Linguistique générative

De Arbres

La grammaire générative est une linguistique cognitive. C'est une grammaire dont le but est de caractériser la faculté du langage humain. C'est cette faculté mentale innée, propre à l’espèce humaine, qui nous permet d'acquérir notre langue maternelle.

S'il n'arrive rien de grave à un enfant humain, quel qu'il soit, celui-ci internalise dans ses trois premières années de vie les règles des langues naturelles avec lesquelles il est en contact. Dès lors, cet enfant peut décider, en voyant une phrase qu'il n'a jamais entendue auparavant si cette phrase est grammaticale ou non. Il peut aussi produire un nombre infini de phrases grammaticales dans cette langue, dont des phrases qu'il n'avait jamais entendues auparavant. C'est donc qu'il a internalisé une connaissance, la grammaire, bien au delà de ses facultés de répétition. La grammaire générative s'emploie à modéliser cette connaissance que le locuteur a de sa langue (ou de ses langues).


Les grammaires génératives

Pour caractériser la faculté de langage de l'espèce humaine, une grammaire générative construit les règles qui produisent (génèrent) les phrases grammaticales d'une langue donnée. C'est une grammaire qui doit pouvoir prédire quelles phrases sont grammaticales dans une langue naturelle donnée, mais aussi quelles phrases ne sont pas grammaticales dans cette langue. La grammaire générative essaie en cela de modéliser la compétence d'un locuteur natif.

Pour ce faire, la grammaire générative dégage des invariants, des Principes, c'est-à-dire des règles de grammaire qui seront vraies dans toutes les langues naturelles ainsi que des points de variation, des Paramètres, qui rendent compte de la variation des règles d'une langue à l'autre.

Les grammaires génératives sont des grammaires formelles qui existent en plusieurs modèles qui peuvent, historiquement, s'opposer, s'éloigner ou se rapprocher, comme les modèles chomskyens successifs, HPSG ou LFG.


normatif vs. descriptif vs. comparatif

La grammaire générative a pour but de formaliser les intuitions des locuteurs natifs. Il s'agit de modéliser ce qui fait qu'un locuteur natif trouve telle phrase grammaticale et telle autre agrammaticale.

Cette grammaire ne s'intéresse donc pas aux règles normatives du breton, que ce soit d'un dialecte particulier ou du standard. Ce n'est pas une grammaire prescriptive.

C'est une grammaire descriptive, puisqu'elle considère les données qui existent dans cette langue et s'appuie sur des généralisations empiriques.

C'est une grammaire comparative, puisque ses formalisations ont pour but de pouvoir comparer les variantes linguistiques entre elles, dégager les invariants et les zones de variation. C'est dans cette perspective comparative que la grammaire générative s'intéresse à la variation dialectale et à la typologie.

C'est une grammaire qui n'est pas linéaire, elle s'intéresse à la structure syntaxique et établit des hiérarchies de constituants. Elle dresse la carte des grands domaines de la phrase: périphérie gauche (CP), domaine tensé, champ du milieu, groupe verbal (VP), périphérie droite...

C'est une grammaire formelle de prétention scientifique. Elle fait des prédictions sur les ordres de mots possibles et impossibles dans une variété donnée. Ces prédictions doivent pouvoir être vérifiées dans le domaine empirique.


méthodologie associée

Les grammaires génératives peuvent se nourrir de toutes les grammaires descriptives, et de toutes les linguistiques de corpus en ce que ces grammaires précisent le domaine empirique.

Puisque le but est aussi de pouvoir prédire toutes les structures qui ne sont jamais grammaticales dans une langue donnée, la grammaire générative a aussi besoin de données agrammaticales où un locuteur natif donné, situé dans une variété linguistique particulière, ne reconnait pas un mot ou une structure comme faisant partie de sa langue. Ces données dites "négatives" excèdent ce qui se trouve dans les corpus, où par définition on ne trouve pas les phrases agrammaticales. Les structures que l'on trouve en corpus libre et que les locuteurs jugent eux-mêmes agrammaticales renseignent sur la performance, et non pas sur la compétence, c'est-à-dire sur la grammaire interne. Les limites possibles des structures sont donc étudiées au moyen de séances d'élicitation, où des locuteurs natifs confirment les statuts de grammaticalité des phrases.

L'émergence des études génératives de la syntaxe du breton

Il est intéressant de voir comment un courant scientifique comparatiste mondial naît et se construit dans le domaine d'étude d'une langue minorisée comme la langue bretonne. Je me limite ci-dessous à un historique des études syntaxiques, mais le domaine de la phonologie générative pourrait être étudié en regard.

