Différences entre les versions de « Structures clivées »

De Arbres
Ligne 109 : Ligne 109 :
| (1)c. || Ha ind e huilas ||uenan i naan ir mour|| ha '''oé''' ur siren '''e oé'''.  
| (1)c. || Ha ind e huilas ||uenan i naan ir mour|| ha '''oé''' ur siren '''e oé'''.  
|-
|-
|  || [[&|et]] [[pfi|eux]] [[R]]<sup>[[1]]</sup> [[gwelout|vit]]|| [[unan|un]] [[particule o|à]] nager [[P.e|dans]].[[art|le]] mer ||[[C.ha(g)|que]] [[COP|était]] [[art|un]] sirène [[R]] [[COP|était]]
|  || [[&|et]] [[pfi|eux]] [[R]]<sup>[[1]]</sup> [[gwelout|vit]]|| [[unan|un]] [[particule o|à]]<sup>[[4]]</sup> [[neuial|nager]] [[P.e|dans]].[[art|le]] mer ||[[C.ha(g)|que]] [[COP|était]] [[art|un]] sirène [[R]] [[COP|était]]
|-
|-
|  ||colspan="4" | 'Ils virent quelqu'un nager dans la mer, et c'était une sirène (que c'était).'  ||||''Vannetais'', [[An Diberder (2000)|An Diberder (2000]]:97)
|  ||colspan="4" | 'Ils virent quelqu'un nager dans la mer, et c'était une sirène (que c'était).'  ||||''Vannetais'', [[An Diberder (2000)|An Diberder (2000]]:97)

Version du 12 septembre 2019 à 12:07

Les structures clivées sont des phrases complexes comme en (1) qui articulent deux propositions dont le contenu sémantique serait exprimable en une seule, avec les mêmes conditions de vérité. L'effet obtenu est une focalisation.


(1) TANGI eo a gar Agar.
Tangi est (pro) R1 aime Agar
'TANGI aime Agar, C'est Tangi qui aime Agar.' Standard


Cette phrase est entièrement équivalente à la proposition simple TANGI a gar Agar tant que l'intonation de focus y est bien réalisée. Les structures clivées sont très usitées en breton, avec des clivées simples ou récursives, faisant ou non usage des tournures en an hini comme en (2). Pour une analyse des clivées en breton, se reporter à Timm (1987b).


(2) [ Zé o ]
Se an hini eo.
ça le celui est (pro)
'C'est ça.' Goëlo et Standard, Koadig (2010:101)


Clivées simples

Les clivées simples se composent du constituant de la phrase qui est focalisé, suivi d'une copule, puis, plausiblement, d'un pronom vide pro qui est la tête de la relative.


(1) A-hont eo ema e vag.
là-bas est (pro) se.trouve son1 bateau
'C'est là-bas que se trouve son bateau.' Trégorrois, Gros (1984:140)


accentuation

 Gros (1984:125):
 "Eo (c'est, ce sont) marquant l'emphase, se place toujours après le mot (quel qu'il soit) ou le membre de phrase sur lequel on veut attirer l'attention. C'est ce mot ou ce membre de phrase qui porte l'accent tonique principal."
 Gros (1984:140):
 "C'est le mot mis en relief par eo ou an hini qui porte l'accent tonique principal, quel que soit ce mot."


arguments de clivées

On peut cliver en breton beaucoup plus de types d'éléments qu'en français. On trouve par exemple des syntagmes verbaux (VP) en clivées, ou même des phrases entières.


(2) [ marsə dawzɛ̃k milin ]
marse 'oa daouzek milion 'oa.
peut-être R était 12 million R était
'...peut-être que c'était douze millions (- que c'était).'
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:53)


(3) N'eo ket e vijent pounner, ne sikouront ket eo.
ne1'est pas R4 seraient lourd ne1 secourent pas est
'Ce n'est pas qu'ils soient lourds, mais ils ne nous aident pas.'
Léon, Kervella (2009:107)

Clivées complexes

clivées récursives

Les clivées récursives sont à l'origine des bretonnismes tels que C'est tricher que c'est!, Un homme bon que c'était.. Il s'agit d'une enchâssée composée uniquement d'une copule identificationnelle.


