Pronom objet direct après le verbe 'avoir'
Les objets postverbaux après le verbe kaout/endevout, ‘avoir’, forment un paradigme pronominal distinct des pronoms écho du sujet, mais aussi des autres pronoms objet (objet postverbal d'un impératif, objet postverbal d'un infinitif). Ils reçoivent un cas direct et sont restreints à la troisième personne.
(1) | Kaset | em eus-hoñ | da c'hwitellat. | ||||
envoyé | R.1SG a-lui | à siffler | |||||
'Je l'ai envoyé bouler (siffler).' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:65) |
Morphologie
non-clitique sur le verbe lexical
Le pronom objet n'est pas clitique sur le verbe lexical est que celui-ci peut être antéposé sans le pronom, ou séparé par des adverbes. Il ne procoque pas non plus de mutation sur le verbe lexical comme un proclitique le ferait.
adverbes intervenants
(1) | Teus | ean | dré-zé | marsé | guelet. |
as | lui | par là | peut-être | vu | |
'Tu l'as peut-être vu par là.' | |||||
Vannetais, chanson Le marquis de Pontcallec (Le Mercier d'Erm 1926:68) |
Cette possibilité est attestée au XVI°.
- Me m'eus y dreou clevet. (Breton du XVI°, G.:4)
- 'Je les ai écoutés gaiement'
antéposition du verbe lexical seul
(2) | Tapǝ | mǝs | hi . | |||
tapet | em eus | hi | ||||
attrapé | R.1SG a | elle | ||||
‘Je l'ai attrapée.’ | Bas-vannetais, Cheveau (2007:208) |
(5) | Torret | feus | -hañ. | ||||
cassé | as | -lui | |||||
'Tu l'as cassé.' | Groe, Ternes (1970, cité en Favereau 1997:§247) |
absence de mutation sur le verbe lexical
Le pronom objet n'est manifestement pas clitique sur le verbe lexical. Le vannetais Le Bayon (1878:9,fn2) note par exemple que ce pronom objet ne provoque par de mutation sur ce verbe lexical.
(3) | Ean̄ | en | dès hi | keméret | / | vs. * hi heméret | |
il | R.3SGM | a elle | pris | ||||
'Il l'a prise.' | Vannetais, Le Bayon (1878:9,fn2) |
restriction à la personne 3
Les objets postverbaux au cas direct qui apparaissent après 'avoir' sont restreints à la troisième personne (cf. Rezac 2004, Jouitteau & Rezac 2006, 2008, 2009).
Syntaxe
distribution
Ces pronoms apparaissent aussi bien après le verbe 'avoir' lexical que lorsqu'il est auxiliaire.
(1) | Perec | nen des | (ean) | studiet? | |||
pourquoi | ne.3SG a | 3SG | étudié | ||||
'Pourquoi n'a-t-il pas étudié?' | Vannetais, Guillome (1836:115) |
(3) | Skrivet | em eus-int | hep ken soñj | nemet ober plijadur... | |||
écrit | R.1SG ai-eux | sans plus pensée | seulement faire plaisir | ||||
'Je les ai écrits sans autre but que faire plaisir...' | Vannetais, ar Meliner (2009:11) |
site
après la négation
Le site d'apparition d'un objet postverbal après le verbe kaout, 'avoir' est sous la négation.
(8) | [mǝ | ʃǝ | ɔ͂ | ɟɥǝlǝt ] | ||
Meus | ket | eñ | gwelet | |||
1SG.a | pas | lui | vu | |||
'Je ne l'ai pas vu.' | Bas-vannetais, Cheveau (2007:208) |
après les pronoms écho
Les pronoms écho et les pronoms objet après le verbe ‘avoir’ doivent être clairement distingués. Les deux peuvent se trouver dans la même phrase, avec des ordres respectifs différents suivant les variétés de langue.
(2) | Ne | mès | -mé | ean | câret? | ||
ne | ai | -moi | lui | aimé | |||
'Ne l'ai-je pas aimé' | Vannetais, Guillome (1836:115) |
Cet ordre est attesté antérieurement.
- Na lauar quet es te hy neb quentel guelet., (Breton du XVI°, B.:373)
- na lavar ket 'c'h eus-te hi gwelet ur wech bennak., traduction breton moderne, Pennaod (1969:39).
occurences proclitiques ?
On trouve aussi en vannetais une forme étrange où l'objet direct apparait clairement au milieu de composé:
(1) | ar Mestr | en he deus | nac’het… | ||||
le Maître | R.3SGM la a | refusé | |||||
'le Maître qui l’a refusée…' | Vannetais, Herrieu (1994:76) |
(2) | Ar vuoh n'hall ket | en he bout | leue. | ||||
le vache ne'peut pas | R.3SGM 3SGF avoir | veau | |||||
'Le vache ne peut pas avoir de veau' | Vannetais (Belle-Île-en-mer), Le Besco (2005:76) |
pronom résomptif
Ces pronoms peuvent servir de pronoms résomptifs, dans les cas de dislocation de l'objet.
