Différences entre les versions de « Standard, standardisation »

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Jones (1995:428) considère que le breton parlé par les néo-locuteurs est "fréquemment inintelligible pour beaucoup des locuteurs natifs de communautés principalement rurales". Jones (1998) utilise le terme de "xénolecte", considérant que la langue standard caractéristique du système scolaire du XX° est une forme linguistique qui, si elle est parlée de façon native, l'est par des natifs éduqués par des enseignants eux-même non-natifs, et a changé tellement radicalement qu'elle est devenue fondamentalement étrangère aux [[variétés dialectales]] parlées traditionnellement, et devrait être considérée une langue à part. Ce terme de xénolecte essaie de cerner un état de changement qui ne va pas jusqu'à la créolisation ([[Timm (2005)|Timm 2005]]).
Jones (1995:428) considère que le breton parlé par les néo-locuteurs est "fréquemment inintelligible pour beaucoup des locuteurs natifs de communautés principalement rurales". Jones (1998) utilise le terme de "xénolecte", considérant que la langue standard caractéristique du système scolaire du XX° est une forme linguistique qui, si elle est parlée de façon native, l'est par des natifs éduqués par des enseignants eux-même non-natifs, et a changé tellement radicalement qu'elle est devenue fondamentalement étrangère aux [[variétés dialectales]] parlées traditionnellement, et devrait être considérée une langue à part. Ce terme de xénolecte essaie de cerner un état de changement qui ne va pas jusqu'à la créolisation ([[Timm (2005)|Timm 2005]]).
===== éléments non-linguistiques =====


Plusieurs phénomènes doivent être considérés pour relativiser cette hypothèse. Tout d'abord, il est indéniable que pour différentes raisons sociologiques intriquées, la notion de déviance linguistique est émotionnellement chargée chez les locuteurs d'une langue mis en minorité ([[Hornsby (2014)|Hornsby (2014]]:116). Il faut aussi peser le fait que dans l'Etat français, la prétention de non-compréhension du breton sous toutes ses formes (totale, dialectale, néo) est culturellement récompensée, que celle-ci soit réelle ou prétendue. Il appartient aux linguistes de mettre ces raisons extra-linguistiques de côté pour pouvoir peser la variation linguistique réelle de la langue.  
Plusieurs phénomènes doivent être considérés pour relativiser cette hypothèse. Tout d'abord, il est indéniable que pour différentes raisons sociologiques intriquées, la notion de déviance linguistique est émotionnellement chargée chez les locuteurs d'une langue mis en minorité ([[Hornsby (2014)|Hornsby (2014]]:116). Il faut aussi peser le fait que dans l'Etat français, la prétention de non-compréhension du breton sous toutes ses formes (totale, dialectale, néo) est culturellement récompensée, que celle-ci soit réelle ou prétendue. Il appartient aux linguistes de mettre ces raisons extra-linguistiques de côté pour pouvoir peser la variation linguistique réelle de la langue.  


Les locuteurs traditionnels, et surtout ceux qui n'ont pas accès à l'écrit, par manque d'input, ont souvent une mauvaise connaissance de la variation dialectale en breton. Ils tendent donc à comparer uniquement leur propre variété avec une variété standard, avec l'idée que toute variation est une faute et une dégradation. Cependant, certaines distances rapportées entre le breton standard et une forme traditionnelle particulière peuvent être le fait d'une variation dialectale. Un locuteur traditionnel critiquant le breton parlé standard mentionne ainsi dans [[Hornsby (2014)]] que les enfants scolarisés à Diwan ont parfois une [[accentuation]] sur la dernière syllabe, marquant une différence profonde avec l'[[accent]] KLT sur la pénultième. Cependant, l'accentuation finale est la marque du français, mais aussi la marque traditionnelle d'un autre dialecte breton, le dialecte [[vannetais]], et ce depuis au moins le XV° siècle.
Les locuteurs traditionnels, et surtout ceux qui n'ont pas accès à l'écrit, par manque d'input, ont souvent une mauvaise connaissance de la variation dialectale en breton. Ils tendent donc à comparer uniquement leur propre variété avec une variété standard, avec l'idée que toute variation est une faute et une dégradation. Cependant, certaines distances rapportées entre le breton standard et une forme traditionnelle particulière peuvent être le fait d'une variation dialectale. Un locuteur traditionnel critiquant le breton parlé standard mentionne ainsi dans [[Hornsby (2014)]] que les enfants scolarisés à Diwan ont parfois une [[accentuation]] sur la dernière syllabe, marquant une différence profonde avec l'[[accent]] KLT sur la pénultième. Cependant, l'accentuation finale est la marque du français, mais aussi la marque traditionnelle d'un autre dialecte breton, le dialecte [[vannetais]], et ce depuis au moins le XV° siècle.
===== arguments linguistiques =====
Certains traits dialectaux sont uniques, et marquent une différence nette avec le standard ou les autres variétés dialectales.
[[German (2007)]] relève dans la syntaxe du breton de Saint Yvi des formes nouvelles comme la création de tout un paradigme de pronoms sujets faibles, qui n'ont pas besoin d'être [[focalisés]], et qui pourtant peuvent apparaître dans le [[champ du milieu]] sans que le verbe tensé ne déclenche avec d'[[accord]].
On pense aussi à la possibilité d'[[accord]] avec un sujet postverbal à Plougerneau.




