Pronoms forts indépendants

De Arbres
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Les pronoms forts sont ceux qui peuvent se trouver en isolation et être coordonnés. Ils peuvent être modifiés par des cardinaux ou des relatives, ou bien par des particules de focalisation comme ivez 'aussi' (sauf nemet qui déclenche l'incorporation) ou le présentatif setu .


(1) Me ive am-eus he hanet dindan eñvor ...
moi aussi R.1SG a la2 chant.é de mémoire
'Moi aussi, je l'ai chantée de mémoire … '
Léonard, (Cléder), Seite (1998:21)


(2) Setu-me ruz penn-kil-ha-troad...
voici moi rouge tête-dos-et-pied
'Me voila rouge de la tête aux pieds… '
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:22)


En breton, les pronoms forts indépendants sont prototypiquement ceux que l'on peut trouver comme sujets préverbaux. Ce sont donc aussi toujours ces pronoms forts que l'on trouve devant la négation.

Ils reçoivent un cas direct, contrairement aux pronoms obliques (pronoms objet proclitiques, pronoms incorporés) Ils ne doivent pas être confondus avec les pronoms qui se placent toujours après l'élément tensé, comme les pronoms écho et pronoms d'incise contrastifs.

A la troisième personne du pluriel, un pronom fort indépendant peut apparaître après l'élément tensé (/hent).

Les pronoms démonstratifs sont des pronoms forts indépendants.


Paradigme des pronoms préverbaux

pronoms indépendants, breton standard
(1) nombre, personne forme traduction
1SG me 'moi'
2SG te 'toi'
3SGM 'lui'
3SGF he 'elle'
1PL ni 'nous'
2PL c'hwi 'vous'
3PL int 'eux'
impersonnel an den 'on'
inanimé se 'ça'


variations en KLT

Avezard-Roger (2004a:289) fournit les paradigmes de trois points en KLT, La Forêt Fouesnant, Saint-Pol-de-Léon et Duault.


pronoms indépendants, KLT, Avezard-Roger (2004a:289)
(2) nombre, personne Duault La Forêt Fouesnant Saint-Pol-de-Léon équivalent standard traduction
1SG mi, me me, mə, ma me me 'moi'
2SG te te te te 'toi'
3SGM he, ɛ, i hã, hɛ̃, hãn, hɔ̃ , h ẽ, he, ã e, i 'lui'
3SGF hi hi, i i, ɛ he 'elle'
1PL mi, nim, mim, mem, ni ne ni ni 'nous'
2PL Xwi, hwi ɥi, hɥi Xwi c'hwi 'vous'
3PL int, i zi, ejnt hɛnt, hɛn, ɛnt int int 'eux'
impersonnel nən, nan nə, ne, nen nan an nen 'on'

variations par personne

1SG

(1) [ grǝdusort mi hɛlè do:nɛt ]
me 'gred ur sort m'e c'hellehe donet.
moi R1 pense quand.même que pourrait venir
'Je pense quand même qu'il pourrait venir.'
Vannetais, Nicolas (2005:32)


(2) Me zou milén mem bléu.
moi est jaune mon2 chevelure
'J'ai les cheveux blonds'.
Vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:138)


(3) Deus tiñ pa méñ hèy dit ! Goëlo
Deus din pe me az ay dit Standard
viens à.moi ou moi irai à.toi
'litt: Viens à moi ou je viens à toi.'
(se dit à qq. de trop voyant)
Koadig (2010:27)


2SG

Le pronom 2SG se trouve sous la forme [ téñ ] en Goelo (Koadig 2010:27).


3SGM

Le pronom 3SGM se trouve sous la forme éñ en standard, en Goëlo (Koadig 2010:27). Il se prononce [ jɔ̃ , jεm, je ] en bas-vannetais. Pour le haut-vannetais, Delanoy (2010) donne ieù ou ian. Konan (2017:'heñ') relève une prononciation à /h/ initial en Trégor.


