Différences entre les versions de « Les mutations consonantiques »

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Les mutations consonantiques sont un trait remarquable des langues celtiques.
Les mutations consonantiques sont un trait remarquable des langues celtiques. Elles modifient les consonnes initiales de [[catégories lexicales]].  
Elles modifient les consonnes initiales de catégories lexicales.  


= Les transformations des mutations =


En breton, les consonnes initiales d'un mot susceptibles de muter sont:  
En breton, les consonnes initiales d'un mot susceptibles de muter sont:  
: K, T, P, G, D, B, M, D, Gw
: K, T, P, G, D, B, M, Gw
:::: (mnémotechnique: '''''K'''asse '''T'''a '''P'''ipe '''G'''ueule '''D'''e '''B'''ois '''M'''armonne '''Gw'''enola'')
:::: (mnémotechnique: '''''K'''asse '''T'''a '''P'''ipe '''G'''ueule '''D'''e '''B'''ois '''M'''armonne '''Gw'''enola'')


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== Les différents déclencheurs des mutations ==
== les différents déclencheurs des mutations ==


=== La lénition ===  
=== la lénition ===  


La mutation consonantique dite '[[1|adoucissante]]' (dictionnaire ''Mouladurioù Hor Yezh'') est déclenchée par:
La mutation consonantique dite '[[1|adoucissante]]' (dictionnaire ''Mouladurioù Hor Yezh'') est déclenchée par:
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: le réflexif ''[[Pronom reflexif|en em]]''
: le réflexif ''[[Pronom reflexif|en em]]''
: l'équivalent du gérondif: ''[[en ur]]'',  
: l'équivalent du gérondif: ''[[en ur]]'',  
: le quantifieur ''[[holl]]''
: le [[quantifieur]] ''[[holl]]''
: ''eme''
: la préposition ''[[eme]]''
: ''gwall'', ''hanter'', et de nombreux autres préfixes.
: la composition morphologique, avec ''[[gwall-]]'', ''[[hanter]]'', et de nombreux autres [[préfixes]].
: un mot féminin singulier, ou masculin pluriel de personnes qui n'ont pas leur pluriel en ''-où'' sur un adjectif épithète ou un nom en apposition  
: un mot féminin singulier, ou masculin pluriel de personnes qui n'ont pas leur pluriel en ''-où'' sur un adjectif épithète ou un nom en apposition  




: '''Cas 1a''': après l'[[les articles|article]] défini ''ar'' et ''an'', et l'[[les articles|article]] indéfini ''ur'' et ''un'' pour les noms féminins singuliers et les noms masculins pluriels de personnes qui n'ont pas leur pluriel en -''où''.
: '''Cas 1a''': après l'[[les articles|article]] [[défini]] ''ar'' et ''an'', et l'[[les articles|article]] [[indéfini]] ''ur'' et ''un'' pour les noms féminins singuliers et les noms masculins pluriels de personnes qui n'ont pas leur pluriel en -''où''.


: '''Cas 1b''': adjectifs épithètes et noms en apposition après les substantifs se terminant par autre chose que L, M, N, R, V ou une voyelle.
: '''Cas 1b''': adjectifs épithètes et noms en apposition après les substantifs se terminant par autre chose que L, M, N, R, V ou une voyelle.
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: ''note'': la mutation de Z après N est facultative dans les cas 1 et 1b.
: ''note'': la mutation de Z après N est facultative dans les cas 1 et 1b.


=== La spirantisation ===
 
=== la spirantisation ===


La '''mutation consonantique dite '[[2|spirante]]'''' (dictionnaire ''Mouladurioù Hor Yezh'') est déclenchée par:
La '''mutation consonantique dite '[[2|spirante]]'''' (dictionnaire ''Mouladurioù Hor Yezh'') est déclenchée par:
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: le [[le rannig|rannig]] ''e''
: le [[le rannig|rannig]] ''e''
: la conjonction ''ma''
: la [[conjonction]] ''[[ma]]''
: la [[Particule o|particule aspectuelle ''o'']]
: la [[Particule o|particule aspectuelle ''o'']]


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Cette mutation consonantique est dite mixte car elle a l'action de la [[1|lénition]] sur les consonnes G, Gw, B et M, et l'action de la [[3|mutation durcissante]] sur la consonne D.
Cette mutation consonantique est dite mixte car elle a l'action de la [[1|lénition]] sur les consonnes G, Gw, B et M, et l'action de la [[3|mutation durcissante]] sur la consonne D.


=== K > C'H ===
=== K > C'H ===
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== oral / écrit ==
Les écrits modernes marquent la plupart des formes mutées. Cependant, certaines mutations consonantiques marquées à l'oral ne sont pas généralement retranscrites, comme typiquement les voisements F > V, ou S > Z.
{| class="prettytable"
| (1) || Blaz vat zo gant''' ar z'''oubenn.
|-
||| goût <sup>[[1]]</sup>[[mat|bonne]] [[COP|est]] [[gant|avec]] [[art|le]] <sup>[[1]]</sup>soupe
|-
|||colspan="4" | 'La soupe a bon goût.' ||||||||||||''Léon (Cléder)'',|| [[Fave (1998)|Fave (1998]]:60)
|-
|||colspan="4" | litt. 'Il y a bon goût avec la soupe.'
|}
{| class="prettytable"
|(2)|| Pa '''z'''avo-hi, ||eñ a ranko ||sevel ive.
|-
| ||[[pa|quand]]<sup>[[1]]</sup> [[sevel|lèvera]]-[[écho|elle]]  || [[pfi|lui]] [[R]] [[rankout|devra]] || [[sevel|lever]] [[ivez|aussi]]
|-
|||colspan="4" | 'Quand elle se lèvera (se lève) il faudra (il faut) que lui se lève aussi.'
|-
|||||||colspan="4" | ''Trégorrois'', [[Gros (1996)|Gros (1996]]:118)
|}
{| class="prettytable"
|(3)|| Gelloud || a helle mond || war ar bern|| da '''j'''oaz||||''Léon (Plouzane)'', [[Briant-Cadiou (1998)|Briant-Cadiou (1998]]:41)
|-
| || [[gallout|pouvoir]] || [[R]]<sup>[[1]]</sup> [[gallout|pouvait]] [[mont|aller]] || [[war|sur]] [[art|le]] [[bern|tas]] ||  [[da|pour]]<sup>[[1]]</sup> choisir
|-
|||colspan="4" |'Il pouvait choisir librement.' (litt. "sur le tas", et on parle ici de partenaire amoureux)
|}


== oral / écrit ==


Les écrits modernes marquent la plupart des formes mutées. Cependant, certaines mutations consonanntiques marquées à l'oral ne sont pas généralement retranscrites, comme typiquement la lénition F > V.
L'apprentissage du système des mutations consonantiques réserve de grands moments de joie mélangée lorsque l'apprenant.e se rend compte que sans intérioriser ce système complexe, même trouver un mot dans le dictionnaire devient une gageure. L'apprentissage du breton par des adultes passe souvent par une phase prototypique où le locuteur surgénère et se met à appliquer les mutations consonantiques dans sa langue native, ce qui marque généralement un stade important dans l'apprentissage.


Le système des mutations consonantiques réserve de grands moments de joie mélangés lorsque l'apprenant.e se rend compte que sans intérioriser ce système complexe, même trouver un mot dans le dictionnaire devient une gageure. L'apprentissage du breton par des adultes passe souvent par une phase prototypique où le locuteur surgénère et se met à appliquer les mutations consonantiques dans sa langue native. Cela marque généralement un stade important dans l'apprentissage.
L'apprentissage des mutations à l'écrit peut poser problème même à des natifs, comme le montre le [[Jakès Kerrien et les mutations consonantiques|témoignage]] de J. Kerrien dans ''Le Peuple Breton'' n°287 (1987:14).
L'apprentissage de l'écrit des mutations peut poser problème même à des natifs, comme le montre le [[Jakès Kerrien et les mutations consonantiques|témoignage]] de J. Kerrien dans ''Le Peuple Breton'' n°287 (1987:14).


