Ordres à VP antéposé

De Arbres

La phrase bretonne peut commencer par un groupe verbal infinitif (le verbe, son objet, le reste de ses dépendants) comme en (1). On dit que ce groupe verbal, appelé VP pour verb phrase en anglais, est antéposé. Cette structure a des propriétés particulières et l'effet obtenu est un focus sur ce groupe verbal. En (1), la structure informationnelle de la phrase impose une focalisation du groupe verbal Toulliñ kaoz ganin 'parler avec moi'.


(1) Toulliñ kaoz genin ' faote dezhoñ __ .
[ trouer conversation avec.moi ] R fallait à.lui <VP>
'Il voulait engager la conversation avec moi.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:28)


Syntaxe

compatibilité avec la négation

Les groupes verbaux infinitifs focalisés peuvent apparaître au-dessus de la négation (Stephens 1982:97, Jouitteau 2005/2010).

En (1), la structure verbale entière se trouve à l'initiale. Le syntagme verbal a été mis en zone focale devant un modal. La présence de la négation ne fait pas barrage.


(1) … un dra a zo sur : bout frañsizion ne c'hellint ket _ .
un 1chose R est sûr [VP être Franç.ais ] ne1 pourront pas Ø
'… une chose est sûre: c'est qu'être français, ça ils ne pourront pas !'
Vannetais, Herrieu (1994:288)


le sujet reste en bas de la structure

La structure verbale VP peut être antéposée en laissant son sujet en bas dans la structure.


(2) Difoeltra toud ar porz a ree an dour-ze __ .
[ .foudr.er tout le cour ] R faisait le eau. <VP>
'Cette grande pluie-là défonçait complètement la cour.'
Trégorrois, Gros (1970b:§'foeltra')


clivée

On peut en breton focaliser un groupe verbal en l'antéposant à l'auxiliaire ober 'faire' sous sa forme dite 'anaphorique', qui porte les traits de temps et d'accord éventuel du sujet. En (3), le groupe verbal infinitif est dans une double clivée.


(3) N'eo ket peuketa eo a reas kenskolidi ar breur Arturo. C'hoarzhin didro ne lavaran ket.
ne1 est pas toussoter est R fit co.écol.iers le frère Arturo rire franchement ne1 dis pas
'Les camarades du frère Arturo ne toussotèrent, pas, mais rirent franchement.'
Standard, Drezen (1990:69)


(4) Peuriñ a reont ha n'eo ket debriñ eveldomp.
paître R font et ne1 est pas manger comme.nous
'Ils PAISSENT et ne mangent pas comme nous le faisons.'
Abeozen (1954:10)
cité dans Le Gléau (1973:45)


mouvement A-barre

Les groupes verbaux infinitifs focalisés peuvent être antéposés à longue distance (Stephens 1982:97, Jouitteau 2005/2010).

Les mouvements de groupe verbal en zone focale initiale ont les propriétés du mouvement A-barre. Ces propriétés syntaxiques contrastent fortement avec les propriétés des antépositions de têtes verbales qui sont, elles, ultra-locales.


adverbes focalisateurs

Le groupe verbal peut être antéposé seul ou être précédé d'un adverbe focalisant comme betek 'jusqu'à, même'.


(3) Betek nijal war ma c'hein on barrek d'ober !
[ jusqu'à nager sur mon2 dos ] suis capable de faire <VP>
'Je peux même faire du vol plané sur le dos !'
Standard, An Here (1996:6)


cas de remontée de VP sans l'objet

Dans ces cas d'antéposition de tout un groupe verbal, on peut voir le verbe antéposé accompagné d'un objet, ou d'adverbes, en contraste avec les structures syntaxiques où seule une tête verbale est antéposée.


(4) Feiz ! C'hoarzin digalon a ra an den __ .
ma foi ! [ rire sans1.cœur ] R1 fait on <VP>
'On rit jaune.'
Trégorrois, Gros (1989:'kalon')


Il existe cependant aussi exceptionnellement des cas de remontée d'un groupe verbal infinitif entier qui laisse tout de même son objet dans le champ postverbal. C'est le cas ci-dessous avec un effet clair de focus induit par ken 'seulement'. Dans ce cas, il s'agit d'un objet prosodiquement assez lourd, car suivi d'une relative, qui pourrait avoir été évacué du groupe verbal en périphérie droite avant l'antéposition de VP.


(4) Heullian ___ n'am euz graet ken __ ar pez an oa kavet da waz karantezus.
[ suivre ] ne1 R.1SG a fa.it seulement ce que R.3SGM avait trouv.é ton1 mari amour.eux
'Je n'ai fait qu'exécuter ce qu'avait imaginé ton affectueux mari.'
Haute-Cornouaille (Kergrist-Moëlou), Le Garrec (1901:12)


distribution

Les antépositions de groupe verbal peuvent générer un auxiliaire faire. Cela n'est pas restreint aux verbes transitifs, ce qui montre que la sélection de l'auxiliaire tensé ne dépend de la structure thématique du verbe lexical antéposé.