(1) [ jɔ̃ dɔʁ hʁogɛ̃ɲ
oa o me c'hregiñ.
lui était à4 me2 mordre
'Il était en train de me mordre.'
Bas-vannetais, Cheveau (2007:207)


(2) [ jεm ja kεn li:jεs εldɔχ ]
'ya ken lies èldoc'h
lui va aussi souvent comme.vous
'Il y va aussi souvent que vous.'
Vannetais, Nicolas (2005:16)


(3) je golvras
'zo gwall-vras
lui est intensifieur1-grand
'Il est très grand.'
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:14)


(4) Gye rika gober.
lui doit faire
'Il faut qu'il fasse.'
Vannetais pré-moderne (Cléguérec), Thibault 1914:184)


hemañ, hennezh

Les démonstratifs de troisième personne hemañ, hennezh sont aussi utilisés comme des pronoms forts indépendants, sans sens démonstratif particulier.


(5) Hennezh ' oa graet e vragoù 'raok e revr.
celui-là R était fa.it son1 pantalons avant son1 cul
'Il est né riche.' (litt. 'Son pantalon était fait avant son derrière')
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:II)


Ce pronom hennezh n'est pas restreint à la fonction sujet.

(6) pa edon o timezi da hennez

'quand j'ai épousé cet homme'
Léonard pré-moderne, Moal (1890)


Cet usage d'un démonstratif comme pronom fort est aussi caractéristique du français de Basse-Bretagne (Cui-ci est fier, 'Il est fier').


3SGF

Le pronom 3SGF se trouve sous la forme hi en Goëlo (Koadig 2010:27, citant l'ALBB).

On trouve en corpus de breton central la forme hehi, ici en position de focus contrastif.


(1) Don' a rae forzhig, ya; hehi n'ae ket.
venir R1 faisait beaucoup.DIM oui elle ne1 allait pas
'Ça venait pas mal, mais elle, elle n'allait pas (en consultation).'
Breton central, Favereau (1984:376)


En vannetais de Cléguérec, Thibault (1914:178) relève la forme gyé, en contraste avec le haut-vannetais littéraire ean.

houmañ, hounnezh

Les démonstratifs de troisième personne, houmañ, hounnezh, sont aussi utilisés comme des pronoms forts indépendants, sans sens démonstratif particulier. Cet usage est aussi caractéristique du français de Basse Bretagne.

1PL

Le pronom 1PL se trouve sous la forme nim en Goëlo (Koadig 2010:27).


(2) Blam ni ' ouiem kin brezoneg.
car nous ne1 savions seulement breton
'Parce qu'on ne connaissait que le breton.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (2007:173)

2PL

Le pronom 2PL est c'hwi en standard, et parfois orthographié hwi. Il se trouve aussi sous la forme fi en Cornouaillais de l'Ouest. Attention, dans les dialectes qui n'ont pas de marqueur 2SG de tutoiement, la 2PL est le pronom général d'adresse, traduisible par 'tu' ou 'vous'.


(3) Ha fi poe kavet an dra-se krann ?
est.ce.que vous R1 2.avait trouv.é le 1chose. bien
Aviez-vous trouvé ça bien ?
Cornouaillais (Douarnenez), Denez (1972:151)


(4) Ha c'hwi, ma flah bihan, ma 'ho pije gwelet an traou-ze...
et vous mon2 fille petit si R.2PL 2.avait v.u le choses.
'Et vous, ma petite fille, si vous aviez vu ces choses-là… '
Trégorrois, Gros (1984:23)


(5) hui e zou mal d'oh monet.
vous R1 est urgent à.vous aller
'Vous avez hâte d'y aller.'
Vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:138)


La seconde personne du pluriel peut être utilisée comme un impersonnel générique.


(6) [ hwi dape vul γla:S ]
C'hwi a dape ur voull c'hlas.
vous R1 attrapait un 1boule 1bleu
'On prenait la boule bleue.'
Cornouaillais de l'Est (Lanvénégen), Evenou (1987:580)

3PL

Le pronom 3PL se trouve sous la forme i en Goelo (Koadig 2010:27).