== Effets d'intervention ==
== effets d'intervention ==


En (2), on voit qu'un adjectif prénominal intervenant bloque la lénition sur le nom féminin ''gwezenn'' (''eur<sup>[[1]]</sup> wezenn''). La lénition ne s'applique pas sur l'adjectif prénominal. L'adjectif postnominal qui suit directement le nom ''gwezenn'' mais ne le modifie pas (il modifie ''he deliou''), ne reçoit pas non plus de mutation consonantique.
En (2), on voit que le nom [[intensifieur]] de degré ''[[mell]]'' bloque la lénition sur le nom féminin ''gwezenn'' (''eur<sup>[[1]]</sup> wezenn''). La [[lénition]] ne s'y applique pas.  
    
    


{| class="wikitable"
{| class="prettytable"
|(2)|| eur<sup>[[1]]</sup> ''mell'' '''gw'''ezenn|| [ '''g'''las-kaol ||he deliou ]
|(2)|| eur ''mell'' '''gw'''ezenn|| glas-kaol ||he deliou
|-
| ||  [[art|un]] grand arbre ||vert-chou ||[[POSS|son]] feuilles
|-
|||colspan="4" | 'Un grand arbres aux feuilles vert-chou'|| ''Léonard (Cléder)'',|| [[Seite (1998)|Seite (1998]]:44)
|}
 
 
''[[Tamm]]'' 'morceau' est lui aussi un obstacle à la [[mutation]] sur le nom suivant, mais on peut aussi trouver l'[[adjectif]] après ce nom qui est lui-même non-muté.
 
 
{| class="prettytable"
|(3)||<font color=green> un '''tam''' kyzən ||<font color=green> '''tam''' kigin ||<font color=green> vi<sup>ə</sup>n  vi<sup>ə</sup>n || |||| ''Duault'', [[Avezard-Roger (2004a)|Avezard-Roger (2004a]]:119)
|-
| || un ''tamm'' '''k'''uizin ||''tamm'' '''k'''egin ||'''v'''ihan '''v'''ihan
|-
| || [[art|un]] [[tamm|morceau]] cuisine || [[tamm|morceau]] cuisine || <sup>[[1]]</sup>[[bihan|petit]] <sup>[[1]]</sup>[[bihan|petit]]
|-
|||colspan="4" | 'une petite cuisine, une petite cuisine toute petite.'
|}
 
 
Certaines finales suspendent phonoloquement une mutation après elles.
 
[[Konan (2017)|Konan 2017]]:'deiz') remarque ainsi que après les [[jours de la semaine]] ''dilun'', ''dimerc'her'', ''diraou'', ''digwener'', ''disadorn'' et ''disul'', le participe ''tremenet'' 'passé' subit une lénition, mais pas après ''dimeur''zh'''' 'mardi'.
 
== contamination ==
 
Le nom ''ti'' et son [[possesseur]] interrogatif ''piv'' ne subiraient pas, en isolation de mutation (''ti piv'', 'la maison de qui?'). En (3), la [[préposition]] ''[[da]]''<sup>[[1]]</sup> provoque une lénition sur le nom tête, qui se propage au possesseur.
 
 
{| class="prettytable"
|(3)|| N'eus forz ||'''da''' '''d'''i ||'''b'''iou ez in,|| e vin degemeret mad.
|-
| ||  [[ne]]'[[E|y.a]] [[forzh|cas]] || [[da|à]]<sup>[[1]]</sup> [[ti|maison]]<sup>[[1]]</sup>|| [[piv|qui]] [[R]] [[mont|irai]] || [[R]] [[COP|serai]] accueilli [[mat|bien]]
|-
|||colspan="4" | 'N'importe chez qui j'irai, je serai bien reçu.'||''Trégorrois'', [[Gros (1989)|Gros (1989]]:'forz')
|-
|||colspan="4" | 'Où que j'aille je serai bien reçu.'
|}
 
 
== code-switching ==
 
Les mots bretons insérés dans des phrases françaises ([[code-switching]]) peuvent l'être sous leur forme mutée. A l'inverse, l'insertion de français dans une phrase bretonne peut résister à la mutation (à comparer avec # ''mont da '''v'''ettre la table'').
 
 
{| class="prettytable"
| (2)|| Mont ||da ||'''m'''ettre la table.
|-
|-
| || [[DET]] grand arbre ||vert-chou ||[[POSS]].3SGF feuilles
| || [[mont|aller]] ||[[da|pour]]<sup>([[1]])</sup> ||mettre la table
|-  
| || colspan="4" | 'aller mettre la table.', ||||||''production enfantine (2 ans 11 mois)'', [[Stephens (2000)|Stephens (2000]]:131)
|}
 
== acquisition ==
 
Les formes acquises en premier par les enfants sont massivement les formes mutées car on rencontre tout simplement plus rarement les formes non-mutées (ici, '''''k'''arr-nij''). Il n'est pas aisé de déterminer en (1) si l'enfant importe sur le déterminant français la fonction déclencheuse de mutation ou si le nom importé du breton dans la phrase française est considéré par l'enfant comme non-muté.
 
 
{| class="prettytable"
| (1)|| C’est ||un ||'''c'h'''arr-nij.
|-
|-
|||colspan="4" | 'Un grand arbres aux feuilles vert-chou'|| ''léonard (Kleder)'',|| [[Seite (1998)|Seite (1998]]:44)
| || c'est ||un<sup>([[5]]?)</sup> ||véhicule-[[nijal|vole]]
|-
| || colspan="4" | 'C'est un avion.', ||||||''production enfantine (2 ans 11 mois)'', [[Stephens (2000)|Stephens (2000]]:131)
|}
|}


== Emprunts ==


Les formes empruntées à d'autres langues peuvent être interprétées comme ayant reçu une mutation.
Les mutations produites par les enfants peuvent aussi être incorrectes, incorrections qui sont importées dans la langues adultes comme marque [[hypocoristique]]. [[Le Dû (2012a)|Le Dû (2012a]]:'ma') note ainsi l'effet [[hypocoristique]] de la production adulte ''me '''g'''az bien'' (standard adulte ''ma '''c'h'''azh bihan''), pour traduire 'mon petit chat-chat'. Il l'analyse comme "une faute volontaire de [[mutation]], par affection, comme avec un enfant".
 
 
== emprunts ==


Le mot 'visage' emprunté au français entre dans le lexique breton comme si son V initial résultait d'une mutation B>V ([[1|lénition]]). Le mot breton est donc rétabli en ''bizaj, ur vizaj''. En (3), on voit que l'initiale de référence du mot est bien B. La [[2|mutation spirante]] déclenchée par le possessif féminin singulier ne change pas l'initiale B.
Si le [[changement de code]] se spécialise sur un mot en particulier, celui-ci peut être adopté définitivement dans la langue cible. Les formes [[emprunt|empruntées]] à d'autres langues peuvent aussi être interprétées comme ayant reçu une mutation.
 
Le mot 'visage' emprunté au français entre dans le lexique breton comme si son V initial résultait d'une mutation B>V ([[1|lénition]]). Le mot breton est donc rétabli en ''bizaj, ur vizaj''. En (3), on voit que l'initiale de référence du mot est bien B. La [[2|mutation spirante]] déclenchée par le [[possessif]] féminin singulier ne change pas l'initiale B.




Ligne 125 : Ligne 222 :
| (3)|| Homañ ||a zo dir ||war ||he|| '''b'''izaj.
| (3)|| Homañ ||a zo dir ||war ||he|| '''b'''izaj.
|-
|-
| || [[Les Démonstratifs|celle.là]] ||[[R]] est acier || P ||[[POSS]].3SGF<sup>[[2]]</sup> ||visage
| || [[DEM|celle.là]] ||[[R]] [[zo|est]] acier || [[war|sur]] ||[[POSS|son]]<sup>[[2]]</sup> ||visage
|-  
|-  
| || colspan="4" | litt. 'Elle a de l'acier sur le visage.' > 'Elle est effrontée, elle a toute les audaces.'
| || colspan="4" | litt. 'Elle a de l'acier sur le visage.' > 'Elle est effrontée, elle a toutes les audaces.'
|-  
|-  
| |||||||| colspan="4" | [[Le Berre & Le Dû (1999)|Le Berre & Le Dû (1999]]:56)
| |||||||| colspan="4" | [[Le Berre & Le Dû (1999)|Le Berre & Le Dû (1999]]:56)
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En (4), l'emprunt au français 'valise' s'est intégré dans le lexique breton comme si son V initial résultait d'une mutation M>V ([[1|lénition]]).
[[Bouzeg (1986)|Bouzeg (1986]]:38) donne, pour les [[emprunts]] ''pull-over'' et ''vélo'':
Le mot breton est donc rétabli en ''malizenn, ur valizenn''. En (4), le mot 'valise' est utilisé dans une [[l'etat construit|construction génitive]] qui entraine l'absence d'[[les articles|article]] devant le nom. La forme est donc non-mutée.