==== hypothèses d'une distance mesurée du standard ====
==== hypothèses d'une distance mesurée du standard ====


Selon [[Hornsby (2014)]], si les différences accentuelles ou lexicales sont mentionnées massivement lors d'interviews des locuteurs sur les caractérisations de la langue standard ou néo, rares sont les observations faites sur l'ordre des mots ou sur des règles de grammaire. Il cite une note de [[Davalan (2000)]] sur les ordres [[V3]] qui sont par ailleurs largement documentés dans les formes traditionnelles de la langue.
Selon [[Hornsby (2014)]], si les différences accentuelles ou lexicales sont mentionnées massivement lors d'interviews des locuteurs sur les caractérisations de la langue standard ou néo, rares sont les observations faites sur l'ordre des mots ou sur des règles de grammaire. Il cite uniquement une note de [[Davalan (2000)]] sur l'existence d'ordres [[V3]], ordres de mots qui sont par ailleurs largement documentés dans les variétés traditionnelles de la langue. Cependant, il est possible que les différences gramamticales soient moins aisément synthétisables et reportables par les locuteurs qu'un élément de lexique marquant, ou un accent particulier.


[[Kennard & Lahiri (2017)]] ont étudié sur plusieurs générations de locuteurs la distribution et la réalisation acoustique de la [[mutation mixte]] après la particule ''[[particule o|o]]''<sup>[[4]]</sup> [[progressive]]. Ils n'ont pas noté de différence entre les jeunes adultes et les plus vieilles générations. Seuls les enfants interviewés lors de leur scolarisation dans le primaire différaient, avec une normalisation des productions si ils ont un input suffisant dans la langue dans la prime adolescence.
[[Kennard & Lahiri (2017)]] ont étudié sur plusieurs générations de locuteurs la distribution et la réalisation acoustique de la [[mutation mixte]] après la particule ''[[particule o|o]]''<sup>[[4]]</sup> [[progressive]]. Ils n'ont pas noté de différence entre les jeunes adultes et les plus vieilles générations. Seuls les enfants interviewés lors de leur scolarisation dans le primaire différaient, avec une normalisation des productions si ils ont un input suffisant dans la langue dans la prime adolescence.
[[German (2007)]] relève dans la syntaxe du breton de Saint Yvi des formes qui ne sont jamais répercutées en standard comme la création de tout un paradigme de pronoms sujets faibles, qui n'ont pas besoin d'être [[focalisés]], et qui pourtant peuvent apparaître dans le [[champ du milieu]] sans que le verbe tensé ne déclenche avec d'[[accord]].


== Références ==
== Références ==

Version du 5 février 2017 à 22:24

La standardisation de la langue est le processus d'unification de différentes variétés dialectales d'une langue donnée.


Linguistique normative vs. descriptive

La linguistique normative et la linguistique descriptive n'ont pas la même attitude vis-à-vis de la standardisation. La linguistique normative est en charge des politiques linguistiques, et peut éventuellement proposer des règles de standardisation informées des variations dialectales. C'est par exemple la linguistique menée par l'Office Public de la Langue Bretonne. La linguistique descriptive, elle, se cantonne à une attitude scientifique d'observation, de documentation et d'analyse sans influer sur les faits. C'est l'objet de ce site.