(1) [ hje nize be marsən tenəd a:nun ]
Int o dije bet marse tennet warnon. Graphie standard
eux 3PL 3.aurait eu peut-être tir.é sur.moi
'Eux, m'auraient peut-être tiré dessus.'
Cornouaillais de l'Est (Lanvenegen), Evenou (1987:575)


(2) [ he wije pig̈is wahô be daj c̈wiT ]
Int a ouie pegiz (e)c'h oa-eñ bet deuet kuit. Équivalent standardisé
eux R savait comment R était-lui eu ven.u parti
'Eux savaient comment il était parti.'
Cornouaillais de l'Est (Lanvénégen), Evenou (1987:575)


(3) [ zo (i) fɔ̃ n tǝn dɔ̃ :n
Int ' zo o vont d'an traoñ. Équivalent standardisé
eux R1 est à4 aller à le bas
'Ils [les jours] vont en diminuant.'
Bas-vannetais, Cheveau (2007:212)


L'Armerye (1744:vii) relevait en vannetais la forme ind, contrairement à i à Noyal-Pontivy. En vannetais de Cléguérec, Thibault (1914:178) relève la forme gi, en contraste avec le haut-vannetais littéraire ind. Pour le haut-vannetais du XXIe, Delanoy (2010) donne gi 'ils, elles'.


(4) [ Ɉi laburaɲ tʃǝt / laburaɲ tʃǝt anehɛ ]
gi ne labourint ket ne labourint ket anezhe
eux ne1 travailleront pas ne1 travailleront pas P.eux
'Eux, ils ne travailleront pas.'
Vannetais, Nicolas (2005:33)


(5) Gi ' ra just èl p' o dehe argant.
eux R fait juste comme quand1 3PL 3.aurait argent
'Ils font comme s'ils avaient de l'argent.'
Vannetais (Languidic), Crahe (2013:332)


Les démonstratifs de troisième personne, ar re-mañ, ar re-se, sont aussi utilisés comme des pronoms forts indépendants, sans sens démonstratif particulier. Cet usage est caractéristique du français de Basse Bretagne (Ceux-ci sont taiseux 'Ils ne sont pas loquaces').

3SG inanimé se, na

Le groupe nominal an dra-se, 'cette chose-là', a grammaticalisé en un pronom fort indépendant inanimé: na, nase ou se 'ça'.


(1) Goudeze, setu mestrez an ti, eur plac'h koz, da lavarout…
après.ça voici maitr.esse le maison un femme vieux de1 dire
'Après ça, la maitresse de maison, une vieille femme, dit… '
Cornouaillais (Pleyben), Ar Floc'h (1950:157)

Particularités dialectales

opposition pronom fort/faible en vannetais et cornouaillais de l'Est

La vaste majorité des dialectes n'a qu'un paradigme de pronoms forts. L'équivalent des pronoms faibles sont tous incorporés.

Cependant à Moëlan, et Skaer/Bannalec (H. Gaudart (09/2022)), et uniquement pour la première personne du singulier, on trouve une opposition pronom fort meñ/pronom faible me. La forme meñ se trouve en dislocation à droite et en coordination (Rémi ha meñ 'Rémi et moi').


(1) ' Ouioñ ket, meñ !
ne1 sais pas moi
'Je n'en sais rien, moi !'
Cornouaillais (Moëlan), Bouzec & al. (2017:24)


Ce pronom fort meñ se trouve aussi en position de topique suspendu, ce qui n'est pas une distribution licite autrement pour les pronoms forts en breton (Jouitteau 2005:183). Les pronoms forts en position de topique suspendu sont possibles en français, comme la traduction l'indique.


(2) Meñ, me labourè da beñb eur.
moi moi travailait à1 cinq heure
'Moi, je travaillais dès cinq heures.'
Cornouaillais (Moëlan), Bouzec & al. (2017:142)


À Saint-Ivy, German (1984:160) relève la forme emphatique 1SG , mais aussi une forme 1PL .

Le Bozec (2018) note également qu'en haut-vannetais, le pronom indépendant 1SG est réduit à l'allophone atone /mə/ quand "il n'y a pas d'insistance particulière sur le sujet du verbe". Cette forme est contrastée avec le pronom fort indépendant mi. Le Bozec ne fournit pas de paire minimale. Il s'agit d'une étude de corpus.