{| class="prettytable"
{| class="prettytable"
| (4)|| Pelec'h 'ta ||eo chomet ||'''m'''alizenn ||an itron|| Alberto?
| (5)||<i><font color=green>1SG</font></i>||ma<sup>[[2]]</sup> '''b'''elo||ma<sup>[[2]]</sup> '''f'''ilover
|-
| ||<i><font color=green>2SG</font></i> ||da<sup>[[1]]</sup> '''v'''elo||da<sup>[[1]]</sup> '''b'''ilover
|-
| ||<i><font color=green>3SGM</font></i>||e<sup>[[1]]</sup> '''v'''elo||e<sup>[[1]]</sup> '''b'''ilover
|-
| ||<i><font color=green>3SGF</font></i>||he<sup>[[2]]</sup> '''b'''elo||he<sup>[[2]]</sup> '''f'''ilover
|-
| ||<i><font color=green>1PL</font></i> || - || -
|-
| ||<i><font color=green>2PL</font></i> ||ho<sup>[[3]]</sup> '''p'''elo||ho<sup>[[3]]</sup> '''p'''ilover
|-
|-
| || où donc ||[[R]] est resté || valise ||[[DET]] madame ||Alberto
| ||<i><font color=green>3PL</font></i>||o<sup>[[2]]</sup> '''b'''eloioù||o<sup>[[2]]</sup> '''f'''ilover ||''Cornouaillais de l'Est (Riec)'', [[Bouzeg (1986)|Bouzeg (1986]]:38)
|-
| || colspan="4" | 'Mais où est donc passé la valise de madame Alberto ?'
|-
| |||||||| colspan="4" | ''titre de livre jeunesse'', M.D. Arros (2004), An Here (éd.)
|}
|}


= pourquoi ce n'est pas un phénomène phonologique =


Les mutations consonantiques sont très intéressantes à étudier du point de vue phonologique, mais le déclenchement des mutations, lui, ne ressort pas de la phonologie en breton moderne.
== diachronie ==
 
La mutation nasalisante qui est vivante en gallois n'est en breton [[standard]] qu'à l'état de traces dans ''dor, an nor'' 'la porte', ou les formes de l'[[impersonnel]] ''an nen''.
Dans les dialectes traditionnels, [[Merser (1963)|Merser (1963]]:§59) relève en vannetais les possessifs ''mem breur'' 'mon frère', ''men dorn'' 'ma main', ''men gwad'' 'mon sang'. A Ouessant, [[Malgorn (1909)]] associe au pluriel ''deñvedennet'' 'des brebis', le singulier ''ann añvad, eunn añvad'' 'la brebis, une brebis'.
 
[[Merser (1963)|Merser (1963]]:§58) relève quelques mutations nasalisantes dans des [[noms de lieu]] contenant un féminin singulier comme ''derv'' 'chêne' > ''An Nervoued''.
 
= Pourquoi ce n'est pas un phénomène phonologique =
 
Les mutations consonantiques sont très intéressantes à étudier du point de vue phonologique, mais le déclenchement des mutations, lui, ne ressort pas de la phonologie en breton moderne. On peut comparer par exemple ''unan bihan'' 'un petit' avec l'équivalent féminin ''unan vihan'' 'une petite' et voir qu'un même élément peut précéder une mutation ou non. 
Il ne s'agit pas, en synchronie, d'un phénomène de liaison compliqué, mais bien d'un marquage morphologique dépendant du contexte syntaxique.  
Il ne s'agit pas, en synchronie, d'un phénomène de liaison compliqué, mais bien d'un marquage morphologique dépendant du contexte syntaxique.  
=== les déclencheurs peuvent n'être pas réalisés phonologiquement ===
Comme noté par [[Awbery (2004)|Awbery (2004]], [[Awbery (2008)|2008]]:14) pour le gallois, un déclencheur de mutation consonantique peut n'être pas réalisé phonologiquement.
{| class="prettytable"
| (1)||... || '''W'''elan ket || viche tra all.
|-
| || ([[ne]])<sup>[[1]]</sup> || [[gwelout|vois]] [[ket|pas]] || [[COP|serait]] chose [[all|autre]]
|-
| || colspan="4" | 'Je ne vois pas autre chsoe.'  |||| ''Ouessant'', [[Gouedig (1982)]]
|}
{| class="prettytable"
| (2)||(A) || '''f'''ydd ||digon o amser?
|-
| || [[Q]]<sup>[[1]]</sup> || sera ||assez de temps
|-
| || colspan="4" | 'Y-aura-t-il assez de temps?'  |||| ''Gallois'', [[Awbery (2008)|Awbery (2008]]:14)
|}


=== l'identité syntaxique de la cible importe ===
=== l'identité syntaxique de la cible importe ===


L'identité syntaxique de la cible est importante pour décider si une mutation sera effectuée ou pas.
L'identité syntaxique de la cible est importante pour décider si une mutation sera effectuée ou pas.


On a ainsi la préposition ''[[pe]]'', qui déclenche la [[1|lénition]], ici D> Z:
On a ainsi la préposition ''[[pe]]'', qui déclenche la [[1|lénition]], ici D> Z:
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: 'un, deux, un [[pe|ou]] deux'
: 'un, deux, un [[pe|ou]] deux'


Cette mutation n'est pas effectuée quand ''pe'' précède un adverbe tel que ''kentoc'h'' (* K > G):
Cette mutation n'est pas effectuée quand ''pe'' précède un adverbe tel que ''[[kentoc'h]]'' (* K > G), ou un verbe:
 