(5) Beva o-deus greet o-zri e Bro Gerne.
[ VP vivre ] 3PL a fa.it leur-trois en pays 1Cornouaille
'Les trois ont vécu en Cornouaille.'
Léonard (Cléder), Seite (1998:11)


arguments vs. circonstanciels et la question du composé neus graet

Stephens (1982:167) dégage une différence syntaxique entre les arguments du verbe, qui doivent absolument accompagner le VP dans son antéposition, et ses circonstanciels qui peuvent être laissés dans le champ postverbal.


(1) Kannañ he dilhad ( war ar stank ) a ra Mari (war ar stank ).
battre son2 habits sur le étang R1 fait Marie sur le étang
'Marie fait sa lessive à l'étang.'
Trégorrois, Stephens (1982:169)


(2) Lakaat ar gwer (war an daol ) en deus graet (* war an daol ).
mettre le verres sur le table R.3SG a fa.it sur le table
'Il a mis les verres sur la table.'
Trégorrois, Stephens (1982:167)


(3) Lakaat ho troad ( er par ) ho peus graet (* er par ).
mettre votre3 pied en.le prêt 2PL a fa.it en.le prêt
'Vous avez placé votre pied en position.'
Trégorrois, Stephens (1982:167)


  • Lakaat ar saout (en o c'hraou) ho peus graet (* en o c'hraou).
  • Mont (da gêr) neus graet (* da gêr).
  • Dont (deus kêr) he deus graet (* deus kêr).


Cependant, les exemples utilisés par Janig Stephens utilisent indifféremment l'auxiliaire synthétique (… a ra) ou composé (… neus graet). Ce sont les topicalisations de VP reprises par graet qui doivent être totales, et ne peuvent pas laisser une partie de leur constituant dans le champ postverbal.


sans focus ?

Kervella donne deux exemples d'antéposition de verbe d'état avec son attribut. L'effet ne semble pas focal.


(1) Chom gwall yen a ra __ an amzer.
rester très froid R1 fait le temps
'Le temps reste très froid.'
Standard (Dirinon), Kervella (1947:§717)


(2) Bet gwall yen eo ___ an amzer er miz-mañ.
été très froid est le temps en.le mois.ci
'Le temps a été très froid ce mois-ci.'
Standard (Dirinon), Kervella (1947:§717)

À ne pas confondre avec l'antéposition d'une tête verbale

Les propriétés syntaxiques d'une antéposition de groupe verbal sont différentes de celles de l'antéposition d'une tête verbale seule. Malgré leur ressemblance en surface, la structure d'antéposition de groupe verbal en (1) est très différente de la structure d'antéposition de tête verbale infinitive en (2). Entre autres, la première a un effet de focus et est compatible avec la négation mais pas la seconde.


(1) Prenañ ur porpant a reas Anna er marc'had.
acheter un veste R1 fit Anna en.le marché
'Anna a acheté une veste au marché.'
Trégorrois, Stephens (1982:175)


(2) Prenañ a reas Anna ur porpant er marc'had.
acheter R1 fit Anna un veste en.le marché
'Anna a acheté une veste au marché.'
Trégorrois, Stephens (1982:174)


Pour les structures où seule une tête verbale est antéposée et où l'objet reste dans le champ postverbal, se reporter à l'article sur l'antéposition stylistique (et voir Stephens 1982, Borsley, Rivero & Stephens 1996, Borsley & Kathol 2000, Jouitteau 2005, 2007...).

Analyse

génération dans une position de topique

Dans un cadre d'analyse générativiste précoce, Stephens (1982) utilise le terme de topicalisation pour les VPs antéposés. Ce VP lie l'auxiliaire qui est alors dit "anaphorique".

un mouvement A-barre dans une position de focus

Le groupe verbal infinitif en son entier monte en périphérie gauche dans le spécifieur d'une projection de focus (Jouitteau 2005/2010). Il n'est donc pas possible d'avoir ces ordres de mots avec une structure informationnelle plate.

Cette prédiction est vérifiée par Kennard (2013:199), qui pointe qu'en résultat de son protocole d'élicitation conçu pour obtenir des structures informationnelles plates, sans focalisation sur le groupe verbal, elle ne trouve aucune occurrence d'antéposition de groupe verbal infinitif chez les locuteurs traditionnels, les jeunes adultes ou les enfants des alentours de Quimper.

L'hypothèse d'un mouvement dans une position de focus prédit que l'antéposition de VP a les propriétés d'un mouvement A-barre.

Diachronie

L'exemple ci-dessous illustre une antéposition de VP avec lecture de focus contrastif en trégorrois pré-moderne,


(1) Fontanellan n'anaveann ket, Klevet komz anean 'm euz gret.
Fontenelle ne1 connais pas entend.u parler P.lui R.1SG a fa.it
Je ne connais pas La Fontenelle, mais j'en ai ouï parler.'
Trégorrois pré-moderne, La Villemarqué (1846:94-95)


Terminologie

Le terme désignant ces paradigmes en anglais est VP fronting.

Bibliographie

  • Stephens, Janig. 1982. Word order in Breton, Ph.D. thesis, School of Oriental and African Studies, University of London.

horizons comparatifs

  • Hein, Johannes. 2018. Verbal Fronting: Typology and Theory, phD thesis. texte.
  • Ott, Dennis. 2018. 'VP-fronting: Movement vs. dislocation', The Linguistic Review 35:2, 243-282.