Le breton standard (et ses variétés)

histoire des standards

Deux normes standard écrites émergent du moyen breton (XI°-XVI°): d'une part un standard vannetais, d'autre part un standard des prêtres carmélites et franciscains de l'aire parlante trégorroise, principalement autour de la baie de Morlaix, qui fut repris le collège des jésuites de Quimper dans l'aire dialectale cornouaillaise (Le Dû 1997, Timm 2005).


Après la révolution française, un troisième standard écrit émerge du nouvellement créé département des Côtes-du-Nord, principalement pour la rédaction de textes religieux. Au XIX°, une vague de celticisme cherche à expurger la langue de ses gallicismes, vers une langue standard dont le lexique serait plus celtique d'origine. Au XX°, la vague nationaliste bretonne cherche réellement à créer une norme de langue standard littéraire, langue de science et d’État. Les choix opérés vers cette langue standard cherchent à subsumer les différents dialectes, dont le dialecte vannetais. La distance réputée entre ce standard et les dialectes locaux lui vaut le nom de "néo-breton", variété enseignée dans le système scolaire.


breton standard du XX°

Au XX°, le breton standard est considéré, principalement pour des raisons politiques extra-grammaticales, soit comme équidistant des dialectes, eux-même proches en structure, soit comme radicalement étranger aux variétés traditionnelles.


hypothèses d'une distance forte du standard

Jones (1995:428) considère que le breton parlé par les néo-locuteurs est "fréquemment inintelligible pour beaucoup des locuteurs natifs de communautés principalement rurales". Jones (1998) utilise le terme de "xénolecte", considérant que la langue standard caractéristique du système scolaire du XX° est une forme linguistique qui, si elle est parlée de façon native, l'est par des natifs éduqués par des enseignants eux-même non-natifs, et a changé tellement radicalement qu'elle est devenue fondamentalement étrangère aux variétés dialectales parlées traditionnellement, et devrait être considérée une langue à part. Ce terme de xénolecte essaie de cerner un état de changement qui ne va pas jusqu'à la créolisation (Timm 2005).


éléments non-linguistiques

Plusieurs phénomènes doivent être considérés pour relativiser cette hypothèse. Tout d'abord, il est indéniable que pour différentes raisons sociologiques intriquées, la notion de déviance linguistique est émotionnellement chargée chez les locuteurs d'une langue mis en minorité (Hornsby (2014:116). Il faut aussi peser le fait que dans l'Etat français, la prétention de non-compréhension du breton sous toutes ses formes (totale, dialectale, néo) est culturellement récompensée, que celle-ci soit réelle ou prétendue. Il appartient aux linguistes de mettre ces raisons extra-linguistiques de côté pour pouvoir peser la variation linguistique réelle de la langue.

Les locuteurs traditionnels, et surtout ceux qui n'ont pas accès à l'écrit, par manque d'input, ont souvent une mauvaise connaissance de la variation dialectale en breton. Ils tendent donc à comparer uniquement leur propre variété avec une variété standard, avec l'idée que toute variation est une faute et une dégradation. Cependant, certaines distances rapportées entre le breton standard et une forme traditionnelle particulière peuvent être le fait d'une variation dialectale. Un locuteur traditionnel critiquant le breton parlé standard mentionne ainsi dans Hornsby (2014) que les enfants scolarisés à Diwan ont parfois une accentuation sur la dernière syllabe, marquant une différence profonde avec l'accent KLT sur la pénultième. Cependant, l'accentuation finale est la marque du français, mais aussi la marque traditionnelle d'un autre dialecte breton, le dialecte vannetais, et ce depuis au moins le XV° siècle.


arguments linguistiques

Certains traits dialectaux sont uniques, et marquent une différence nette avec le standard ou les autres variétés dialectales.

German (2007) relève dans la syntaxe du breton de Saint Yvi des formes nouvelles comme la création de tout un paradigme de pronoms sujets faibles, qui n'ont pas besoin d'être focalisés, et qui pourtant peuvent apparaître dans le champ du milieu sans que le verbe tensé ne déclenche avec d'accord.

