Niveau de langue

De Arbres
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Le niveau de discours est appelé communément le niveau de langue.

En breton moderne, il existe différents niveaux de langues : la langue orale et la langue écrite sont par exemple clairement attachés à des registres différents.

On trouve dans la littérature quelques études lexicologiques sur l'argot ou le breton familier, et surtout des études sociologiques. L'étude des niveaux de langue dans la langue bretonne n'est pas avancée sur son plan syntaxique. On trouve très peu d'études de faits syntaxiques particuliers liés à un niveau de langue particulier, si ce n'est quelques recueils d'expressions idiomatiques.


Inventaire des niveaux de langue en breton

Les termes différents qui caractérisent des niveaux de langue en breton sont listés ci-dessous.

  • les différents termes de disparité dialectale géographisés (certains pouvant être plus valorisés que d'autres)
  • le néo-breton
  • le breton standard
  • le breton littéraire, dont le breton dit de théâtre (Dunn 1909:xxi).
  • le breton d'église
  • le breton mondain (cf. Calvez 2008, 2009, ou dans l'introduction de Burel (2012) par N. Blanchard)
  • l'argot
  • le breton familier
  • le breton populaire
  • le badume (terme désignant une variété de breton comprise dans des cercles très étroits)
  • le breton "Diwan", "Diwaneg", du nom des écoles bretonnes d'immersion.


Ces termes ne renvoient pas à ce jour à des portraits linguistiques précis. On a quelques remarques sur le niveau littéraire, comme son utilisation du passé simple, des descriptions surtout lexicales de quelques argots, et dans une moindre mesure, du breton d'église. Les caractérisations syntaxiques d'une œuvre ou d'un corpus précisent typiquement sa place dans la variation dialectale ou sa relation au breton standard, mais pas le registre d'expression.

Pourtant, on voit dans le portrait linguistique que Jules Gros fait de sa grand-mère la coprésence de bretons différents dans son expression. L'extrait montre bien aussi comment le breton des chansons pouvait recouper le breton d'une variété dialectale.

 Jules Gros, Giraudon (2014:61):
 "Goût a ouie brezhoneg mad, rag n'eo ket awalc'h ar brezhoneg he devoa desket en he bugaleaj er menajoù, en tu-hont da se devoa desket ur bern girioù brezhoneg gant he sonioù hag he gwerzioù, ha brezhoneg an iliz. Ma mamm-gozh a ouie tout he c'hatekiz dre an eñvor hag er c'hatekiz e veze desket d'ar vugale gerioù na vezent ket implijet bemdez. Me 'm eus soñj deus ar gêr "kelennadurezh". Ne gleve den ebet komz deus kelennadurezh; ar gêr "kelenn" a ouie. Hag er sonioù he devoa desket ur bern gerioù Leon."    
 [Ma grand-mère parlait un bon breton, car ce n'était pas seulement celui appris dans son enfance dans les fermes mais aussi les nombreux mots de vocabulaire figurant dans ses chants et complaintes et le breton d'église. Elle savait tout son cathéchisme par coeur, et au cathéchisme, les enfants apprenaient des mots qu'on ne disait pas tous les jours. Je me souviens du terme "kelennadurezh". Elle n'entendait personne parler de "kelennadurezh"; elle connaissait le mot "kelenn". Et dans ses chansons, elle avait aussi appris des termes du Léon.]

Jones (1998a:321) propose de distinguer trois catégories : le breton dialectal parlé par les classes populaires qui subit une forte pression lexicale du français dans son lexique mais pas sa syntaxe, le breton standard littéraire, marque des plus vieux locuteurs éduqués et du clergé, qui est assez exempt de pressions de contact dues au français, et enfin le néo-breton parlé par les classes moyennes aux XXe et qui serait influencé dans sa syntaxe par le français, mais pas dans son lexique.

L'existence même de certaines de ces catégories, et la coïncidence entre certaines catégories entre elles est le sujet de débats. La part d'influence du français sur ces différentes variétés est aussi une question qui mériterait une étude syntaxiquement et/ou morphologiquement argumentée.


 Dunn (1909:xxi) cité dans Calvez (2008):
 "La langue du théâtre breton était une langue artificielle qui n'était parlée que sur la scène et était fort différente de la langue habituelle. C'était une marque caractéristique du style des drames bretons, et aussi une marque d'élégance et de supériorité de la part de l'auteur d'introduire dans son discours un grand nombre de locutions françaises et de mots français taillés à la bretonne, tout comme dans les romans anglais d'autrefois c'était la mode de mêler la conversation des personnages avec des phrases empruntées au français."


