Pronoms objet proclitiques
Un pronom de fonction objet ne peut pas rester isolé dans le champ du milieu. Ou bien le pronom objet est intégré dans une préposition support: a (ac'hanon, anezhi, etc.), ou bien il apparaît comme un proclitique sur le verbe lexical (1).
(1) | Ya, señorita, | her gouzout | a ran. | |||||||
oui señorita | le savoir | R fais | ||||||||
'Oui, señorita, je le sais.' | Standard, Drezen (1990:63) |
Forme ancienne, le pronom objet proclitique est prototypique des variétés modernes conservatrices du breton : le standard, le léonard et le vannetais actuels. Puisqu'elle est présente dans les proverbes et chansons, cette forme est aussi connue des autres dialectes. Les dialectes et les locuteurs varient dans leur utilisation de l'une ou l'autre stratégie.
Morphologie
Les pronoms objets proclitiques et les déterminants possessifs sont souvent dits semblables (cf. Le Roux 1957:44, Kervella 1995:§430). Leurs paradigmes sont en effet étonnamment ressemblants.
(2) | Hag e komz d'in deus ar gêr, | eus an aotrou person | en deus | va lakaet | da ober va faskou. | |
et R parle à'moi de le foyer | de le monsieur recteur | R.3SG a | me mis | à faire mon Pâques | ||
'Et il me parle de chez moi, du recteur qui m'a fait faire mes Pâques.' | ||||||
Cornouaille (Pleyben), Ar Floc'h (1950:78) |
Cependant, même s'il est vrai qu'ils empruntent massivement à la même morphologie, il existe en fait des différences syntaxiques entre les deux paradigmes.
Distribution
En breton moderne, le pronom objet proclitique, dans les variétés où il est utilisé, apparaît indifféremment sur les verbes infinitifs, les verbes fléchis ou les participes. Il existe des traces de distinction entre les pronoms objets proclitiques sur les verbes tensés et sur les verbes infinitifs comme dans l'exemple de Perrot, mais elles ne sont plus sensibles en breton moderne.
(1) E dud, elec'h e gas d'ar skol, her c'hasas da zerviji da di Yan Vergas, eun dijentil pinvidik eus a Vadrid.
- 'Ses parents, au lieu de l'envoyer à l'école, l'envoyèrent au service de Yann Vergas, un riche gentilhomme de Madrid.'
- Trégorrois, Perrot (1912:402).
verbes tensés
(2) | [ jɔ͂ | mǝ | ɟɥela] | |||
Eñ | me | wel. | ||||
lui | me | voit | ||||
'Il me voit.' | Bas-vannetais, Cheveau (2007:207) |
(4) | 'Dait Marivonn, | dait du-mañ, | pandeogwir | n'am doug ket mui | man divhar | betagoc'h-c'hwi.' | ||
venez Maryvonne, | venez chez-moi, | puisque | ne me porte pas plus | mon 2.jambe | jusqu'à.vous-vous | |||
'Viens Maryvonne, viens ici puisque mes jambes ne me portent plus jusqu'à toi.' | ||||||||
Vannetais, Ar Meliner (2009:113) |
(5) | Bremañ | n'he c'hemerin | ket genoc'h. | |||
maintenant | ne la prendrai | pas avec.toi | ||||
'Maintenant je ne te la prendrai pas.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:110) |
participes passés
Lorsque le pronom clitique apparaît avec un temps composé, il procliticise sur le verbe lexical et non sur l'auxiliaire.
(1) | Me ive | am-eus | he2 | hanet | dindan eñvor ... | |||||
moi aussi | R.1SG-a | la2 | chanté | de mémoire | ||||||
'Moi aussi, je l'ai chantée de mémoire...' | Léonard, (Cléder) | Seite (1998:21) |
(2) | En tachad-mañ | em boa ho kortozet | arlene. | ||||
dans endroit-ci | 1SG avait vous3 attendu | année.dernière | |||||
'C'est ici que je t'ai attendue l'an dernier. | Vannetais, Ar Meliner (2009:104) |
Le proclitique et le verbe lexical forment un constituant qui peut être antéposé sans l'auxiliaire.