: ''pe '''k'''entoc'h...''  
: ''pe '''k'''entoc'h...''  
: '[[pe|ou]] plutôt...'
: '[[pe|ou]] plutôt...'
{| class="prettytable"
| (1) || ... ||a-gaoz m'||o deus sammet ||pe '''k'''aset traoù ponner.
|-
| || || [[a|à]]<sup>[[1]]</sup>-cause [[ma|que]]' ||3PL [[kaout|a]] chargé ||[[pe|ou]] [[kas|envoyé]] [[traoù|choses]] [[pounner|lourd]]
|-
|||colspan="4" | '...parce qu'ils ont chargé ou porté des choses lourdes.' ||||||''Haut-vannetais'', [[Louis (2015)|Louis (2015]]:214)
|}
En (2), la préposition ''[[war]]'' 'sur' qui proovoque une lénition sur un nom ou un verbe qui la suit (''war'' + ''du'' 'côté' > ''war-zu'' 'vers') ne provoque jamais cette mutation D>Z sur un possessif qui la suit (* ''war za vanne'').
{| class="prettytable"
| (2) || Sao war ||da vanne || 'ta Saig!
|-
| || [[sevel|montée]] [[war|sur]]<sup>[[1]]</sup> ||[[POSS|mon]]<sup>[[2]]</sup> [[banne|verre]] ||[[eta|donc]] Saig
|-
||| colspan="4" | 'Finis ton verre donc, Saig!'|||||| ''Léon'', [[Kervella (2009)|Kervella (2009]]:215)
|}
=== la structure syntaxique importe ===
''[[Holl]]'', 'tous', provoque une [[lénition]] sur le nom qui le suit ('''''holl d'''ud ar sal'', 'tous les gens de la salle'), sauf si la structure syntaxique le sépare du nom qui le suit linéairement.
{| class="prettytable"
| (1)|| Beza e vezot|| '''holl''' <font color=green>[</font color=green> ||'''t'''ud konsakret d'in ||<font color=green>]</font color=green>||||[[Herry (1861)|Herry (1861]]:98)
|-
| || [[Bez'|expl]] [[R]] [[vez|serez]]|| [[holl|tous]]||[[tud|gens]] consacré [[da|à]].[[pronom incorporé|moi]]
|-
| || colspan="4" | 'Vous serez tous pour moi des gens consacrés.'
|}
La branche gauche dans la [[structure syntaxique]] semble être une barrière à la lénition entre un déclencheur et la tête de son [[argument interne]]: ''un daol '''v'''ras'' 'une grande table', mais ''un daol ken '''b'''ras / [[*]] vras'', ''Pa<sup>[[1]]</sup> '''g'''rog Anna da...'', mais, à Plougerneau ''Pa '''k'''roget en deus Anna...'' 'quand Anna a commencé....' ([[M-L. B. (05/2016)|M-L. B. 05/2016]]), ''da Verc'hed'' 'à Berc'hed', mais ''da<sup>[[1]]</sup> ma<sup>[[2]]</sup> '''m'''erc'h'' 'à ma fille'.
Un nom féminin déclenche une [[lénition]] sur un [[adjectif]] qui le suit (''ur<sup>[[1]]</sup> verc'h<sup>[[1]]</sup> '''v'''ihan'' 'une petite fille') sauf si la structure syntaxique n'est pas celle d'un groupe nominal modifié par cet adjectif.
{| class="prettytable"
| (2)|| ur<sup>[[1]]</sup> verc'h <font color=green>[</font color=green> ||'''''b'''ihan ||he c'hoar ||<font color=green>]</font color=green>
|-
| || [[art|un]]<sup>[[1]]</sup> fille || [[bihan|petit]] ||[[POSS|son]]<sup>[[2]]</sup> [[c'hoar|soeur]]
|-
| || colspan="4" | 'une fille dont la sœur est petite'
|}
[[Merser (1963)|Merser (1963]]:§60) considère que "les mutations ne peuvent se produire que dans une groupement fonctionnel". Cependant, s'il signale une préférence en (2) pour la forme non-mutée, il signale que l'alternative forme mutée ''velen'' "peut se dire".
 
{| class="prettytable"
| (3)|| Eur rozenn || '''v'''elen / '''m'''elen || he liou.||||[[Merser (1963)|Merser (1963]]:§60)
|-
| || [[art|un]] rose.F|| <sup>[[1]]</sup>jaune/jaune || [[POSS|son]] couleur 
|-
| || colspan="4" | 'une robe à la couleur jaune'
|}
=== l'interprétation sémantique de la cible importe ===
L'interprétation sémantique de la cible est importante pour décider quelle mutation effectuer.
Le substantif pluriel ''kranked'', 'crabes', a une interprétation littérale, et une interprétation imagée. En argot, ''kranked'' désigne des garçons aux jambes maigres, rappelant celles des crabes (''paotred-o-divhar-moan'', [[Kervella (2003)|Kervella 2003]]:9,79).
Selon le système des mutations, après l'[[art|article]], le mot ''kranked'' qui n'est ni féminin singulier ni masculin pluriel de personne, subit la [[5|mutation réduite K>C'H]]. On a donc: ''kranked'', ''ar '''c'h'''ranked'', 'les crabes'.
Le mot d'argot, lui, désigne un nom masculin pluriel de personne (qui n'a pas son pluriel en ''-où''), et subit une [[1|lénition]]. On a donc: ''kranked'', ''ar '''g'''ranked'', 'les gars aux jambes de crabes'.
Sans prendre en compte l'interprétation, imagée ou non, du substantif, il est impossible de décider quelle mutation choisir.
=== Idiosyncrasie et exceptions aux mutations ===
Si les mutations étaient un phénomène purement phonologique, on aurait du mal à expliquer les exceptions, telles que celle du mot ''[[plac'h]]''.
Ce mot ''plac'h'' 'femme' est grammaticalement [[féminin]]. Cependant, ce mot ne présente jamais de [[1|lénition]] après l'[[article]] ([[Kervella (2016)|Kervella 2016]]). C'est aussi le cas de ''greg'' 'cafetière' et ''gar'' 'gare ferroviaire' ([[Kervella (1947)|Kervella 1947]]:§153, [[Trépos (2001)|Trépos 2001]]:§82,5).
{| class="prettytable"
| (1)|| Goudeze, || setu mestrez an ti,|| '''eur p'''lac'h koz, || da lavarout...
|-
| || [[goude|après]].[[pfi|ça]] || [[setu|voici]] maitresse [[art|le]] [[ti|maison]]|| [[art|un]] [[plac'h|fille]] [[kozh|vieux]]  || [[da|de]]<sup>[[1]]</sup> [[lavarout|dire]] 
|-
| || colspan="4" | 'Après ça, la maitresse de maison, une vieille femme, dit...'
|-
| || |||| colspan="4" |  ''Cornouaille (Pleyben)'', [[Ar Floc'h (1950)|Ar Floc'h (1950]]:157)
|}
[[Kervella (1947)|Kervella (1947]]:§153) signale le cas du nom ''koz'', 'taupe', nom qui se trouve sous la forme ''ar c'hoz'' (mutation des masculins), mais aussi "parfois même" ''ar goz''. On trouve par ailleurs en breton moderne ''ar '''c'h'''oz '''v'''ihan'', 'la petite taupe', titre de livre jeunesse, avec la mutation masculine appliquée à l'initiale du nom, et la mutation féminine appliquée à l'initiale de son adjectif.


=== la mutation ou non du déclencheur n'est pas importante ===
=== la mutation ou non du déclencheur n'est pas importante ===


Canoniquement, un [[déterminant]] fait muter un nom féminin, qui à son tour fait muter un potentiel adjectif postverbal (''ur '''v'''ro '''c'h'''leb'' 'un pays mouillé').
==== les adjectifs de noms non-mutés mutent ====


Canoniquement, un déterminant fait muter un nom féminin, qui à son tour fait muter un potentiel adjectif postverbal. On peut observer en (y) que le nom propre féminin ''Matriona'', qui n'est pas précédé d'un déterminant et qui par conséquent n'est pas muté, reste un déclencheur de lénition sur son adjectif postverbal.
On peut observer en (1) que le [[nom propre]] féminin ''Matriona'', qui n'est pas précédé d'un [[déterminant]] et qui par conséquent n'est pas muté, reste un déclencheur de lénition sur son adjectif postverbal.




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| (y) ||Tristaet-tout ||e oa ||'''Matriona baour''' ||o tont d'ar gêr. ( < ''paour'')
| (1) ||Tristaet-tout ||e oa ||'''Matriona baour''' ||o tont d'ar gêr. ||( < ''paour'')
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|||tristé-tout ||[[R]] était ||Matriona pauvre ||[[particule o|P]] venir [[da|P]][[DET]] maison
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| ||colspan="4" |'Matriona était toute triste en rentrant à la maison.'  
| ||colspan="4" |'Matriona était toute triste en rentrant à la maison.'  
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| ||||||||colspan="4" |''Treger (Kaouenneg)'', [[ar Barzhig (1976)|ar Barzhig (1976]]:38)  
| ||||||||colspan="4" |''Trégorrois (Kaouenneg)'', [[ar Barzhig (1976)|ar Barzhig (1976]]:38)  
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| (2) || Na pet gwech ||ne'm eus-me ||ket klevet ||tud '''v'''at || o lavarout (...)
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| || [[&|et]] [[pet|combien]] [[gwech|fois]] ||[[ne]]'1SG [[kaout|a]]-moi ||[[ket|pas]] [[klevout|entendu]] ||[[tud|gens]] <sup>[[1]]</sup>[[mat|bon]] ||[[particule o|à]]<sup>[[4]]</sup> [[lavar|dire]]
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||| colspan="4" | 'Combien de fois n'ais-je entendu de bonnes gens dire (...)'
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||| ||||colspan="4" | ''Standard'', [[Kervella (1993)|Kervella (1933]]:62)
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==== les adjectifs de noms spirantisés peuvent subir une lénition ====
 
 
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| (2)|| ma ||'''c'h'''alon || '''b'''aour! || ''Cornouaillais / Léon'', [[Croq (1908)|Croq (1908]]:30)
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|||[[POSS|mon]]<sup>[[2]]</sup> || [[kalon|coeur]] || [[paour|pauvre]]
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| || colspan="4" | 'mon pauvre coeur!'
|}
 
 
En (3), le [[possessif]] de première personne provoque une mutation [[spirante]] sur l'initiale /b/ du nom ''[[bro]]'' 'pays', qui n'est donc pas affectée (G>G). Le premier adjectif épithète dans la [[coordination]] qu'est ''gleborek'' a subi une mutation. La [[spirantisation]] n'aurait pas affecté son initiale. Il s'agit d'une [[lénition]] provoquée par le nom féminin ''bro, ur vro''.
 
