Suffixe verbal de l'infinitif

De Arbres

Le Gléau (1973:§44) propose de distinguer trois sortes de morphologies infinitives:

1) les infinitifs "à désinence expressive", comme en -eta.

2) les infinitifs radicaux sans désinence

 "usuels dans tous les parlers, on les emploie surtout lorsque la valeur nominale domine: élément d'un nom composé; élément 
 de la conjugaison périphrastique; infinitif après préposition; infinitif après préfixe."

3) les infinitifs à désinence quelconque

 "Dans ce dernier cas, la désinence -iñ est toujours correcte et particulièrement fréquente en dialecte vannetais."


Suffixes à contenu sémantique

  • le suffixe -a, qui s'affixe sur des noms et donne sur pluriel les finales en -eta et -aoua et sur diminutif la finale en ika.


Le contenu sémantique peut aussi se trouver dans la possibilité d'alternance entre deux suffixes verbaux.

Selon Vallée (1980:XXIII), qui n'en fournit pas d'exemple, les verbes qui ont alternativement une finale en -a et une finale en -i attachent la première à un sens actif, et la seconde à un sens "neutre".


Suffixes divers

Ces suffixes infinitivaux marquent principalement la catégorie syntaxique verbale de son hôte.

On peut lister les suffixes -al, -añ, -ek, -el, -en, -ezh, et -i/-iñ.


-o

Il en existe cependant d'autres, très répandus, comme le suffixe -o en haut-cornouaillais (Naoned 1952:60 pour Scaër/Guiscriff, qui considère que c'est le suffixe le plus répandu).


(1) Just 'oa bet din kouezho.
juste était été à.moi tomber
'J'ai failli tomber'.' Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:25)


(2) Den ne faotfe dehoñ e(w)o ha bleniañ 'sames.
homme ne1 faudrait à.lui boire et conduire ensemble
'On/personne ne devrait pas boire et conduire en même temps.' Scaër/Bannalec, H. Gaudart (04/2016)


(3) Kleo 'rit nan mennek 'tigoueho.
entendre R faites un quelconque à4 arriver.
'Vous entendez quelqu'un arriver.' Scaër/Bannalec, H. Gaudart (04/2016)


variations dialectales

L'ALBB documente la variation dialectale de différentes terminaisons infinitives. Les différentes formes des suffixes de l'infinitif sont détaillées dans Ernault (1899).


(2) carte 032: traduction de 'vivre' carte 158: traduction de '(se) marier'
carte 161: traduction de 'descendre' carte 162: traduction de 'dépenser'
carte 166: traduction de 'devoir (de l'argent)' carte 167: traduction de 'abattre (l'arbre)'
carte 170: traduction de 'montrer' carte 188: traduction de 'boire'
carte 204: traduction de 'pouvoir' carte 207: traduction de 'appeler'
carte 234: traduction de 'savoir' carte 260: traduction de 'hennir'
carte 271: traduction de 'faire' carte 275: traduction de 'pleurer'
carte 276: traduction de 'attendre' carte 280: traduction de 'lutter'
carte 286: traduction de 'laver' carte 303: traduction de 'dés/habiller'
carte 308: traduction de 'aboyer' carte 311: traduction de 'secouer'
carte 321: traduction de 'suivre' carte 336: traduction de 'suer'
carte 339: traduction de 'siffler' carte 340: traduction de 'mâcher'
carte 340: traduction de 'chasser' carte 360: traduction de 'trouver / avoir'
carte 379: traduction de 'marcher' carte 400: traduction de 'tomber'
carte 408: traduction de 'parler, causer' carte 417: traduction de 'mordre'
carte 422: traduction de 'tuer' carte 425: traduction de 'ôter'
carte 429: traduction de 'lâcher' carte 437: traduction de 'briller, luire'
carte 474: traduction de 'aller'


Les cartes 493, traduction de 'voler (d'un oiseau)' et 513, traduction de 'pêcher (sens religieux)' concernent uniquement le vannetais.


