Négation discontinue

De Arbres

Le breton a une négation propositionnelle dite discontinue ou bipartite. Il s'agit par exemple des éléments ne et ket qui entourent le verbe tensé.


(1) An nen ne oar ket bepred.
on ne1 sait pas toujours
'On ne sait pas toujours.'
Cornouaillais (Riec), Mona Bouzeg, c.p. (01/2009)


Syntaxe

ne … adverbes

Les deux éléments ne et ket ne sont pas systématiquement associés. Ne peut fonctionner avec d'autres mots négatifs tels que: des adverbes négatifs (ken, mui 'plus'), certains noms nus pouvant eux-mêmes être accompagnés de ebet 'aucun', l'item de polarité négative nep, ou sa version intégrée morphologiquement nep-, nemet, etc.


(2) An hini e-neus c'hoant da vezañ brevet 'n-eus ken dond er-mêz ganin-me !
le celui 3SGM a envie de1 être broy.é ne1 a que venir dehors avec.moi-moi
'Celui qui veut être broyé n'a qu'à venir dehors avec moi !'
Trégorrois, Gros (1984:29)


(3) N'eus ken arne !
ne1 est plus orage
'Il n'y a plus d'orage !'
Léonard (St Thégonnec), Kerrien (2000:18)


distribution

La négation en breton n'est bipartite que dans les domaines tensés. Dans les infinitives, la forme de la négation est continue: nompas.


(4) abalamour da Yann nompas ankouaad...
à.cause.de de Yann ne.pas oublier
'Pour que Yann n'oublie pas.'
Trégorrois, Tallerman (1997:219)


Horizons comparatifs

stade II du cycle de Jespersen

La négation bipartite correspond à ce qu'on appelle le stade II du cycle de la négation également connu sous le nom de cycle de Jespersen. Plus précisément, l'évolution des marqueurs négatifs à travers les langues suit généralement les étapes suivantes :

 (I) Marqueur négatif préverbal (soit morphème libre, soit clitique) 
   comme par exemple en italien actuel Gianni non è venuto. 'Jean n'est pas venu.'
 
 (II) Marqueur négatif + Verbe + Marqueur négatif emphatique. 
 La négation préverbale est perçue comme insuffisante et un deuxième élément est de plus en plus souvent utilisé. 
 Il s'agit le plus fréquemment d'un morphème libre, de nature adverbiale.   
 
 (III) Verbe + marqueur négatif. 
 Le marqueur négatif postverbal est grammaticalisé, comme en allemand Maria spricht nicht viel 'Maria ne parle pas beaucoup.'


Le stade II est peu stable diachroniquement, au sens que c'est celui où il y a le plus de fluctuations. Il est très fréquent que l'un ou l'autre des deux marqueurs soit optionnel avant que l'usage stabilise leur distribution et leur rôle sémantique. La négation bipartite est assez rare typologiquement. Elle est représentée en français avec [ne VERBE pas], ou encore dans des langues comme l'ewegbe. De Swart (2006) cite aussi le piémontais, le gallois ou l'afrikaans.


Intérêt théorique

Breitbarth & Haegeman (2008) discutent l'évolution du système négatif dans plusieurs langues et dialectes germaniques et font l'hypothèse que les deux éléments d'une négation bipartite ne remplissent pas le même rôle. Plus précisément, l'élément préverbal n'est pas une négation, mais un marqueur de polarité (notion qui intègre non seulement la négation, mais également certains types de subordonnées, questions ou phrases impératives). Leur analyse prédit également qu'une langue ne garde l'élément préverbal que s'il acquiert d'autres fonctions dans la langue, le plus souvent un usage emphatique (flamand, portugais, dialectes italiens).

L'étude détaillée de la situation du breton pourrait permettre de vérifier les généralisations et les hypothèses avancées pour d'autres langues qui ont une négation bipartite.


Terminologie

En anglais, le terme est discontinuous negation.


Bibliographie

  • Breitbarth, Anne & Liliane Haegeman. 2008. Not continuity, but change: stable stage II in Jespersen's cycle. Manuscript, University of Cambridge & STL Lille III.