 
{| class="prettytable"
|(3)||Drouk-hirnez ||ez eus ||ennon hiziv ||d''''am''' '''b'''ro || '''c'h'''leborek ha glas.||||''Standard'', [[Drezen (1932)|Drezen (1932]]:11)
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| || [[drouk-|mal-]].longueur ||[[R]] [[ez eus|est]] || [[P.e|dans]].[[pronom incorporé|moi]] || [[da|à]]'[[POSS|mon]]<sup>[[2]]</sup> [[bro|pays]] || <sup>[[2]]</sup>humide [[&|et]] vert
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|||colspan="4" |'Je me languis aujourd'hui de mon pays humide et vert.'
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|(1)a.||tri<sup>[[2]]</sup> ||'''c’h'''amm ||''vs''. ||b.||tri<sup>[[2]]</sup>||_[ø]_ || '''g'''amm
|(1)a.||tri<sup>[[2]]</sup> ||'''c’h'''amm ||''vs''. ||||b.||tri<sup>[[2]]</sup>||_[ø]_<sup>[[1]]</sup> || '''g'''amm
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| || 3.Masc || pas |||||| || 3.Masc || N.Masc ||boiteux
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|||colspan="4" | 'trois pas' ''vs.'' 'trois boiteux'||||||||||''Standard'', [[Kervella (1947)|Kervella (1995]]:§515) 
|}
 
 
La disjonction ''[[pe]]'' 'ou' est un déclencheur de la [[lénition]], mais avec des exceptions ([[Merser (1963)|Merser 1963]]:§17). En particulier, les éléments [[fonctionnels]] résistent plus à la mutation. En (2), [[M-L. B.]] considère manifestement l'ellipse comme une barrière.
 
 
{| class="prettytable"
| (2) || Lavar din || ha dont a ri || pe { ket /[[*]] get }.
|-
|-
| || 3.Masc || pas |||| || 3.Masc || N.Masc ||boiteux
||| [[lavarout|dis]] [[da|à]].[[pronom incorporé|moi]] || [[C.ha(g)|si]] [[dont|venir]] [[R]] [[ober|feras]] || [[pe|ou]] [[ket|pas]]
|-
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|||colspan="4" | 'trois pas' ''vs.'' 'trois boiteux'||||||||||''standard'', [[Kervella (1947)|Kervella (1995]]:§515) 
|||colspan="4" | 'Di-moi si tu viendras ou pas.''||||||''Léon (Plougerneau)'', [[M-L. B. (01/2016)]]
|}
|}


== Bibliographie ==
 
Le bord gauche d'une infinitive, ou son sujet vide [[PRO]], font aussi barrière à la mutation (''Petra faot dit gwell? Mont gant an tren pe '''b'''ale da unan?'').
 
== les mutations doubles ==
 
Il est reporté parfois des phénomènes de mutations doubles, comme appliquées l'une après l'autre sur la même cible. [[Konan (2017)|Konan (2017]]:265) signale la forme ''o font'' qu'il associe à l'Est du pays (au lieu de ''o vont'' 'en allant'), et la forme ''ma c'hâotr'' qu'il documente à Plouigno (au lieu de ''ma faotr'').
 
 
== Horizons comparatifs ==
 
Des systèmes comparables au système des langues celtiques se sont développés un peu partout dans le monde, de façon apparemment indépendante.
 
En Afrique de l'Ouest, on trouve un système complet de mutations consonnantiques dans la langue peule fula (= fulfulde, poulard), ainsi que dans les langues mandées. On en relève en sérère, une langue proche du fula parlée au Sénégal et en Gambie (branche atlantique des langues nigéro-congolaises). Merrill (2014) ajoute le biafada, les deux langues buy (kobiana et kasanga). Les langues tenda (konyagi, basari, et bedik) ont même peu ou pas de consonnes qui ne mutent pas. Les mutations y marquent les classes de noms, et le temps et l'aspect sur les verbes. Le wolof utilise les mutations de façon plus réduite, uniquement pour les diminutifs des noms et pour la nominalisation des verbes.
 
En Amérique du nord-ouest, Merrill (2014) relève les langues numiques (Uto-Aztèques) comme le Paiute du sud.
 
 
Le phénomène de mutation consonantique est réputé rare à travers les langues du monde, mais la rareté typologique du phénomène de mutation consonnantique dépend aussi de la façon dont on définit ce phénomène.
 
 
= Bibliographie =
 
* Angoujard, J-P. 1998. 'Les mutations consonantiques en breton. Vers une analyse déclarative', P. Boucher (éd.), ''Actes des ateliers en morphologie'', Université de Nantes, 63-68.
 
* [[Dressler (1972)|Dressler, Wolfgang, 1972]]. 'On the Phonology of Language Death', ''Papers from the Eighth Regional Meeting of the Chicago Linguistics Society'', 448-57, Chicago Linguistics Society, Chicago.


* Ernault, E. 1897. 'Sur la mutation faible de ''d'' après ''n'' en breton', ''[[ZCP|Zeitschrift für Celtische Philologie]]'' 1, 38-46.  
* Ernault, E. 1897. 'Sur la mutation faible de ''d'' après ''n'' en breton', ''[[ZCP|Zeitschrift für Celtische Philologie]]'' 1, 38-46.  


* Kerrien, J. 1987. « Pennad-kaoz gant Jakez Kerrien: Re, re em-bije karet ar brezhoneg », conversation (en breton) avec Jakez Kerrien : « Trop, j'aurais trop aimé la langue bretonne », recueillie par Pascal Rannou, publiée dans ''Le Peuple Breton'' n° 287.
* [[Gourmelon (2012)|Gourmelon, Yvon. 2012]]. 'Kemmadurioù berzet pe dizaliet', ''Notennoù yezhadur'', Al Liamm (éd.), 83-88.
 
* [[Hennessey (1990)|Hennessey, Jr., John S. 1990]]. 'Spirantization to lenition in Breton: interpretation of morphophonological variability', Ball, Martin J., James Fife, Erich Poppe, and Jenny Rowland (éds.), ''Celtic linguistics / Ieithyddiaeth Geltaidd: readings in the Brythonic languages, Festschrift for T. Arwyn Watkins'', Amsterdam Studies in the Theory and History of Linguistic Science 4.68, Current Issues in Linguistic Theory, Amsterdam: Benjamins, 209–224.
 
* Jackson, Kenneth Hurlstone. 1960. 'Gemination and the spirant mutation', ''[[Celtica]]'' 5:127–134.
 
* [[Jakès Kerrien et les mutations consonantiques|Kerrien, J. 1987]]. 'Pennad-kaoz gant Jakez Kerrien: Re, re em-bije karet ar brezhoneg', conversation (en breton) avec Jakez Kerrien : 'Trop, j'aurais trop aimé la langue bretonne', recueillie par Pascal Rannou, publiée dans ''Le Peuple Breton'' n° 287.
 
* [[Kennard (2018a)|Kennard, Holly Jane. 2018a]]. 'Verbal lenition among young speakers of Breton: acquisition and maintenance', ''New Speakers of Minority Languages: Linguistic Ideologies and Practices'', Palgrave Macmillan, 231-252.
 
* [[Kennard & Lahiri (2017)|Kennard, Holly & Aditi Lahiri. 2017]]. 'Mutation in Breton verbs: Pertinacity across generations', ''Journal of Linguistics'' 53:1, 113-145.