On pense aussi à la possibilité d'accord avec un sujet postverbal à Plougerneau.


hypothèses d'une distance mesurée du standard

Selon Hornsby (2014), si les différences accentuelles ou lexicales sont mentionnées massivement lors d'interviews des locuteurs sur les caractérisations de la langue standard ou néo, rares sont les observations faites sur l'ordre des mots ou sur des règles de grammaire. Il cite uniquement une note de Davalan (2000) sur l'existence d'ordres V3, ordres de mots qui sont par ailleurs largement documentés dans les variétés traditionnelles de la langue. Cependant, il est possible que les différences gramamticales soient moins aisément synthétisables et reportables par les locuteurs qu'un élément de lexique marquant, ou un accent particulier.

Kennard & Lahiri (2017) ont étudié sur plusieurs générations de locuteurs la distribution et la réalisation acoustique de la mutation mixte après la particule o4 progressive. Ils n'ont pas noté de différence entre les jeunes adultes et les plus vieilles générations. Seuls les enfants interviewés lors de leur scolarisation dans le primaire différaient, avec une normalisation des productions si ils ont un input suffisant dans la langue dans la prime adolescence.

Références

  • Avezard‐Roger, Cécile. 2004b. 'Proximité linguistique entre breton standard et breton dialectal et entre breton et français : le cas des structures verbales', Jean­‐Michel Eloy (éd.), Des langues collatérales: Problèmes linguistiques, sociolinguistiques et glottopolitiques de la proximité linguistique, Paris: L'Harmattan, II:485-­‐494.
  • Le Dû, J. 2003. 'Dialect or standard language? The case of Brittany', Dónall Ó Baoill & Donncha Ó Haodha (éds.), Féilscríbhinn Ghearóid Mhic Eoin [Festschrift for Gearóid Mac Eoin], Four Courts Press, Dublin, pp.???.
  • German, G. 2007. 'Language Shift, Diglossia and Dialectal Variation in Western Brittany:the Case of Southern Cornouaille', The Celtic languages in contact : Papers from the workshop within the framework of the XIII International Congress of Celtic Studies, Bonn, July 2007, Hildegard L. C. Tristram (ed.), Postdam. pdf.
  • Hornsby, Michael. 2014. 'The “new” and “traditional” speaker dichotomy: bridging the gap', International Journal of the Sociology of Language 231:107–125, texte.
  • Horsnby, Michael & Gilles Quentel. 2013. 'Contested varieties and competing authenticities: Neologisms in revitalised Breton', International Journal of the Sociology of Language 223. 71–86.
  • Hornsby, Michael. 2009. Globalisation processes and minority languages: Linguistic hybridity in Brittany. ms. de thèse non-publié. University of Southampton, UK. http://eprints.soton .ac.uk/344489/1.hasCoversheetVersion/HORNSBY-PHD-FINAL.pdf (accessed 12 July 2014). Hornsby, Michael. 2010. Revitalisation of minority languages: Tensions between local and hybrid varieties. Small Languages in the Multilingual Society 24. 30–50. Hornsby,
  • Hornsby, Michael 2008. 'The incongruence of the Breton linguistic landscape for young speakers of Breton', Journal of Multilingual and Multicultural Development 29(2): 127–38.
  • Hornsby, Michael. 2005. 'Néo breton and questions of authenticity', Estudios de Sociolingüística 6(2):191-­‐218.
  • Jones, M. 1998. Language Obsolescence and Revitalization, Linguistic Change in two Sociologically contrasting Welsh Communities, Oxford, Clarendon Press.
  • Jones, Mari C. 1995. 'At what price language maintenance? Standardization in Modern Breton', French Studies 49 (4): 424–438.
  • Pentecouteau, Hugues. 2002a. 'L’apprentissage du breton dans un contexte de mondalisation', M. Hubert (ed.), La Bretagne à l’heure de la mondalisation, 113–121. Rennes: Presses Universitaires de Rennes.
  • Pentecouteau, Hugues. 2002b. Devenir bretonnant. Découvertes, apprentissages et (re)appriopriations d’une langue. Rennes : Presses Universitaires de Rennes.
  • Press, Ian. 1995. 'Barriers to the standardization of the Breton language', Transactions of the Philological Society, vol. 93, pp. ??
  • Timm, Lenora. 2005. 'Language Ideologies in Brittany, with Implications for Breton Language Maintenance and Pedagogy', Journal of Celtic Language Learning 10, pdf.