(1)a Derc'hel a rae da lâret, mes lard n'eo ket kig eo.
continuer R faisait de dire mais lard ne'est pas viande est
'Il continuait à dire, mais le lard/le dire n'est pas viande (il y a loin du dire au faire; lâret = lar't).'
Le Scorff, Ar Borgn (2011:36)


(1)b Ar re-ze n'eo ket tud int, ar re-ze a zo loened.
le ceux- ne est pas gens sont le ceux- R est animaux
'Ceux-là ne sont pas des hommes, ce sont des brutes.'
Trégorrois, Gros (1970b:'loen').


(1)c. Ha ind e huilas uenan i naan ir mour ha ur siren e oé.
et eux R1 vit un à4 nager dans.le mer que était un sirène R était
'Ils virent quelqu'un nager dans la mer, et c'était une sirène (que c'était).' Vannetais, An Diberder (2000:97)


Les clivées récursives focalisent aussi bien les syntagmes nominaux que verbaux. En (2) et (3), le VP a été antéposé en zone focale dans une clivée au négatif, puis cette clivée négative a elle-même été clivée.


(2) N' eo ket [ [VP divezvi ]i eo ] a reen _ i.
ne est pas dessoûler est R faisais
'C'est pas dessoûler que je faisais (je ne dessoûlais pas, au contraire!).'
(litt: 'C'est pas dessaouler que c'est que je faisais')
Trégorrois, Gros (1984:xx)


(3) A-dra-zur [n'eo ket [VP braoaad ar horn-bro ]i eo ] a zo bet greet _ i
à-chose-sur ne est pas embellir le 5coin-pays est R est été fait (embellir le coin-pays)
'Pour sur, ça n'a pas embelli le coin.'
(litt: c'est pas embellir le coin que c'est qui a été fait')
Léon (Cléder), Seite (1998:135)


En (4), c'est le DP sujet d'un verbe passif, un ene, mat pe fall, qui est clivé. L'ensemble de la phrase est introduit par un mot interrogatif.


(4) Daoust ha n'eo ket evel [DP un ene, mat pe fall ]i, eo a zo bet roet _i d'al louzaouenn?
est-ce que ne est pas comme un âme bon ou mauvais est R est été donné à.le plante
'N'est-ce pas comme une âme, bonne ou mauvaise, qui a été donnée aux plantes?'
Standard, Kervella (1993:87)


Les clivées récursives ne sont pas restreintes à la répétition d'un même verbe. En (5), il s'agit de deux formes différentes du verbe 'être', emañ et eo.


(5) N'ema ket e-kreiz an avel-suill eo!
ne est pas au-milieu le vent brûlant est
'Il n'est pas au milieu du vent brûlant (il est à l'abri).' Trégorrois, Gros (1984:162)


La lecture peut être nettement contrastive par rapport à une entité saillante présente dans la phrase. En (6), l'entité contrastée a juste été introduite antérieurement dans le texte (il s'agit de rats qui tombent sur le locuteur).


(6) ...hag e tihunan en un taol, é soñjal ema un obus bennak eo.
et R réveille dans un coup à penser est un obus quelconque est
'...et je me réveille brusquement, en pensant que c'est quelque obus.'
Vannetais, Herrieu (1994:223)

clivées en an hini

XP eo an hini eo

(3) [PredP skañv ] end-eeun eo an hini e oa evit kouezhañ warne.
léger effectivement est le celui R était pour tomber sur.eux
'Il était effectivement leste pour leur tomber dessus.', Standard, Ar Barzhig (1976:19)


(4) [PredP Ur baganez ] eo an hini e oa kentoc'h, stag ma oa ouzh brizhkredennoù...
un païenne est le celui R était plutôt attaché que était à superstitions
'C'était plutôt une païenne, attachée qu'elle était à des superstitions.'
Trégorrois (Kaouenneg)/Standard, ar Barzhig (1976:38)