* [[Kervella (2016)|Kervella, Divi. 2016]]. 'Notennoù yezh. 173. Diwar-benn etimologiezh ar ger brezhonek ''plac'h''', 41-44.
* [[Loth (1890)|Loth, J. 1890]]. 'De l'adjectif subissant la mutation initiale après un substantif masculin', Henri d'Arbois de Jubainville (dir.), avec le concours de Joseph Loth et d'Emile Ernault , ''[[Revue Celtique]]'' XI:207, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64923966 texte].
* [[Loth (1890b)|Loth, J. 1890b]]. 'L'initiale du complément du verbe fléchi subissant l' ''infection destituens''', Henri d'Arbois de Jubainville (dir.), avec le concours de Joseph Loth et d'Emile Ernault , ''[[Revue Celtique]]'' XI:208-209, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64923966 texte].
* [[Loth (1888a)|Loth, J. 1888a]]. 'Un cas de provection inédit ', Henri d'Arbois de Jubainville (dir.), ''[[Revue Celtique]]'' IX, 273, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6200473z texte].
* [[Loth (1888b)|Loth, J. 1888b]]. 'Provection de moyennes en spirantes sourdes en breton armoricain', Henri d'Arbois de Jubainville (dir.), ''[[Revue Celtique]]'' IX, 354, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6200473z texte].
* Stephens, J. 1996. 'The acquisition of mutations in Breton', ''Teod'' 2:22-32.  
* Stephens, J. 1996. 'The acquisition of mutations in Breton', ''Teod'' 2:22-32.  
* Stump, G. T. 1988. 'Non-local spirantization in Breton', ''Journal of Linguistics'', 24(2),457-81.
* Stump, G. T. 1987. 'On incomplete mutations in Breton', ''A Festschrift for Ilse Lehiste, Ohio University Working Papers in Linguistics'' 35, 1-10.
* [[Timm (1985)|Timm, L. 1985]]. 'Breton mutations: Literary vs. vernacular usages', ''Word'', 35:95-107.[http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/00437956.1985.11435866 texte].
* [[Timm (1984)|Timm, L. 1984]]. 'The segmental phonology of Carhaisien Breton', ''[[ZCP|Zeitschrift für Celtische Philologie]]'' 40:1, 118-192.
* [[Yekel (2016)|Yekel, Tangi. 2016]]. '[http://brezhonegbrovear.bzh/yezhadur.php?pajenn=ar_chemmaduriou ar c'hemmadurioù]', ''[http://brezhonegbrovear.bzh/index.php Brezhoneg Bro-Vear]'', Blog kevredigezh ''Hent don''.
=== autres langues celtiques ===
* Awbery, G. 1975. 'Welsh Mutations: Syntax or Phonology?', ''Archivum Linguisticum'' 6, 14–25.
* Sims-Williams, Patrick. 2008. 'The problem of spirantization and nasalization in Brittonic Celtic', ''Studies in Slavic and General Linguistics'' 32, ''Evidence and Counter-Evidence: Essays in honour of Frederik Kortlandt'' 1: Balto-Slavic and Indo-European Linguistics, Brill, 509-525.
=== horizons théoriques et comparatifs ===
* Merrill, John. 2014. ''A Typological Overview of Consonant Mutation'', Phd thesis prospectus, UC Berkeley.




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Version du 23 avril 2019 à 09:33

Les mutations consonantiques sont un trait remarquable des langues celtiques. Elles modifient les consonnes initiales de catégories lexicales.


En breton, les consonnes initiales d'un mot susceptibles de muter sont:

K, T, P, G, D, B, M, Gw
(mnémotechnique: Kasse Ta Pipe Gueule De Bois Marmonne Gwenola)

Dans la réalité de la langue parlée, il en existe en fait d'autres (par exemple la lénition F > V).

Ce qu'il advient de ces consonnes une fois la mutation accomplie est résumé dans le tableau ci-dessous.

Consonne initiale mutable: K T P G Gw D B M
1. lénition G D B C'h W Z V V
1 a. G D B C'h W _ V V
1 b. _ _ _ C'h W Z V V
2. spirante C'h Z F _ _ _ _ _
3. durcissante _ _ _ K Kw T P _
4. léniprovection _ _ _ C'h W T V V
5. réduite C'H _ _ _ _ _ _ _


les différents déclencheurs des mutations

la lénition

La mutation consonantique dite 'adoucissante' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:

le rannig a
les déterminants possessifs da (2SG) et e (3SGM)
les pronoms objet proclitiques da (2SG) et e (3SGM)
les prépositions da, a, dre, et parfois après dindan, diwar, pe, war
les cardinaux daou et div (2)
les particules négatives ne et na
le réflexif en em
l'équivalent du gérondif: en ur,
le quantifieur holl
la préposition eme
la composition morphologique, avec gwall-, hanter, et de nombreux autres préfixes.
un mot féminin singulier, ou masculin pluriel de personnes qui n'ont pas leur pluriel en -où sur un adjectif épithète ou un nom en apposition


Cas 1a: après l'article défini ar et an, et l'article indéfini ur et un pour les noms féminins singuliers et les noms masculins pluriels de personnes qui n'ont pas leur pluriel en -.
Cas 1b: adjectifs épithètes et noms en apposition après les substantifs se terminant par autre chose que L, M, N, R, V ou une voyelle.
note: la mutation de Z après N est facultative dans les cas 1 et 1b.


la spirantisation

La mutation consonantique dite 'spirante' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:

les déterminants possessifs ma, va, em, am (1SG), he (3SGF), o (3PL)
les pronoms objet proclitiques ma, va, em, am (1SG), he (3SGF), o (3PL)
les cardinaux tri, teir (3), pevar et peder (4), nav (9)

la mutation durcissante

La mutation consonantique dite 'durcissante' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:

les déterminants possessifs ho (2PL), az et ez (2SG)
les pronoms objet proclitiques ho (2PL), az et ez (2SG)

léniprovection/mixte

La mutation consonantique dite 'léniprovection', ou 'mixte' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:

le rannig e
la conjonction ma
la particule aspectuelle o


Cette mutation consonantique ne touche donc que des verbes, puisque tous ses éléments déclencheurs sont toujours directement préverbaux.

Cette mutation consonantique est dite mixte car elle a l'action de la lénition sur les consonnes G, Gw, B et M, et l'action de la mutation durcissante sur la consonne D.


K > C'H

La mutation consonantique réduite à K > C'H est déclenchée par:

l'article ar et ur pour tous les mots sauf féminins singuliers et masculins pluriels de personnes (sauf ceux qui se terminent en -).
le déterminant possessif hor (1PL)


oral / écrit

Les écrits modernes marquent la plupart des formes mutées. Cependant, certaines mutations consonantiques marquées à l'oral ne sont pas généralement retranscrites, comme typiquement les voisements F > V, ou S > Z.


(1) Blaz vat zo gant ar zoubenn.
goût 1bonne est avec le 1soupe
'La soupe a bon goût.' Léon (Cléder), Fave (1998:60)
litt. 'Il y a bon goût avec la soupe.'


(2) Pa zavo-hi, eñ a ranko sevel ive.
quand1 lèvera-elle lui R devra lever aussi
'Quand elle se lèvera (se lève) il faudra (il faut) que lui se lève aussi.'
Trégorrois, Gros (1996:118)


(3) Gelloud a helle mond war ar bern da joaz Léon (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:41)
pouvoir R1 pouvait aller sur le tas pour1 choisir
'Il pouvait choisir librement.' (litt. "sur le tas", et on parle ici de partenaire amoureux)


L'apprentissage du système des mutations consonantiques réserve de grands moments de joie mélangée lorsque l'apprenant.e se rend compte que sans intérioriser ce système complexe, même trouver un mot dans le dictionnaire devient une gageure. L'apprentissage du breton par des adultes passe souvent par une phase prototypique où le locuteur surgénère et se met à appliquer les mutations consonantiques dans sa langue native, ce qui marque généralement un stade important dans l'apprentissage.