(3) / mə sɑ'ɥɛ gwe'mõ /
Me a save goemon.
moi R1 montais goémon
'Je montais du goémon.'
Haut-vannetais (Plouhinec), Le Bozec (2018)


pronoms démonstratifs grammaticalisés en pronoms forts

Dans la plupart des dialectes, en position préverbale, le pronom fort est remplacé par la forme du pronom démonstratif de type ar-re-se, hemañ, hounnezh. Le sens n'est plus démonstratif, et la forme peut être analysée comme un pronom fort.


(4) { Ar re-ze / Int-i } a deu alies.
le ceux.ci 3PL-eux R1 vient souvent
'Eux, ils viennent souvent.'
Léonard, (Lesneven), (A.M. 02/2016)


En trégorrois, les pronoms démonstratifs hennezh, honnezh, ar re-se, etc. sont utilisés comme pronoms personnels en structure informationnelle plate. Hewitt (2001) considère que leurs compétiteurs de troisième personne heñv/eñv, hi, hiņt/iņt sont uniquement réservés à un effet contrastif.


pronom fort postverbal 3PL hè/hent

Il existe à Saint-Yvi et en cornouaillais de l'Est maritime en général un pronom fort indépendant qui peut être postverbal. Il est restreint à la troisième personne du pluriel. En (1), on voit que est 3PL grâce à l'accord déclenché par la négation, et au résomptif du sujet.


(1) bégur reent ket nintra e-bet kaer da zibi .
peogwir ne raent ket netra ebet kaer da zebriñ. Équivalent standardisé
puisque 3PL ne1 faisaient pas rien aucun beau à1 manger P.eux
'Puisqu'ils n'avaient absolument rien fait à manger.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (2007:177)


 German (2007:174):
 "Hè/hent est une forme réduite de hent [henn], aussi prononcé hint [hint] dans la plupart de la Cornouaille centrale et du Trégor (breton littéraire int; moyen gallois int; (h)wynt)."  


Dans les exemples ci-dessous, le fait que le verbe est au singulier, à l'accord gelé, montre que le système d'accord identifie bien ce pronom comme un groupe nominal sujet non-incorporé classique.


(2) Laked ba lagout-chistr ga sukr.
Lakaet e vezont e lagout-sistr gant sukr. Équivalent standardisé
m.is R est 3PL dans eau-de-vie-cidre avec sucre
'On les laisse macérer avec du sucre dans de l'eau-de-vie de cidre.'
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:217)


(3) Blam ' torné.
car est.3SG 3PL à4 battre
'Car ils étaient à battre.' (le blé)
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (2007:174)


(4) Benn eo kouet barz. Benn eo maro .
quand est tomb.é 3PL dedans quand est mort 3PL
'Quand ils sont tombés dedans.', 'Quand ils sont morts.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (2007:174)


(5) lare oa ket 'kas kaout an dra-se 'nè.
eux disait était pas à4 vouloir avoir le 1chose. P.eux
'Ils disaient qu'ils ne cherchaient pas cela.'
Saint-Yvi, German (2007:176)


(6) An dud teue ket da vakañs 'nè giz ra brem'.
le 1gens R4 venait pas pour1 vacanc.er P.eux comme fa.it eux maintenant
'Les gens ne venaient pas en vacances comme maintenant.'
Saint-Yvi, German (2007:176)


Le quantifieur flottant tout peut quantifier sur ce pronom, et apparaître seul en zone préverbale.


(7) Tout na- zaet o fenn sar lak' o dorn huch o daoulagad...
Tout o doa savet o fenn e-ser lakaat o dorn a-us o daoulagad… Équivalent standardisé
tout (3PL) avait-3PL lev.é leur2 tête en mettre leur2 main en-haut leur2 deux.œil
'Tous ont levé la tête en se protégeant les yeux de la main… '
Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:416)


optionalité ?

German précise que la forme composée du verbe à la forme 3SG et du sujet postverbal /é/ + /hè/ est "nettement préférée à /ãnn/", la forme 3PL fléchie du verbe.