La grammaire générative est développée initialement dans une littérature scientifique anglophone. Ses outils théoriques sont développés principalement dans les grandes universités d'Amérique du Nord puis du Royaume-Uni. Ces lieux universitaires réunissent alors quatre facteurs convergents nécessaires pour l'étude formelle de la syntaxe du breton : (i) un accès aisé à l'anglais, (ii) des bibliothèques universitaires qui permettent aux chercheurs et aux étudiants de lire les résultats de leurs collègues, (iii) des formations universitaires aux outils théoriques, (iv) l'accès pour les chercheurs aux données de locuteurs natifs et d'experts sur la langue. Enfin, on distingue un facteur de facilitation avec (v), des universités ayant une tradition pré-existante d'étude des langues celtiques (Harvard, mais aussi Santa Cruz avec les études pionnières sur l'irlandais de J. Mc Closkey).


les études pionnières du XX°

L'intérêt pour le breton est d'abord allumé dans la tradition générativiste par plusieurs auteurs américains à la fin des année 70. Ceux-ci s'intéressent au breton car celui-ci pose un problème d'analyse de l'ordre de base des mots. C'est une langue VSO qui montre pourtant les signes d'un groupe verbal V-O dont le sujet est exclu. Ceci met en lumière l'existence d'une dérivation pour obtenir l'ordre VSO (Anderson & Chung 1977).


L'intérêt pour la dérivation de l'ordre basique des mots dans la phrase se focalise ensuite sur la variété des ordres à verbe second. Wojcik (1976) s'intéresse précisément aux temps analytiques en ober, qu'il obtient par antéposition du nom verbal infinitif et insertion de l'auxiliaire. Anderson (1981), après des élicitations en dialecte trégorrois rendues possibles par des fonds de l'université de Harvard, propose un mouvement général de topicalisation des arguments du verbe ou du verbe lexical devant un auxiliaire tensé. Wojcik (1981) lui répond que le verbe lexical ne peut pas être antéposé devant le verbe tensé car cela prédirait incorrectement la possibilité de le faire à longue distance et au dessus de la négation.


S'ensuit une période anglaise. Dans sa thèse de 1982 de l'école des études orientales et africaines de l'université de Londres, Janig Stephens, native du trégorrois de Lannion, distingue les propriétés du mouvement de focalisation d'une part, et du mouvement du verbe non-tensé (infinitif ou participe) d'autre part. Elle les lie à des structures informationnelles différentes. Les antépositions de têtes verbales posent un problème d'analyse car ce mouvement semble violer la règle syntaxique sur les mouvements de têtes. Maria-Luisa Rivero, qui a fait une thèse en 1970 à l'université de Rochester (USA) et enseigne à l'université d'Ottawa au Canada fait alors le lien avec ce qui a été appelé le "long mouvement de tête" dans les langues slaves comme le bulgare. Borsley, Rivero & Stephens (1996) puis Borsley & Kathol (2000) dégagent précisément les défis théoriques que les antépositions de tête verbale en breton posent pour un cadre d'analyse génératif. Rivero (1999, 2000) propose d'analyser V2 comme un effet d'interface de la syntaxe avec la Forme Phonologique. L'article de 1999 est publié comme chapitre d'un ouvrage canadien peu distribué. Son titre, Stylistic verb-movement in yes-no Questions in Bulgarian and Breton laisse penser qu'il concerne exclusivement les interrogatives et il sera peu cité. Il ne devient disponible en Bretagne que quinze ans plus tard, lorsque son texte apparaît en accès libre sur internet.


En Amérique du Nord, les perspectives ouvertes à la fin des années 1970 sont exploitées dans différentes directions, et la mâturité théorique des études amène des publications dans des journaux de haut profil comme Linguistic Inquiry, et une suite d'articles dans Natural Language and Linguistic Theory. Certains problèmes posés par l'analyse du breton deviennent alors des problèmes classiques, discutés communément au niveau international.

  • Le breton fait partie des langues VSO pour lesquelles on poursuit l'enquête sur la place du sujet par rapport au groupe verbal. Woolford (1991), à l'université du Massachussets, dégage des asymmétries sujet-objet et place le sujet en breton dans le spécifieur du groupe verbal).
  • A l'université de Santa Cruz, Robin Schafer conduit des élicitations avec un natif du trégorrois résidant à Santa Cruz (Californie). Elle s'attaque aux problèmes désormais classiques posés par la structure de la phrase bretonne: le long mouvement de tête (Schafer 1997), la négation et les faits d'accord (Schafer 1995).