XP eo an hini

(4) [PredP d'ar mare-se ] eo an hini ez ae ar maouezed d'e laerezh.
à1'le moment-ci est le celui R4 allait le femmes à1 le1 voler
'C'est à ce moment là que les femmes allaient le voler.', Standard, Ar Barzhig (1976:27)


XP an hini

(1) Ramp 'n hini a oa ar bizin.
glissant le celui (est) (pro) R était le goémon
'C'est (surtout) que le goémon était glissant.' Trégorrois, Gros (1984:117)


(2) Dezo 'n hini vo ar gwasañ.
à.eux le celui (est) (pro) (R) sera le pire
'C'est à eux que ce sera le pire.' Trégorrois, Gros (1984:120)
'(Ce sont eux qui en pâtiront le plus)'


(3) an hini a rede war-lerc’h ur plac’h yaouank dianav.
lui le celui R courait après un fille jeune in.connu
'C'est lui qui courait après une jeune fille inconnue.' Standard, Drezen (1990:45)


XP an hini eo

(2) Ul lazh an hani eo al labour-se.
un meurtre le celui est le travail-
'Ce travail-là est tuant, c'est un crève-bonhomme.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:50)


(3) Kement-se n'eo ket debriñ mes krignat an hani eo.
autant- ne'est pas manger mais grignoter le celui est
'Cela n'est pas manger mais grignoter.'
Le Scorff, Ar Borgn (2011:57)


X an hini vs. * X eo

Finalement, une tête verbale peut aussi être clivée dans les structures en an hini, comme noté dans Trépos (2001:§438). Press (1986:189) pointe le contraste avec les clivées en eo, qui sont agrammaticales avec une tête verbale antéposée. Il ajoute que la donnée grammaticale Gwelout 'ni 'ra Yann e vignonez "peut être considérée comme non-standard".


(3) Gwelout 'ni / * eo ra Yann e vignonez.
voir fait Yann son1 amie
'Yann VOIT son amie.'
'Yann actually sees his girlfriend' Anglais, Press (1986:189)


grammaticalisation en particule de focus

Puisque l'impact de la structure clivée sur la structure informationnelle est un focus, on peut se demander si la forme réduite ni, suivie ou non de la copule, ne grammaticalise pas parfois en une particule enclitique de focus.


(2) ['ʃãn ni ɛ nøz ˌlarɛd ãn 'draˌhe]
Chann (an hi-?) ni eo ’neus laret an dra-se Equivalent standardisé
Jeanne (le ?) ni est a dit le chose-ci
'C'est Jeanne qui a dit cela.' Plozévet, Goyat (2012:232)


Certains dialectes fournissent des arguments morphologiques pour une telle hypothèse. A Plozévet, par exemple, la réalisation de hini est /hwɛ/ en isolation, /ˌɛ/ après un article défini, /'hwi/ lorsque suivi d'un pronom écho, ou bien encore /'ɥi/ et /'wɛ/ en alternance libre après pep. L'élément ni qui apparaît dans les structures de focalisation préverbale est donc morphologiquement distinct de toutes les autres formes de hini.


(3) /'me ni ɛ/

moi ni est
'C'est moi.', Plozévet, Goyat (2012:232)

clivées déontiques

Parfois, le sens de la clivée est clairement déontique (il faut.. il ne faut pas...). Il s'agit sans doute d'une ellipse.


(4) N'eo ket chom amañ eo da ouroulat.
ne1'est pas rester ici est pour1 bavarder
'Ce n'est pas rester à bavarder [que c'est (qu'il faut faire)]' Léon, Kervella (2009:207)

Variation dialectale

emañ... eo... en vannetais

En vannetais, la copule peut être réalisée sous la forme emañ. En (1), Herrieu utilise la première copule sous cette forme, puis la seconde sous la forme eo.


(1) Ar pezh a zo evidomp ema an anoued eo: na yen eo!
le ce.que R y.a pour.nous est le froid est que froid est
'Ce qu'il y a pour nous, c'est un coup de froid: qu'il fait froid!' Vannetais, Herrieu (1994:15)


L'argument de la clivée peut être lui-même la tête d'une relative.