(1) / mãnn di'mét / vs. /ma di'mé /
Emaint dimezet / Emañ dimezet int. Équivalent standardisé
sont mari.é / est mari.é ils
'Ils sont mariés.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (1984:131)


(2) / digwéd é /
Degouezhet eo int. Équivalent standardisé
arriv.é est ils
'Ils sont arrivés.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (1984:129)


Le sujet postverbal peut aussi redoubler les traits de l'accord, mais cela déclenche un effet d'emphase (focus ?).


(3) / bènn wãnn digwe /
a-benn oant degouezhet int. Équivalent standardisé
quand étaient arriv.é ils
'Quand ils sont arrivés.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (1984:133)


Il pourrait s'agir alors d'un pronom écho, mais il peut cependant apparaître plus bas qu'un participe.


(4) / ve brèn rok vinn digwé ãm /
Vefe bet int brein araok vefent degouezhet int amañ. Équivalent standardisé
serait été ils pourri avant seront arriv.é ils ici
'Ils seraient pourris avant qu'ils arrivent ici.'
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (1984:134)

3SG?

Dans les exemples de troisième personne du singulier, il est possible que localement ce pronom fort existe aussi mais il est alors malaisé de le distinguer du pronom post-verbal de désambiguïsation du genre.


(5) Ken buan bet maro haoñ.
si vite serait été mort il
'Aussi vite, il serait mort.' (à peu de chose près)
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (2007:174)


Yvon Crocq, natif de Poullan mais écrivant en léonard du début du XXe, utilise une graphie en h- pour le pronom de troisième personne du singulier.


(6) Nag hen a zo diod koulskoude !
que 3SG R1 est idiot cependant
'Mais qu'est-ce qu'il est bête !'
Cornouaillais / Léon, Croq (1908:70)

pronom fort postverbal 1PL

Le dialecte de Saint Yvi a aussi développé un pronom fort 1PL qui peut rester dans le champ du milieu.


(6) Ma mamm a breparé traou dom benn zigoue ahanom ba'n ger...
mon2 mère R1 préparait choses à.nous quand1 arrivait P.nous dans le 1foyer
'Ma mère nous préparait des choses quand nous rentrions… '
Cornouaillais (Saint-Yvi), German (2007:179)


(7) [ Setu, a-benn diou eur nemed kard bennag ] e oa degouezet ahanom e-barz Kemper avad.
voici à deux heure moins quart R4 était arriv.é P.nous dans Quimper cependant
'mais [donc, à peu près vers 13:45], nous étions à Quimper.'
Basse-cornouaille, Madeg (1993:20)
cité dans Rezac (2013:appendix)


On trouve aussi en Basse-Cornouaille des pronoms 1PL relevés par Rezac (2013:appendix) dans les enregistrements de Madeg (1993:19). Cependant, au vu du système d'accord, il est possible qu'il s'agisse d'un paradigme additionnel de pronoms écho.


(8) Med hi ' lavar: "gwelloh deom ni ahanom mond da Gemper da glask ahanom , ni mond da di Andre."
mais elle R dit mieux à.nous nous P.nous aller à1 Quimper à1 chercher P.nous nous aller à1 maison André
'Mais elle dit: "Nous devrions aller chercher à Quimper, aller chez André.'
Basse-cornouaille, Madeg (1993:19)


(9) Disadorn e oam bet ahanom e-barz Kemper c'hoaz.
jour.samedi R4 étions all.é P.nous dans Quimper encore
'Samedi nous sommes retournés à Quimper.'
Basse-cornouaille, Madeg (1993:19)


Distribution

Les pronoms forts indépendants apparaissent prototypiquement en position préverbale de focus, de topique, ou de topique suspendu (de lecture 'quant à… '), en périphérie droite de la phrase ou en incises.

On en trouve aussi intégrés à la phrase dans toutes les autres structures où un pronom est focalisé, apportant de l'information nouvelle.


périphérie droite

(1) ma pi gwelet nac'h fi.
si 2.aurait v.u le 1chose-ça vous
'Si seulement tu avais pu voir ça, toi !'
Michelle Nicolas (Plozévet), Kontañ kaoz (06/2019)


en incise

Les pronoms forts indépendants sont aussi ceux qui apparaissent en isolation dans une incise.