(1) | Ar muntr-se, | em eus-hoñ lakaet | àr goust ar jandarmed. | |||
le meurtre-là | R.1SG a-lui mis | sur compte le gendarmes | ||||
'Ce crime, je l'ai mis sur le compte des gendarmes.' | ||||||
Le Scorff, Ar Borgn (2011:14) |
impact sémantique
Il ne semble pas que les objets directs après 'avoir' soient porteurs d'un effet d'emphase. On en trouve d'ailleurs facilement avec des antépositions de participes, qui apparaissent prototypiquement dans les structures informationnelles plates.
(2) | Goeraet | em eus-hi. | |||||
traité | R.1SG a-elle | ||||||
'Je l'ai traite, i.e. je lui ai tiré les vers du nez.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:11) |
Diachronie
Hemon (2000:§51,(7)) et Le Gléau (1973:18,19) documentent ces pronoms directs en moyen breton et en breton pré-moderne.
- Gant queuz bras e-m-eus ef clasquet (moyen breton du XVI°, J.:189)
- Cafet ... onn-eux ef (moyen breton du XVI°, J.:101)
- Me m'eus y ... clevet. (G.:4), moyen breton
- Krouet int gant Doue evit ma ho pezo-ii evit kompagnunezed (IN.:339), en 1709.
- Doué en dès int lamét gueneign (MG.:316), vers 1790.
- Gùélet e mès-hi (VNA.:110), en 1856.
Le pronom pouvait apparaître au-dessus de la négation.
- Perak Sant Mikael n'en deus-i ket lazhet?, (SMM.:204), 1864.
Hemon (2000:§54) signale l'émergence d'un système pronominal concurrent vers le XIX°. A cette période, il devient aussi possible d'utiliser les proclitiques verbaux sur les verbes non-tensés. Les prolitiques sont en effet disponibles sur les verbes tensés depuis longtemps, mais ils se généralisent alors sur les verbes infinitifs et les participes passés.
animé
- biskoaz n'em euz he1 welet (MBR.:164)
- ind ou dehai el laqueid Pab pe Escob (Vannetais, MG.:404, daté de 1790)
- sklear avoalc'h oc'h euz hen diskoezet, (SAG.:295, daté de 1869)
Analyse théorique
Jouitteau et Rezac (2006) et (2009) attribuent la restriction à la personne 3 de l'objet du verbe kaout, 'avoir', à un effet de la contrainte de personne-cas qui révèle la présence d'une préposition dans la structure du verbe 'avoir'.
Cette hypothèse permet de prédire que la régularisation du verbe kaout, 'avoir' va de pair avec la perte de l'objet direct restreint à la troisième personne. Cette prédiction est vérifiée dans Jouitteau & Rezac (2008), où les variations dialectales de régularisation du verbe 'avoir' sont explorées, des formes les plus avancées de l'aire centrale aux formes les plus analytiques du vannetais.
Dans les dialectes où la régularisation du verbe 'avoir' est la plus avancée, ce verbe n'autorise plus de pronoms directs post-posés, et prend des pronoms objet semblables aux pronoms objet des autres verbes (c'est-à-dire incorporé dans une préposition support de type ac'hanon, anezhañ ou sur le modèle proclitique verbal sans restriction de personne).
Bibliographie
- Favereau, F. 1997. Grammaire du breton contemporain. Morlaix: Skol Vreizh.
- Guillome J. 1836. Grammaire francaise bretonne, contenant tout ce qui est nécessaire pour apprendre la langue bretonne de l’idiome de Vannes, Vannes : J.M. Galles. Preview
- Hemon, R. 2000. Yezhadur istorel ar Brezhoneg/Dictionnaire historique du breton, Hor Yezh. [ ed. 1958 - 1978, Preder, La Baule].
- Jouitteau, M. & Rezac, M. 2006. 'Deriving Complementarity Effects', R. Borsley, I. Roberts, L. Sadler & D. Willis (éds.), Lingua 116, special issue on Celtic Languages, 1915-1945., lingBuzz/000066 pdf.
- Jouitteau, M. & M. Rezac, 2008. ‘From mihi est to have across Breton dialects’, Paola Benincà, Federico Damonte and Nicoletta Penello (éds.), Proceedings of the 34th Incontro di Grammatica Generativa, Unipress, Padova, special issue of the Rivista di Grammatica Generativa, vol. 32., 161 - 178., texte en ligne.
- Jouitteau, M. & M. Rezac, 2009. 'De mihi est à ‘'avoir’' à travers les dialectes du breton', La Bretagne Linguistique 14, CRBC. version pré-publication
- Rezac , M. 2004. ‘The EPP in Breton: An unvalued categorial feature’, Triggers, Studies in Generative Grammar, A. Breitbarth & H. v. Riemsdijk, Mouton de Gruyter. Preview
- Ternes, E. 1970. Grammaire structurale du breton de l’Ile de Groix, Carl Winter, Heidelberg.