(3) | [ E welet ] | em eus | _ | evel | m'ho kwelan. | ||||
le vu | R.1SG a | comme | que vous3 vois | ||||||
'Je l'ai vu comme je vous vois.' | Standard, Kervella (2002:28) |
infinitifs
(2) | N'on ket | evit en andur. | |||||
ne suis pas | pour le supporter | ||||||
'Je ne peux pas l'endurer, je l'ai dans le nez.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:31) |
verbe 'avoir'
La forme proclitique peut apparaître avec le verbe kaout, 'avoir' (voir aussi les pronoms objets postverbaux avec kaout).
restriction sur les pronoms cliticisables
objets coordonnés
Comme noté dans Cheveau (2007:207), lorsque l'objet est un groupe nominal coordonné, il n'est pas proclitique sur le verbe.
Cette propriété est caractéristique des pronoms clitiques.
sujet de causatives
C'est ce paradigme des objets proclitiques qui est utilisé pour les sujets des infinitives cliticisés sur un verbe causatif. Le paradigme des objets proclitiques comprend donc les sujets des infinitives des causatives.
Dans la structure causative ECM en (3), le verbe causatif lakaat accueille un proclitique. Cependant, ce pronom est originaire de la position sujet de l'infinitive. On voit une préposition da apparaître en tête d'infinitive.
(3) | ...gouarnamant | Pariz | ne glask | nemed | eun dra: [...] | |
... gouvernement | Paris | ne1 cherche | seulement | un chose: | ||
oi lakaat | da [ _i gaout | méz eus | o yez | hag euz | o amzer-dremenet ]. | |
3PL mettre | à1 avoir | honte de | leur langue | et de | leur passé | |
'Le gouvernement de Paris ne cherche qu'une chose: leur faire avoir honte de leur langue et de leur passé.' | ||||||
Léonard, (Cléder), Seite (1998:37) |
Diachronie
généralisation d'un système proclitique verbal depuis le breton pré-moderne
En moyen breton, les systèmes proclitiques des verbes tensés et des verbes infinitifs étaient contrastés (Hemon 2000:§55). On distinguait d'un côté les pronoms antéposés aux verbes tensés, et de l'autre ceux antéposés aux noms ou aux verbes infinitifs (pronoms objet proclitiques et déterminants possessifs).
- Les proclitiques des infinitifs se réalisaient comme des déterminants possessifs, avec un 3SG orthographié e ou parfois he avec une lénition sur le nom ou le verbe infinitif le suivant.
- Les proclitiques des verbes tensés étaient réalisés de façon distincte, avec un 3SG en en, el, er ou parfois hen, hel, her.
En breton pré-moderne, en vannetais tout d'abord, puis dans les autres dialectes, cette différence s'est perdue, avec une homogénéisation de tous les paradigmes verbaux (Hemon 2000:§54;3). La frontière entre verbes tensés et verbes infinitifs s'amenuise: on se met à trouver des proclitiques en, el, er sur des verbes infinitifs, ou des formes en e sur des verbes tensés.
- formes innovantes d'infinitifs avec (h)el, (h)er, (h)en:
(1) d-er crouguign (NG.:1535, daté de la fin du XVII° siècle)
- d'el lauskein (TE..:245, daté de la fin du XVIII° siècle)
- Doué e ordrén en odorein, hac er harein. (MG.:55, daté de 1790)
- dinac'h ho gwir Eskob ha dont d'hen dilezæl. (FVR.:II, daté de 1847)
- formes innovantes de verbe tensé avec (h)e:
(2) eun Itron ... he1 gasse dre an dorn. (BMN.:14, daté de 1879)
- lod e heulie (MKRN.:95, daté de 1929)
Guillevic & Le Goff (1986:154) considèrent qu'en vannetais, la généralisation des formes nominales au système verbal tensé est allée à son terme, avec une utilisation multilatérale de la forme 3SGF hé prototypique des possessifs (4). Ils précisent que "les auteurs bretons du XVIII° siècle écrivent constamment hé dans tous ces cas."