L'apprentissage des mutations à l'écrit peut poser problème même à des natifs, comme le montre le témoignage de J. Kerrien dans Le Peuple Breton n°287 (1987:14).

effets d'intervention

En (2), on voit que le nom intensifieur de degré mell bloque la lénition sur le nom féminin gwezenn (eur1 wezenn). La lénition ne s'y applique pas.


(2) eur mell gwezenn glas-kaol he deliou
un grand arbre vert-chou son feuilles
'Un grand arbres aux feuilles vert-chou' Léonard (Cléder), Seite (1998:44)


Tamm 'morceau' est lui aussi un obstacle à la mutation sur le nom suivant, mais on peut aussi trouver l'adjectif après ce nom qui est lui-même non-muté.


(3) un tam kyzən tam kigin viən viən Duault, Avezard-Roger (2004a:119)
un tamm kuizin tamm kegin vihan vihan
un morceau cuisine morceau cuisine 1petit 1petit
'une petite cuisine, une petite cuisine toute petite.'


Certaines finales suspendent phonoloquement une mutation après elles.

Konan 2017:'deiz') remarque ainsi que après les jours de la semaine dilun, dimerc'her, diraou, digwener, disadorn et disul, le participe tremenet 'passé' subit une lénition, mais pas après dimeurzh' 'mardi'.

contamination

Le nom ti et son possesseur interrogatif piv ne subiraient pas, en isolation de mutation (ti piv, 'la maison de qui?'). En (3), la préposition da1 provoque une lénition sur le nom tête, qui se propage au possesseur.


(3) N'eus forz da di biou ez in, e vin degemeret mad.
ne'y.a cas à1 maison1 qui R irai R serai accueilli bien
'N'importe chez qui j'irai, je serai bien reçu.' Trégorrois, Gros (1989:'forz')
'Où que j'aille je serai bien reçu.'


code-switching

Les mots bretons insérés dans des phrases françaises (code-switching) peuvent l'être sous leur forme mutée. A l'inverse, l'insertion de français dans une phrase bretonne peut résister à la mutation (à comparer avec # mont da vettre la table).


(2) Mont da mettre la table.
aller pour(1) mettre la table
'aller mettre la table.', production enfantine (2 ans 11 mois), Stephens (2000:131)

acquisition

Les formes acquises en premier par les enfants sont massivement les formes mutées car on rencontre tout simplement plus rarement les formes non-mutées (ici, karr-nij). Il n'est pas aisé de déterminer en (1) si l'enfant importe sur le déterminant français la fonction déclencheuse de mutation ou si le nom importé du breton dans la phrase française est considéré par l'enfant comme non-muté.


(1) C’est un c'harr-nij.
c'est un(5?) véhicule-vole
'C'est un avion.', production enfantine (2 ans 11 mois), Stephens (2000:131)


Les mutations produites par les enfants peuvent aussi être incorrectes, incorrections qui sont importées dans la langues adultes comme marque hypocoristique. Le Dû (2012a:'ma') note ainsi l'effet hypocoristique de la production adulte me gaz bien (standard adulte ma c'hazh bihan), pour traduire 'mon petit chat-chat'. Il l'analyse comme "une faute volontaire de mutation, par affection, comme avec un enfant".


emprunts

Si le changement de code se spécialise sur un mot en particulier, celui-ci peut être adopté définitivement dans la langue cible. Les formes empruntées à d'autres langues peuvent aussi être interprétées comme ayant reçu une mutation.

Le mot 'visage' emprunté au français entre dans le lexique breton comme si son V initial résultait d'une mutation B>V (lénition). Le mot breton est donc rétabli en bizaj, ur vizaj. En (3), on voit que l'initiale de référence du mot est bien B. La mutation spirante déclenchée par le possessif féminin singulier ne change pas l'initiale B.


(3) Homañ a zo dir war he bizaj.
celle.là R est acier sur son2 visage
litt. 'Elle a de l'acier sur le visage.' > 'Elle est effrontée, elle a toutes les audaces.'
Le Berre & Le Dû (1999:56)


Bouzeg (1986:38) donne, pour les emprunts pull-over et vélo:


(5) 1SG ma2 belo ma2 filover
2SG da1 velo da1 bilover
3SGM e1 velo e1 bilover
3SGF he2 belo he2 filover
1PL - -
2PL ho3 pelo ho3 pilover
3PL o2 beloioù o2 filover Cornouaillais de l'Est (Riec), Bouzeg (1986:38)


diachronie

La mutation nasalisante qui est vivante en gallois n'est en breton standard qu'à l'état de traces dans dor, an nor 'la porte', ou les formes de l'impersonnel an nen. Dans les dialectes traditionnels, Merser (1963:§59) relève en vannetais les possessifs mem breur 'mon frère', men dorn 'ma main', men gwad 'mon sang'. A Ouessant, Malgorn (1909) associe au pluriel deñvedennet 'des brebis', le singulier ann añvad, eunn añvad 'la brebis, une brebis'.

Merser (1963:§58) relève quelques mutations nasalisantes dans des noms de lieu contenant un féminin singulier comme derv 'chêne' > An Nervoued.

Pourquoi ce n'est pas un phénomène phonologique

Les mutations consonantiques sont très intéressantes à étudier du point de vue phonologique, mais le déclenchement des mutations, lui, ne ressort pas de la phonologie en breton moderne. On peut comparer par exemple unan bihan 'un petit' avec l'équivalent féminin unan vihan 'une petite' et voir qu'un même élément peut précéder une mutation ou non. Il ne s'agit pas, en synchronie, d'un phénomène de liaison compliqué, mais bien d'un marquage morphologique dépendant du contexte syntaxique.


les déclencheurs peuvent n'être pas réalisés phonologiquement

Comme noté par Awbery (2004, 2008:14) pour le gallois, un déclencheur de mutation consonantique peut n'être pas réalisé phonologiquement.


(1) ... Welan ket viche tra all.
(ne)1 vois pas serait chose autre
'Je ne vois pas autre chsoe.' Ouessant, Gouedig (1982)


(2) (A) fydd digon o amser?
Q1 sera assez de temps
'Y-aura-t-il assez de temps?' Gallois, Awbery (2008:14)

l'identité syntaxique de la cible importe

L'identité syntaxique de la cible est importante pour décider si une mutation sera effectuée ou pas.


On a ainsi la préposition pe, qui déclenche la lénition, ici D> Z:

unan, daou, unan pe1 zaou
'un, deux, un ou deux'

Cette mutation n'est pas effectuée quand pe précède un adverbe tel que kentoc'h (* K > G), ou un verbe:

pe kentoc'h...
'ou plutôt...'


(1) ... a-gaoz m' o deus sammet pe kaset traoù ponner.
à1-cause que' 3PL a chargé ou envoyé choses lourd
'...parce qu'ils ont chargé ou porté des choses lourdes.' Haut-vannetais, Louis (2015:214)


En (2), la préposition war 'sur' qui proovoque une lénition sur un nom ou un verbe qui la suit (war + du 'côté' > war-zu 'vers') ne provoque jamais cette mutation D>Z sur un possessif qui la suit (* war za vanne).


(2) Sao war da vanne 'ta Saig!
montée sur1 mon2 verre donc Saig
'Finis ton verre donc, Saig!' Léon, Kervella (2009:215)

la structure syntaxique importe

Holl, 'tous', provoque une lénition sur le nom qui le suit (holl dud ar sal, 'tous les gens de la salle'), sauf si la structure syntaxique le sépare du nom qui le suit linéairement.


(1) Beza e vezot holl [ tud konsakret d'in ] Herry (1861:98)
expl R serez tous gens consacré à.moi
'Vous serez tous pour moi des gens consacrés.'


La branche gauche dans la structure syntaxique semble être une barrière à la lénition entre un déclencheur et la tête de son argument interne: un daol vras 'une grande table', mais un daol ken bras / * vras, Pa1 grog Anna da..., mais, à Plougerneau Pa kroget en deus Anna... 'quand Anna a commencé....' (M-L. B. 05/2016), da Verc'hed 'à Berc'hed', mais da1 ma2 merc'h 'à ma fille'.