A ne pas confondre

-o optatif

Dans tous les dialectes, le verbe a une désinence en -o après la particule optative anciennement do que l'on trouve encore en breton moderne dans quelques expressions gelées (Doue d'ho pennigo, Loth 1888c). Il ne s'agit pas d'un infinitif mais du suffixe -o du futur 3SG associé à cette particule optative.

-et

On peut signaler, à cause des risques de confusion avec le suffixe -et du participe passé, la désinence en -et qui existe sur certains verbes infinitifs.

La carte 234 de l'ALBB pour le verbe 'savoir' et la carte 188 pour le verbe 'boire' suggèrent que les formes infinitives en -et sont de type vannetais.


(2) Nitra e oé ou kuelet én devalen.
rien R était les voir.INF dans.le colline
'It was nothing to see them going downhill.' Vannetais, Guilloux (1992:45)


On en trouve cependant des exemples hors du vannetais.


(3) Soñj 'm-eus kleved ma zud o lared...
pensée R.1SG-a entendre mon parents à dire
'Je me rappelle entendre mes parents dire....' Uhelgoat, Skragn (2002:56)


diachronie

Le Glossaire du Chevalier Arnold von Harff en 1499, offre quelques phrases de vannetais médiéval récoltées à Nantes où on relève des formes de suffixation verbale infinitive en -it (dribit 'manger', hisit 'boire') et en -et (gorwet, 'dormir').

L'abbé Jean Marion, à propos de l'orthographe du haut-vannetais, dit devoir utiliser des accents pour distinguer cousquèt de l'infinitif de cousquét du participe, et cousquet de l'impératif (Le Goff 1908:19, cité dans Châtelier 2016:30).


suffixe infinitif par défaut

Selon Goyat (2012:268), tous les infinitifs ayant la désinence nasale /-ã/ dans le Trégor se terminent à Plozévet par /-a/.

 Le Brigant (1779:29): 
 "Les Infinitifs en an & au in en Tréguier se prononcent en Léon en a & en i en Cornouailles ou en Quimper en o & en Vannes ein [...] & en eign. 
 Exemple : canan & meulin en Tréguier 'chanter & louer' 
 en Léon cana & meule 
 en Quimper cano & meulo 
 & dans le diocèse de Vannes canein & meuleìn, caneign & meuleign.


diachronie

Le suffixe celtique insulaire *‑mā précédé de différentes voyelles a donné différents suffixes de noms verbaux ou d'infinitifs.


(1) suffixe celtique insulaire > nom verbal
*‑ī‑mā > breton ‑in moyen cornique ‑y, ‑i gallois ‑i,
*‑ā‑mā > vieux cornique ‑e gallois ‑aw
*‑ă‑mā > breton ‑aff, ‑an
*‑ū‑mā > gallois ‑u
*‑o‑mā > vieux breton ‑om
breton -o Irslinger (2014:84)


Le suffixe celtique insulaire *‑mā peut être reconstruit comme féminin (sur la base de ses mots apparentés en vieil irlandais). En gallois, breton et cornique modernes cependant, les suffixes productifs pour former les noms verbaux ou les infinitifs sont masculins (Irslinger 2014:84).


Morphème vide

L'hypothèse est qu'il existe un morphème zéro, c'est-à-dire un morphème qui est présent syntaxiquement mais qui n'est pas prononcé. On peut étudier et caractériser les environnements syntaxiques où il apparaît, et la distribution dialectale de son alternance avec des morphèmes réalisés.


-out/

En (1), la désinence verbale standard du verbe 'regarder' serait réalisée -out (sellout).