(3) m'er guél, er guélet (Guillevic & Le Goff 1986:154)
(4) m'hé guél, hi hé des (Guillevic & Le Goff 1986:154)
Vers la même période fin XVIII°/début XIX°, les proclitiques verbaux se généralisent aussi sur les participes passés. Ceux-ci n'avaient alors pas de système proclitique, puisque l'objet d'un participe apparaissait sous la forme directe après l'auxiliaire 'avoir', comme c'est encore le cas en vannetais.
En KLT moderne, deux paradigmes de pronoms étaient empruntables et la forme en, el, er a été spécialisée en KLT aux pronoms inanimés. Les dialectes du vannetais n'ont pas opéré cette spécialisation.
animé
- biskoaz n'em euz he1 welet (MBR.:164)
- ind ou dehai el laqueid Pab pe Escob (Vannetais, MG.:404, daté de 1790)
- sklear avoalc'h oc'h euz hen diskoezet, (SAG.:295, daté de 1869)
impératif
En breton moderne, le pronom objet d'un verbe impératif est postverbal, au cas direct. La forme proclitique peut apparaître sur un verbe impératif uniquement avec la négation.
(1) | [ nǝ | mǝ | hasǝ | cǝt ] | ||
Na | ma | c'hasit | ket. | |||
ne | me | envoyez | pas | |||
‘Ne m'emmenez pas.’ | Bas-vannetais, Cheveau (2007:207) |
Selon Hemon (2000:§54,(3)), dans les dialectes du breton pré-moderne sauf en vannetais, le pronom proclitique hen, hel, her pouvait être utilisé avec un impératif.
(2) her c'hredit (FVR.:34, daté de 1847)
(3) hen ententit mat (SAG.:108, daté de 1869)
Variation dialectale
La carte 287 de l'ALBB, montre la variation dialectale de la traduction de 'me voir', avec un pronom 1SG proclitique sur un infinitif.
La carte 288 de l'ALBB montre la variation dialectale de la traduction de 'si je la voyais', avec un proclitique 3SGF sur un verbe tensé.
A Groix, après un infinitif, le pronom peut être au cas direct.
Certains dialectes préfèrent systématiquement les formes en a, eus (ac'hanon, ac'hanout...). Cependant, tout locuteur connaissant des chansons traditionnelles ou lisant le breton standard connait les formes proclitiques.
(1) | Marijo | neus | (o | frenet / prenet anezho). | ||||||
Marijo | a | les | acheté / acheté P.eux | |||||||
'Marijo (les) a achetés.' | Douarnenez, [HD 2010] |
A Plozévet, selon Goyat (2012:136), les proclitiques ne se trouvent plus que dans des expressions gelées comme Aet eo d’e gaoud, 'Il/elle est allé(e) le trouver.'
Les variétés qui utilisent les pronoms objets proclitiques comme le léonard de 1900 connaissent aussi les formes postverbales concurrentes:
(2) | Me ho faieo disul. | / | Disul e paeinn anezho. | ||||
moi les payera dimanche | dimanche R payerai P.eux | ||||||
'Je les payerai dimanche.' | Léon, Constantius (1900) |
Certaines formes n'apparaissent aussi que dans un dialecte particulier, comme man, mam en vannetais (cette nasalisation du pronom 1SG s'y retrouve dans le paradigme des déterminants possessifs).
(1) | Ma | ferson a lâre din | tuchantik, | a pa | oa doc'h | man deveriñ... | ||
mon | recteur R disait à.moi | tout.à.l'heure.DIM | quand | était à | 1SG V | |||
'Mon recteur me disait tout à l'heure, quand il me donnait l'extrême onction...' | ||||||||
Vannetais, Ar Meliner (2009:178) |
Bibliographie
- Cheveau, L. 2007. Approche phonologique, morphologique et syntaxique du breton du grand Lorient, PhD. Thesis.
- Cheveau, L. 2007b. 'The Direct Object Personal Pronouns in Lorient Area Breton', Studia Celtica 41, Cardiff: University of Wales Press.
- Hemon, R. 1952-54. 'The Breton personal pronoun as direct object of the verb', Celtica, 2:229-244.
- Pennaod, G. 1969. 'Diwar-benn ar raganvioù-gour 3e un. gourel ha nepreizh ha raganvioù-diskouezhañ zo.', Preder Kaier 123-124.