Les grammaires formelles gagnent en influence, et des chercheurs d'Amérique du Nord qui sont de tradition plus descriptive infléchissent leurs travaux vers une formalisation qui valorise leurs résultats pour un lectorat formel. C'est le cas de Lenora Timm, de l'université de Davis en Californie qui apporte une description théoriquement informée du breton de Carhaix où elle conduit de multiples études de terrain (Timm 1986, 1987a, b, 1988, 1989, 1990, 1991, 1995...). Au Canada, dans sa thèse de 1996 publiée en 2000, Nathalie Schapansky étudie à partir de corpus vannetais la négation, la structure informationnelle et l'ordre des mots dans la phrase bretonne. Elle allie analyse formelle et études quantitatives, et ouvre avec la comparaison vannetais/KLT le champ de comparaisons interdialectales dans la structure des phrases.

Deux chercheurs tiennent à la fin du XX° une place à part car formés dans le monde anglophone, et en partie dans l'Etat français, ils se tiennent à distance des modèles générativistes dominants, tout en développant une recherche d'aspect descriptif théoriquement informé. Gary German, anglophone natif, écrit sa thèse sous la direction de Jean Le Dû sur le breton cornouaillais de St-Yvi au début de années 80 en ayant accès à la fois aux données de sa mère, locutrice native du breton et aux ressources de la Bibliothèque du Congrès (Virginie, USA, German 1984:6). La thèse est de remarquable qualité descriptive. Elle se restreint aux données positives, et ne recourt pas à l'élicitation. Steve Hewitt, anglophone de naissance lui aussi, est formé aux universités du pays de Galles à Aberystwyth, à l'université de Cambridge puis à la Sorbonne. Malgré son opposition déclarée aux cadres générativistes chomskyens, ses travaux tombent, eux, sous la présente définition des travaux de grammaire générative. Il développe des études formelles qui comprennent des données négatives (Hewitt 1988a) et comparatives entre langues, surtout l'arabe (Hewitt 1985) et l'anglais (Hewitt 1986, 1990). Ses travaux éclairent les thèmes classiques de la grammaire générative; l'impersonnel (Hewitt 1998), la structure informationnelle (Hewitt 1987a), l'ordre V2 d'une langue VSO (Hewitt 1999), le verbe kaout 'avoir' et la sélection de l'auxiliaire (Hewitt 1987b).


A la fin du XX°, internet n'est pas encore une bibliothèque et rares sont les références ci-dessus à être disponibles dans les bibliothèques universitaires des universités bretonnes (à l'exception heureuse d'une photocopie de la thèse de Schapansky dans la bibliothèque du département de breton de l'université de Rennes, cependant classée dans les mémoires de maitrise à cause de son format plus court que les thèses produites en France). A l'université de Rennes, Jean-Yves Urien poursuit la tradition structuraliste de Gagnepain, tradition hostile à l'hypothèse de structure syntaxique qui est à la base des grammaires génératives. Un bref rapprochement s'opère entre le courant génnérativiste et l'université de Rennes II par le biais de Janig Stephens, lors du projet de thèse de Nikolaz Davalan sous la direction de Francis Favereau. A l'université de Nantes, malgré l'existence alors d'un cursus de langue bretonne en option de langue jusqu'à la licence, le rayon breton de la bibliothèque universitaire consiste à la fin du XX° en une dizaine d'ouvrages, dont certains en double et certains en gallois. La médiathèque de la ville de Nantes annonce à la fin des années 90 le tranfert de ses fonds bretons à Rennes. En 1999 s'ouvre à l'université de Nantes un département de sciences du langage sous la direction de Jean Pierre Angoujard qui dans le domaine de la phonologie, articule déjà analyse formelle et domaine empirique des langues minorisées de Bretagne, breton, gallo ou français non-standard. La syntaxe y sera enseignée par Hamida Demirdache, diplomée du MIT avec une thèse de syntaxe formelle sous la direction de Noam Chomsky. C'est elle qui introduit en Bretagne, en commençant modestement par son salon, les photocopies agrafées des références ci-dessus.

Au XX° siècle, on peut dire que la participation et l'accès au débat est nettement et principalement contraint par l'accès physique aux études publiées. Les publications dans les revues de haut profil assurent un lectorat plus large à ces ouvrages. Le XXI° nous dira comment l'ouverture en cours de l'accès aux ouvrages scientifiques module l'évolution de ces mouvements scientifiques.

Bibliographie

breton

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ouvrages généraux

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  • Rouveret, Alain. 2015. Arguments minimalistes, Une présentation du Programme Minimaliste de Noam Chomsky, ENS éditions, Lyon.