Différences entre les versions de « Les mutations consonantiques »

De Arbres
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== Emprunts ==
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Les formes [[emprunt|empruntées]] à d'autres langues peuvent être interprétées comme ayant reçu une mutation.
Les formes [[emprunt|empruntées]] à d'autres langues peuvent être interprétées comme ayant reçu une mutation.

Version du 29 novembre 2012 à 17:42

Les mutations consonantiques sont un trait remarquable des langues celtiques. Elles modifient les consonnes initiales de catégories lexicales.

Les transformations des mutations

En breton, les consonnes initiales d'un mot susceptibles de muter sont:

K, T, P, G, D, B, M, D, Gw
(mnémotechnique: Kasse Ta Pipe Gueule De Bois Marmonne Gwenola)

Dans la réalité de la langue parlée, il en existe en fait d'autres (par exemple la lénition F > V).

Ce qu'il advient de ces consonnes une fois la mutation accomplie est résumé dans le tableau ci-dessous.

Consonne initiale mutable: K T P G Gw D B M
1. lénition G D B C'h W Z V V
1 a. G D B C'h W _ V V
1 b. _ _ _ C'h W Z V V
2. spirante C'h Z F _ _ _ _ _
3. durcissante _ _ _ K Kw T P _
4. léniprovection _ _ _ C'h W T V V
5. réduite C'H _ _ _ _ _ _ _


les différents déclencheurs des mutations

la lénition

La mutation consonantique dite 'adoucissante' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:

le rannig a
les déterminants possessifs da (2SG) et e (3SGM)
les pronoms objet proclitiques da (2SG) et e (3SGM)
les prépositions da, a, dre, et parfois après dindan, diwar, pe, war
les cardinaux daou et div (2)
les particules négatives ne et na
le réflexif en em
l'équivalent du gérondif: en ur,
le quantifieur holl
la préposition eme
gwall-, hanter, et de nombreux autres préfixes.
un mot féminin singulier, ou masculin pluriel de personnes qui n'ont pas leur pluriel en -où sur un adjectif épithète ou un nom en apposition


Cas 1a: après l'article défini ar et an, et l'article indéfini ur et un pour les noms féminins singuliers et les noms masculins pluriels de personnes qui n'ont pas leur pluriel en -.
Cas 1b: adjectifs épithètes et noms en apposition après les substantifs se terminant par autre chose que L, M, N, R, V ou une voyelle.
note: la mutation de Z après N est facultative dans les cas 1 et 1b.

la spirantisation

La mutation consonantique dite 'spirante' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:

les déterminants possessifs ma, va, em, am (1SG), he (3SGF), o (3PL)
les pronoms objet proclitiques ma, va, em, am (1SG), he (3SGF), o (3PL)
les cardinaux tri, teir (3), pevar et peder (4), nav (9)

la mutation durcissante

La mutation consonantique dite 'durcissante' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:

les déterminants possessifs ho (2PL), az et ez (2SG)
les pronoms objet proclitiques ho (2PL), az et ez (2SG)

léniprovection/mixte

La mutation consonantique dite 'léniprovection', ou 'mixte' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:

le rannig e
la conjonction ma
la particule aspectuelle o


Cette mutation consonantique ne touche donc que des verbes, puisque tous ses éléments déclencheurs sont toujours directement préverbaux.

Cette mutation consonantique est dite mixte car elle a l'action de la lénition sur les consonnes G, Gw, B et M, et l'action de la mutation durcissante sur la consonne D.

K > C'H

La mutation consonantique réduite à K > C'H est déclenchée par:

l'article ar et ur pour tous les mots sauf féminins singuliers et masculins pluriels de personnes (sauf ceux qui se terminent en -).
le déterminant possessif hor (1PL)


oral / écrit

Les écrits modernes marquent la plupart des formes mutées. Cependant, certaines mutations consonanntiques marquées à l'oral ne sont pas généralement retranscrites, comme typiquement les voisements F > V, ou S > Z.


(1) Blaz vat zo gant ar zoubenn.
goût bon est avec le soupe
'La soupe a bon goût.' Léon, (Kleder), Fave (1998:60)
litt. 'Il y a bon goût avec la soupe.'


L'apprentissage du système des mutations consonantiques réserve de grands moments de joie mélangée lorsque l'apprenant.e se rend compte que sans intérioriser ce système complexe, même trouver un mot dans le dictionnaire devient une gageure. L'apprentissage du breton par des adultes passe souvent par une phase prototypique où le locuteur surgénère et se met à appliquer les mutations consonantiques dans sa langue native. Cela marque généralement un stade important dans l'apprentissage.