(2) Pa hoc’h eus drougoù ema [ an toemmder eo kentoc’h [ hoc’h aesa evit m’ema an dour yen ]].
quand 2PL a maux est le chal.eur est plutôt vous guérit que que'est le eau froid
'Quand vous avez des douleurs, c’est la chaleur qui vous guérit plutôt que l’eau froide.'
Haut-vannetais (JMh), Louis (2015:233)

Structure informationnelle

Les clivées ont un effet focalisant sur leur argument, dans le sens où un élément est considéré comme mis en valeur par rapport à d'autres référents (C'est JOJO qui a pris les clefs (pas Mylène)). Cela ne veut pas dire qu'il y a une emphase dès qu'une clivée est utilisée.

Noyer (2019:244) note par exemple en breton de Briec que des structures en an hini eo peuvent ne pas marquer d'emphase.


(1) CONTEXTE: donnant le téléphone à quelqu'un:
[ˈpjea ni e] Cornouaille (Briec), Noyer (2019:244)
Pierre an hini eo.
Pierre le celui est
'C'est Pierre.'


La modification par une relative fait partie des contextes où l'emphase n'est pas sensible.


(2) [ɐ ˈplɑ᷉ tənsə nie, nøs lak a ʃas də ve klɑ᷉ ]
Ar plantenn-se an hini eo, (e) neus lakaet ar chas da vez klañv.
le plante-ci le celui est (R) a mis le chiens à1 être malade
'C'est cette plante qui a rendu les chiens malades.' Cornouaille (Briec), Noyer (2019:244)

Horizons comparatifs

En français de Basse-Bretagne, les clivées en que c'est / que c'était sont très répandues. On peut cliver des éléments impossibles à cliver en français standard, comme une phrase entière, imposant alors un focus sur son entier, ou un adjectif:


Vous êtes allée à votre voiture que c’est!
(Brest, infirmière hôpital Morvan, [10/01/2014])
Aujourd'hui, il passe par Brest, que c'est, et moi, je veux encourager mon favori.
(Brest, Péron 2001:84)
Joli que c'était, à ouar et à entend', qu'on aurait dit une vraie ritraite aux flambeaux., :::: (Brest, Péron 2001:62)

Structure informationnelle

Les clivées sont indissociables d'un effet de focus, mais le type particulier de ce focus serait à analyser. En grec chypriote, par exemple, les clivées imposent un focus identificationel qui prédit la possibilité des quantifieurs compatibles avec ce focus (Kanikli 2016).

Terminologie

Le terme anglais pour clivée est cleft.

Bibliographie

breton


langues en contact

  • Kuyumcuyan, Annie (éd.). 2018. Autour des pseudos-clivées, Scolia 32. texte.


horizons théoriques

  • Declerk, R. 1994. 'The taxonomy and interpretation of clefts and pseudoclefts', Lingua 9 (1):183–220.
  • Dikken, Marcel den. 2005. 'Specificational Copular Sentences and Pseudoclefts', Martin Everaert And Henk Van Riemsdijk (éds.), The Blackwell companion to Syntax, Blackwell Publishing, vol IV, chap.61.
  • Heycock, C. 2012. 'Specification, equation, and agreement in copular sentences', The Canadian Journal of Linguistics/La revue canadienne de linguistique 57(2), 209-240.
  • Higgins, F. R. 1973. The Pseudo-cleft Construction In English, Ph.D. thesis, Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, MA.
  • Kanikli, Antri. 2016. 'The distribution of quantifiers in clefts', Lingua 171:24-36.
  • Karssenberg, Lena, Karen Lahousse, Béatrice Lamiroy, Stefania Marzo & Ana Drobnjakovic. 2019. 'Non-prototypical clefts: Formal, semantic and information-structural properties', Non-prototypical clefts, Belgian Journal of Linguistics 32:1, John Benjamins, 1-20.
  • Wirth, J. 1978. 'The derivation of cleft sentences in English', Glossa 12(1 ):58-82.