(1) sell deus 'nan bennak bac'h ha bac'h
regarder à un quelconque fermé? et fermé?
'regarder quelqu'un bouche bée.' Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:II)


(2) Klev anezhi o lar m'eus graet vat, o ya.
entendre P.elle à4 dire 1SG'a fait cependant oh oui
'Mais je l'ai entendue raconter, ça oui.' Le Juch, Hor Yezh (1983:13)


-iñ, -al/

En (2), la désinence verbale standard du verbe '(se) noyer' serait réalisée -iñ (beuziñ) et la désinence verbale standard du verbe 'nager' serait réalisée -al (neuial).


(2) Etre veui ha neui ema.
entre noyer et nager est
litt. 'Il est entre noyer et nager.' > 'Il est entre la vie et la mort.'
Le Berre & Le Dû (1999:80)


(3) [ Setu unan, ] ar gwad é tiver a-zoc'htoñ.
voici un le sang à couler de.lui
'En voici un qui saigne.' Vannetais, Herrieu (1994:92)

distribution et variation dialectale

Le suffixe de l'infinitif peut avoir disparu complètement dans certaines variétés. Selon Trépos (1957:33), certains infinitifs au sud-ouest de Quimper n'ont ainsi pas du tout la possibilité de recevoir de suffixe réalisé.


(4) /be/ beza 'être'
/ɡul/ goulenn 'demander'
/ɡɥɛl/ gweled 'voir'
/klew/ klevud 'entendre'
/lak/ lakad 'mettre'
/la:r/ lared 'dire'
/sɛl/ selled 'regarder'
/sõ:n/ son, seni 'sonner, jouer de la musique' Trépos (1957:33), Goyat (2012:268)


  • Rankon ked lar ar pedennou, petramant be rankon lar ?
'Je ne dois pas dire les prières, ou bien faut-il que je les dise?', Goyat (2012:344)


Un autre paramètre est à prendre en considération. Le morphème vide de l'infinitif verbal peut ne pas être licite dans tous les environnements syntaxiques. On trouve en particulier régulièrement des formes abrégées sans suffixe de l'infinitif dans la forme de conjugaison analytique en ober.


(5) Sant' rit 'n douar ' kreno.
sentir faites le terre à4 trembler
'Vous sentez la terre qui tremble.' Scaër/Bannalec, H. Gaudart (04/2016)


Madeg (2013:14) signale comme une faute de néo-brittophones l'usage du verbe infinitif lavaret a ra sous la forme avec désinence élidée lavar a ra. Cependant, il n'est pas vrai que l'ordre de mots lavar a ra est agrammatical partout. Dans l'exemple de Trépos en (6), il est aussi possible que le focus contrastif joue un rôle.


(6) Lavar a ra, ober ne ra ket.
dire R fait faire ne fait pas
litt. 'Dire il fait, faire il ne fait pas.'> 'Il dit, il ne fait pas.' Trépos (2001:351) voir aussi , Goyat (2012:300)


  • Med lar a rankoñ geriou galleg deo touez...
'Mais il me faut aussi employer des mots français.', Goyat (2012:344)
  • Gall a ra etre 30.000 ha 40.000 den bezañ taolet maez eus o lojeiz,
'Entre 30.000 et 40.000 personnes peuvent être expulsées de chez elles.', radio FBBI 04/2016
  • Gall a ran mont d'ober titich ?, 'Est-ce que je peux aller aux toilettes ?'
Gall a ran echuiñ un dresadenn ?, 'Est-ce que je peux terminer un dessin ?'
phrases d'exemples du breton utilisé en maternelle, école de Plouha 2017.
  • Ha gall' a ran implij ur film er skol?
'Puis-je utiliser un film à l'école?', site Breizh Vod, 02/2017

Bibliographie

breton

Loth, J. 1888c. 'Do (de, da) particule verbale en breton armoricain', Henri d'Arbois de Jubainville (dir.), Revue Celtique IX, 357, texte.


horizons comparatifs

  • Schumacher, Stefan. 2000. The historical morphology of the Welsh verbal noun, (Maynooth Studies in Celtic Linguistics IV) Maynooth: Department of Old Irish, National University of Ireland.