marquée pour les traits 3SG. Le verbe s'accorde alors avec ces traits 3SG, qui n'ont pas de contenu sémantique.

Selon cette analyse, en (3), dans un dialecte où la morphologie 3SG est réalisée en -a, le verbe s'est accordé avec la structure verbale étendue FP, qui porte les traits interprétables pour l'accord de 3SG. Les traits du sujet, que celui-ci soit préverbal ou post-verbal, ne sont jamais l'élément le plus proche pour l'accord.


(3) Ar varikenn-mañ, a zalc'ha daou gant litrad.
Ar varikenn-mañ, a zalc'ha [FP [VP <ar varikenn-mañ> <dalc'h> daou gant litrad ]].
le barrique-ci R contient.3SG 2 cent litre
'Cette barrique-ci contient deux cents litres.'
Le Scorff, Ar Borgn (2011:27)


La présence de cet intervenant structural pour l'accord donne un effet d' accord gelé.

Cette analyse prédit correctement que la morphologie d'accord ne peut varier des traits de 3SG que :

- lorsqu'un sujet pronominal vient s'incorporer
- qu'une structure applicative amène un sujet nominal au-dessus de la projection FP (dans le cas du verbe kaout, 'avoir')
- qu'une opération syntaxique déclenche un effet de résomptivité (comme dans le cas de la négation, tête C déclenchant des "that-trace effect")


Jouitteau & Rezac (2009) explorent la viabilité de cette hypothèse au regard de la variation des paradigmes d'accord dans les variations dialectales du verbe kaout, 'avoir' à travers les dialectes du breton.

Horizons comparatifs

Pour un aperçu du système d'accord en vieux brittonique commun, se reporter à Le Roux (1957:57-59).

Bibliographie

description

  • Fave, V. 1986. 'Ar verb : displegadur gour ha dihour', Brud Nevez 97 : 66-68.
  • Leclerc, Louis. 1986 [1906, 1911], Grammaire Bretonne du dialecte de Tréguier, 3ième édition, Ar Skol Vrezhoneg, Emgleo Breiz (précédentes Saint-Brieuc: Prud'homme).

étude théorique

  • Anderson, S. 1982. 'Where’s morphology?', Linguistic Inquiry, 13:571-612. Preview
  • Jouitteau, M. & M. Rezac, 2008. ‘From mihi est to have across Breton dialects’, Paola Benincà, Federico Damonte and Nicoletta Penello (éds.), Proceedings of the 34th Incontro di Grammatica Generativa, Unipress, Padova, special issue of the Rivista di Grammatica Generativa, vol. 32., 161 - 178., texte en ligne.
  • Jouitteau, M. 2005b. ‘Nominal Properties of vPs in Breton, A hypothesis for the typology of VSO languages’, Verb First: On the Syntax of Verb Initial Languages, Carnie, Andrew, Heidi Harley and Sheila Ann Dooley (eds.), xiv, 434 pp. (pp. 265–280) Amsterdam/Philadelphia: John Benjamins Publishing Company. Preview, Description and reviews
  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici
  • Stump, G. T. 1989.b. 'Further remarks on Breton agreement: A reply to Borsley and Stephens', Natural Language and Linguistic Theory, 7:429-471.
  • Stump, G. T. 1984. 'Agreement vs. incorporation in Breton', Natural Language and Linguistic Theory, 2:289-348.


horizons comparatifs

  • Bismark, Christina. 2011. Shared alternatives to subject-verb agreement: the third singular verb and its uses in English and Brittonic, thèse, pdf.