(2) m' ha punissou, , pé n'ellein quet er gobér.
moi te punirai toi ou ne1 pourrai pas le.IN faire
'Je te punirai, toi, ou je ne le pourrai pas.'
Vannetais, Guillome (1836:32)

périphérie gauche

évidentiels

En (3), le pronom fort est l'argument de la préposition evit qui est ici un marqueur d'évidentialité. On trouve aussi cette structure avec des pronoms incorporés (Evidout, ne gani ket.).


(3) Evit te, ne gani ket.
pour toi ne1 chanteras pas
'Pour toi, tu ne chanteras pas.'
Trégorrois (Tréguier), Le Clerc (1986:§76)


En (4), Le pronom fort est au vocatif, à la droite d'une interjection.


(4) Ac'hanta te, mindrailher e vabouzenn !
sacré ! toi mitraill.eur son1 bavoir
'Sacré mitrailleur à bavette, va !'
Standard, An Here (2003:51)


hors focus

Les pronoms forts indépendants, du moins dans certains dialectes, n'apparaissent pas uniquement en position de focus pour apporter de l'information nouvelle. En (5), le référent du pronom c'hwi a été auparavant introduit dans le discours par l'impératif qui le précède.


(5) Debrit bara louet ha c'hwi 'po 'n anal hir.
mangez pain moisi et vous 2PL 2.aura le haleine long
'Mangez du pain moisi et vous aurez du souffle.'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:I)


A Riantec près de Lorient, Benoît Allaire (2018) collecte un pronom fort à l'intérieur d'une incise, peu susceptible de porter un focus. Le pronom était installé bien avant dans le discours et ne porte pas d'information nouvelle.


(6) Ha mi zo oeïd déh ir jardreingn, heï 'laré, "imeingn tout i koéh" !
et moi est all.é hier en.le jardin elle disait sont tout à4 tomber
'Et je suis allée hier au jardin, elle me disait, "ils sont tous en train de tomber !'
Vannetais (Riantec), RJ., collecté par B. Allaire, dico parlants 2018


On trouve aussi des pronoms forts indépendants dans les infinitives narratives, mais il faut souligner qu'alors il n'y aurait de toute façon pas la possibilité de recourir à un sujet sous forme de pronom incorporé puisque le verbe n'est pas tensé.


(7) Kerkent a ma voa débret ho méren gant ar réman, ac hint en dro dar parck...
aussitôt que que était mang.é leur2 goûter avec le ceux.ci et eux de.retour à.le parc
'Aussitôt le goûter avalé, ils retournèrent au champ.'
Léonard pré-moderne (Plouider, 1905), Burel (2012:192)


tous les pronoms focalisés

Les pronoms focalisés qui ont la distribution des groupes nominaux sont toujours sous la forme de pronoms forts indépendants. Ils peuvent être focalisés même si ils réfèrent à un inanimé.


(1) … a roe an eur d'an oll.
lui R1 donnait le heure à1 le tous
'… c'est lui qui donnait l'heure à tout le monde.' (le tram)
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:6)


ken …

(2) N'eo ken laer anezhañ.
ne1 est seulement lui voleur P.lui
'Ce n'est qu'un voleur.'
Troadec, 105, Timm (1995:21)


… ivez

(3) … o fedenn trema an hani he deus anavezet hi ivez an holl glac'har...
leur2 prière vers le N 3SGF 3.a conn.u elle aussi le tout chagrin
'...leur prière vers celle qui a connu, elle aussi, la grande affliction… '
Vannetais, Ar Meliner (2009:108)


e-unan

(4) … rak e-unan a 'n em gargas eus ar gefridi…
car lui son1-un R 'se1 chargea de le 1tâche
'...car il se chargea lui-même de la tâche … '
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:17)


en prédicat

Un pronom fort peut être le prédicat d'une copule.


(5) (Ne) 'm eus ket klevet laret la' oa hi !
ne1 1SG a pas entend.u dire que était elle
'Je n'ai pas entendu dire que c'était elle !'
Favereau (1997:§598)

ordre des pronoms forts en coordination

En structure de coordination, l'ordre respectif des arguments nominaux de la coordination n'est pas grammaticalement important. Cependant, lorsqu'il s'agit de pronoms, l'usage induit des préférences dans l'ordre des constituants (mon fils et moi, vs. ?/#moi et mon fils).