Un nom féminin déclenche une lénition sur un adjectif qui le suit (ur1 verc'h1 vihan 'une petite fille') sauf si la structure syntaxique n'est pas celle d'un groupe nominal modifié par cet adjectif.


(2) ur1 verc'h [ bihan he c'hoar ]
un1 fille petit son2 soeur
'une fille dont la sœur est petite'


Merser (1963:§60) considère que "les mutations ne peuvent se produire que dans une groupement fonctionnel". Cependant, s'il signale une préférence en (2) pour la forme non-mutée, il signale que l'alternative forme mutée velen "peut se dire".


(3) Eur rozenn velen / melen he liou. Merser (1963:§60)
un rose.F 1jaune/jaune son couleur
'une robe à la couleur jaune'

l'interprétation sémantique de la cible importe

L'interprétation sémantique de la cible est importante pour décider quelle mutation effectuer.

Le substantif pluriel kranked, 'crabes', a une interprétation littérale, et une interprétation imagée. En argot, kranked désigne des garçons aux jambes maigres, rappelant celles des crabes (paotred-o-divhar-moan, Kervella 2003:9,79).

Selon le système des mutations, après l'article, le mot kranked qui n'est ni féminin singulier ni masculin pluriel de personne, subit la mutation réduite K>C'H. On a donc: kranked, ar c'hranked, 'les crabes'.

Le mot d'argot, lui, désigne un nom masculin pluriel de personne (qui n'a pas son pluriel en -où), et subit une lénition. On a donc: kranked, ar granked, 'les gars aux jambes de crabes'.

Sans prendre en compte l'interprétation, imagée ou non, du substantif, il est impossible de décider quelle mutation choisir.


Idiosyncrasie et exceptions aux mutations

Si les mutations étaient un phénomène purement phonologique, on aurait du mal à expliquer les exceptions, telles que celle du mot plac'h.

Ce mot plac'h 'femme' est grammaticalement féminin. Cependant, ce mot ne présente jamais de lénition après l'article (Kervella 2016). C'est aussi le cas de greg 'cafetière' et gar 'gare ferroviaire' (Kervella 1947:§153, Trépos 2001:§82,5).


(1) Goudeze, setu mestrez an ti, eur plac'h koz, da lavarout...
après.ça voici maitresse le maison un fille vieux de1 dire
'Après ça, la maitresse de maison, une vieille femme, dit...'
Cornouaille (Pleyben), Ar Floc'h (1950:157)


Kervella (1947:§153) signale le cas du nom koz, 'taupe', nom qui se trouve sous la forme ar c'hoz (mutation des masculins), mais aussi "parfois même" ar goz. On trouve par ailleurs en breton moderne ar c'hoz vihan, 'la petite taupe', titre de livre jeunesse, avec la mutation masculine appliquée à l'initiale du nom, et la mutation féminine appliquée à l'initiale de son adjectif.

la mutation ou non du déclencheur n'est pas importante

Canoniquement, un déterminant fait muter un nom féminin, qui à son tour fait muter un potentiel adjectif postverbal (ur vro c'hleb 'un pays mouillé').


les adjectifs de noms non-mutés mutent

On peut observer en (1) que le nom propre féminin Matriona, qui n'est pas précédé d'un déterminant et qui par conséquent n'est pas muté, reste un déclencheur de lénition sur son adjectif postverbal.


(1) Tristaet-tout e oa Matriona baour o tont d'ar gêr. ( < paour)
tristé-tout R était Matriona 1pauvre à4 venir à'le 1foyer
'Matriona était toute triste en rentrant à la maison.'
Trégorrois (Kaouenneg), ar Barzhig (1976:38)


(2) Na pet gwech ne'm eus-me ket klevet tud vat o lavarout (...)
et combien fois ne'1SG a-moi pas entendu gens 1bon à4 dire
'Combien de fois n'ais-je entendu de bonnes gens dire (...)'
Standard, Kervella (1933:62)


les adjectifs de noms spirantisés peuvent subir une lénition

(2) ma c'halon baour! Cornouaillais / Léon, Croq (1908:30)
mon2 coeur pauvre
'mon pauvre coeur!'


En (3), le possessif de première personne provoque une mutation spirante sur l'initiale /b/ du nom bro 'pays', qui n'est donc pas affectée (G>G). Le premier adjectif épithète dans la coordination qu'est gleborek a subi une mutation. La spirantisation n'aurait pas affecté son initiale. Il s'agit d'une lénition provoquée par le nom féminin bro, ur vro.


(3) Drouk-hirnez ez eus ennon hiziv d'am bro c'hleborek ha glas. Standard, Drezen (1932:11)
mal-.longueur R est dans.moi à'mon2 pays 2humide et vert
'Je me languis aujourd'hui de mon pays humide et vert.'

les noms vides font barrière

En (1)a, l'adjectif numéral cardinal masculin tri provoque une spirantisation sur le nom kamm qui le suit. En (1)b, le nom qui suit le cardinal est vide, et kamm est un adjectif. On voit que tri ne provoque pas de spirantisation sur cet adjectif postnominal kamm. Au contraire, c'est le nom masculin pluriel vide qui a provoqué une lénition. Les mutations consonantiques sont donc sensibles à l'environnement syntaxique, puisque tri ne déclenche pas de mutation sur n'importe quel mot qui le suit, et elles peuvent être déclenchées par des noms vides, ce qui montre qu'il ne s'agit pas d'un phénomène phonologique.


(1)a. tri2 c’hamm vs. b. tri2 _[ø]_1 gamm
3.Masc pas 3.Masc N.Masc boiteux
'trois pas' vs. 'trois boiteux' Standard, Kervella (1995:§515)


La disjonction pe 'ou' est un déclencheur de la lénition, mais avec des exceptions (Merser 1963:§17). En particulier, les éléments fonctionnels résistent plus à la mutation. En (2), M-L. B. considère manifestement l'ellipse comme une barrière.


(2) Lavar din ha dont a ri pe { ket /* get }.
dis à.moi si venir R feras ou pas
'Di-moi si tu viendras ou pas. Léon (Plougerneau), M-L. B. (01/2016)


Le bord gauche d'une infinitive, ou son sujet vide PRO, font aussi barrière à la mutation (Petra faot dit gwell? Mont gant an tren pe bale da unan?).

les mutations doubles

Il est reporté parfois des phénomènes de mutations doubles, comme appliquées l'une après l'autre sur la même cible. Konan (2017:265) signale la forme o font qu'il associe à l'Est du pays (au lieu de o vont 'en allant'), et la forme ma c'hâotr qu'il documente à Plouigno (au lieu de ma faotr).


Horizons comparatifs

Des systèmes comparables au système des langues celtiques se sont développés un peu partout dans le monde, de façon apparemment indépendante.

En Afrique de l'Ouest, on trouve un système complet de mutations consonnantiques dans la langue peule fula (= fulfulde, poulard), ainsi que dans les langues mandées. On en relève en sérère, une langue proche du fula parlée au Sénégal et en Gambie (branche atlantique des langues nigéro-congolaises). Merrill (2014) ajoute le biafada, les deux langues buy (kobiana et kasanga). Les langues tenda (konyagi, basari, et bedik) ont même peu ou pas de consonnes qui ne mutent pas. Les mutations y marquent les classes de noms, et le temps et l'aspect sur les verbes. Le wolof utilise les mutations de façon plus réduite, uniquement pour les diminutifs des noms et pour la nominalisation des verbes.

En Amérique du nord-ouest, Merrill (2014) relève les langues numiques (Uto-Aztèques) comme le Paiute du sud.


Le phénomène de mutation consonantique est réputé rare à travers les langues du monde, mais la rareté typologique du phénomène de mutation consonnantique dépend aussi de la façon dont on définit ce phénomène.


Bibliographie

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  • Loth, J. 1890. 'De l'adjectif subissant la mutation initiale après un substantif masculin', Henri d'Arbois de Jubainville (dir.), avec le concours de Joseph Loth et d'Emile Ernault , Revue Celtique XI:207, texte.
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autres langues celtiques

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horizons théoriques et comparatifs

  • Merrill, John. 2014. A Typological Overview of Consonant Mutation, Phd thesis prospectus, UC Berkeley.