Diachronie et diglossie

L'état de bonne santé d'une langue peut se mesurer, entre autres symptômes, à la richesse de ses niveaux de langue, et le breton parlé au XXIe siècle a une richesse de niveaux de langue manifestement inférieure à ce qu'elle avait un siècle auparavant. Dressler & Wodak-Leodolter (1977:37) considèrent qu'il y a une réduction stylistique du lexique en Breton et que la différenciation stylistique y perd de son importance, laissant les locuteurs avec uniquement un style familier. La richesse des niveaux de langues en breton, plus grande à mesure qu'on remonte dans le passé, doit cependant être relativisée car l'usage du français dans un cadre bilingue diglossique est installé en Bretagne de très longue date.

 Le Dû (1997a):
 "tout sujet parlant possède au moins deux registres, l'un familier, quotidien que nous qualifions de paritaire, l'autre formel que nous appelons disparitaire. La diglossie, loin d'être une situation restreinte à des cas particuliers, est le mode ordinaire d'existence d'une conscience linguistique. Pour nombre de bretonnants âgés, le breton est le registre paritaire, celui de l'intimité, par opposition au français de l'école, disparitaire, véhicule des échanges formels."


Rottet (2014a) étudie les choix lexicologiques des dictionnaires bretons, et note une tendance dans Favereau (1993, 2000) et Ménard (2012) à assigner les mots de racines celtiques à un niveau de langue neutre (neutre pour un dictionnaire, donc en fait assez soutenu), et les formes dialectales et de racines romanes à un niveau familier.

Testabilité

Syntaxiquement, les différents niveaux de langue peuvent être testés car deux niveaux de langues différents dans la même phrase provoquent un effet de rupture très sensible (cf. As-tu garé la bagnole ?, où l'inversion verbe-sujet, marque d'un parlé assez soutenu, contraste avec le français familier "la bagnole").


Horizons comparatifs

Rottet (2014b) compare deux traductions galloises d' Alice aux pays des Merveilles, l'une en gallois littéraire, l'autre en gallois familier. Il établit une liste de traits grammaticaux qui différencient les deux niveaux de langue.


Terminologie

Le terme anglais est speech level.

Bibliographie

  • Calvez, R. 2009. 'La métaphore mondaine. Kerenveyer et les littératures du breton', La Bretagne Linguistique 14, CRBC. 25-40.
  • Calvez, R. 2008. 'Du breton mondain', Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest 115:3, 135-153, texte.
  • Dołowy-Rybińska, Nicole. 2016. 'Language Attitudes and Community Engagement: Diwan–The Breton Immersion High School Through the Eyes of Its Pupils', Journal of Language Identity & Education 15(5):280-292.
  • Le Dû, Jean. & Yves Le Berre. 1996. 'Parité et disparité – Sphère publique et sphère privée de la parole', La Bretagne Linguistique 10, Université de Bretagne Occidentale : Brest.
  • Le Dû, Jean. 1980. 'Sociolinguistique et diglossie: Le cas du breton', B. Gardin; J.-B. Marcellesi; GRECO, Rouen, Sociolinguistique : Approches, théories, pratiques, Presses Universitaires de France, Paris, 153-163.
  • Dunn, Joseph. 1909. texte et introduction de La vie de Saint Patrice. Mystère breton en 3 actes, Paris/Londres, Champion/Nutt Oberthür.
  • Gourmelon, Yvon. 2012. 'Herezh ar brezhoneg beleg ha penaos en em zizober dioutañ', Notennoù yezhadur, Al Liamm (éd.), 45-58.
  • Hemon, Roparzh. 1998. 'Brezhoneg skrivet ha brezhoneg komzet', Hor Yezh 215:35.
  • Jones, Mari C. 1998a. Language Obsolescence and Revitalization, Linguistic Change in two Sociologically contrasting Welsh Communities, Oxford, Clarendon Press.
  • Jones, Mari C. 1998b. 'Death of a Language, Birth of an Identity: Brittany and the Bretons', Language Problems and Language Planning 22(2), 129-42.
  • Kergoat, Lukian. 1996. 'Live Yezh ar c'hannaouennoù Pobl', Klask 3: 43-55.
  • Timm, Lenora. 2005. 'Language Ideologies in Brittany, with Implications for Breton Language Maintenance and Pedagogy', Journal of Celtic Language Learning 10, pdf.


horizons comparatifs

  • Lambert, Pierre-Yves., 2011b. 'L'élaboration d'une langue de culture dans l'Irlande médiévale (appendice : Note sur les remarques critiques du scribe du Livre de Leinster (ou Livre de Noughaval))', Bihan (ar) H. (éd.), Mythes, Littérature, Langue, Gwengeloù, Lennegezh, Yezh, TIR, Klask 10: 131-154.
  • Rottet, Kevin J. 2014b. 'Formal and colloquial register in Welsh as seen in Alice in Wonderland', Journal of Celtic Language Learning 18: 40-62.