En (1), en breton et en français de Plozévet, la structure ni… ni privilégie un ordre des mots avec le pronom fort indépendant en fin de message. C'est l'ordre opposé qui est favorisé en français standard.


(1) /nãn'veõ naɡ i 'xwa:r naɡ 'i/ Breton Plozévet
N'anavezan nag he c'hoar nag hi
ne1 connais ni son2 sœur ni elle
'Je ne connais ni sa sœur, ni elle.' Français Plozévet, Goyat (2012:246)
'Je ne connais ni elle, ni sa sœur.' Français standard

Accord

Les pronoms forts indépendants devant le verbe, en zone de focus par exemple, sont suivis d'un accord pauvre sur le verbe.

Lorsque, tout-à-fait exceptionnellement, on trouve des sujets pronominaux forts dans le champ du milieu, ceux-ci déclenchent aussi un accord pauvre comme le ferait un sujet lexical. Dans l'exemple exceptionnel en (3), le pronom fort 2PL c'hwi semble être le sujet postposé à sa copule 3SG.


(3) Ar penneka dén eo c'hwi.
le têt.u.le.plus personne est vous
'Le plus têtu c'est vous.'
Léonard, Seite (1975:90)


(4) Penoz vez te ar mab am boa ganet.
comment est toi le fils R.1SG 1.avait n.é
'Comment es-tu le fils dont j'ai accouché ?'
Trégorrois (Plouguiel), Laurent (1971:48)

Sémantique

D'habitude, les pronoms forts indépendants du breton supportent mal les lectures de variables liées, où on trouve plutôt la tête nominale (an) hini ou son pluriel (ar) re.


(1) sud ma ɔ̃ a gɔ̃ pʁɛn ket n dʁa s
Sot ema ha (ne) gompren ket an dra-se.
sot est lui que 1comprend pas le 1chose.
'Il est fou celui qui ne comprend pas cette chose.'
Cornouaillais (La Forêt Fouesnant), Avezard-Roger (2004a:139)


Diachronie

Fleuriot (2002:17) donne les formes suivantes:

en vieux breton: mi, me; ti, te; em: hi; ni; hui; i
en moyen breton: me; te; eff; hi; ni; huy; i, int
en breton moderne: me; te; eñ; hi; ni; c'hwi; i, int

Il note qu'en vannetais, les formes anciennes ti et hui persistent.

Les première et seconde personnes plurielles ni et c'hwi posent un problème particulier de reconstruction. Lewis & Pedersen (1961:215) proposent des pronoms obliques en *snēs et *swēs en proto-celtique. Katz (1998:80-84) propose, lui, des pronoms sne et swe, avec une longueur de voyelle dérivant de l'accent. Sur la base de l'équivalent gaulois sní 'nous', il pointe que le -s nominatif n'a pas à être postulé pour obtenir la voyelle. Pour une discussion de l'étymologie de ni et c'hwi en indo-européen, se reporter à Shields (2003).


Horizons comparatifs

cornouaillais moyen et moderne: my, me; ty, te; eff; hy; ny; why; i
moyen gallois: mi; ti; ef; hi; ni; chwi; wy; wynt


Terminologie

Les pronoms forts indépendants sont appelés en breton: raganvioù-gour dizalc'h (Fleuriot 2002, KAG 2016).


Bibliographie

  • Fleuriot, Leon. 2002. 'Ar raganvioù gour er yezhoù predenek', Hor Yezh 229, 17-26.
  • Katz, Joshua. 1998. Topics in Indo-European Personal Pronouns, thèse de l'université de Harvard.
  • Hamp, Eric, P. 1959. 'Middle Welsh, Cornish and Breton Personal Pronominal Forms', Études Celtiques 8(2), 394-401.
  • Shields, Kenneth. 2003. 'On the origin of Celtic first and second person plural personal pronouns in *-s', Zeitschrift für celtische Philologie 53:1, 168-180.