L'apprentissage des mutations à l'écrit peut poser problème même à des natifs, comme le montre le témoignage de J. Kerrien dans Le Peuple Breton n°287 (1987:14).

effets d'intervention

En (2), on voit qu'un adjectif prénominal intervenant bloque la lénition sur le nom féminin gwezenn (eur1 wezenn). La lénition ne s'applique pas sur l'adjectif prénominal. L'adjectif postnominal qui suit directement le nom gwezenn mais ne le modifie pas (il modifie he deliou), ne reçoit pas non plus de mutation consonantique.


(2) eur mell gwezenn [ glas-kaol he deliou ]
un1 grand arbre vert-chou son feuilles
'Un grand arbres aux feuilles vert-chou' léonard (Kleder), Seite (1998:44)

emprunts

Les formes empruntées à d'autres langues peuvent être interprétées comme ayant reçu une mutation.

Le mot 'visage' emprunté au français entre dans le lexique breton comme si son V initial résultait d'une mutation B>V (lénition). Le mot breton est donc rétabli en bizaj, ur vizaj. En (3), on voit que l'initiale de référence du mot est bien B. La mutation spirante déclenchée par le possessif féminin singulier ne change pas l'initiale B.


(3) Homañ a zo dir war he bizaj.
celle.là R est acier sur son2 visage
litt. 'Elle a de l'acier sur le visage.' > 'Elle est effrontée, elle a toute les audaces.'
Le Berre & Le Dû (1999:56)


Bouzeg (1986:38) donne, pour les emprunts pull-over et vélo:


(5) 1SG ma2 belo ma2 filover
2SG da1 velo da1 bilover
3SGM e1 velo e1 bilover
3SGF he2 belo he2 filover
1PL - -
2PL ho3 pelo ho3 pilover
3PL o2 beloioù o2 filover Haut-cornouaillais (Rieg), Bouzeg (1986:38)

pourquoi ce n'est pas un phénomène phonologique

Les mutations consonantiques sont très intéressantes à étudier du point de vue phonologique, mais le déclenchement des mutations, lui, ne ressort pas de la phonologie en breton moderne. Il ne s'agit pas, en synchronie, d'un phénomène de liaison compliqué, mais bien d'un marquage morphologique dépendant du contexte syntaxique.

l'identité syntaxique de la cible importe

L'identité syntaxique de la cible est importante pour décider si une mutation sera effectuée ou pas.

On a ainsi la préposition pe, qui déclenche la lénition, ici D> Z:

unan, daou, unan pe1 zaou
'un, deux, un ou deux'

Cette mutation n'est pas effectuée quand pe précède un adverbe tel que kentoc'h (* K > G):

pe kentoc'h...
'ou plutôt...'


l'interprétation sémantique de la cible importe

L'interprétation sémantique de la cible est importante pour décider quelle mutation effectuer.

Le substantif pluriel kranked, 'crabes', a une interprétation littérale, et une interprétation imagée. En argot, kranked désigne des garçons aux jambes maigres, rappelant celles des crabes (poatred-o-divhar-moan, Kervella 2003:9,79).

Selon le système des mutations, après l'article, le mot kranked qui n'est ni féminin singulier ni masculin pluriel de personne, subit la mutation réduite K>C'H.

On a donc: kranked, ar c'hranked, 'les crabes'

Le mot d'argot, lui, désigne un nom masculin pluriel de personne (qui n'a pas son pluriel en -où), et subit une lénition.

On a donc: kranked, ar granked, 'les gars aux jambes de crabes'

Sans prendre en compte l'interprétation, imagée ou non, du substantif, il est impossible de décider quelle mutation choisir.

Idiosyncrasie

Si les mutations étaient un phénomène purement phonologique, on aurait du mal à expliquer les exceptions, telles que celle du mot plac'h.

Le mot plac'h, 'femme', est grammaticalement féminin. Cependant, ce mot ne présente jamais de lénition après l'article, et les adjectifs ne mutent pas après lui.


(1) Goudeze, setu mestrez an ti, eur plac'h koz, da lavarout...
après.ça voici maitresse le maison un femme vieux de dire
'Après ça, la maitresse de maison, une vieille femme, dit...'
Cornouaille (Pleyben), Ar Floc'h (1950:157)

la mutation ou non du déclencheur n'est pas importante

Canoniquement, un déterminant fait muter un nom féminin, qui à son tour fait muter un potentiel adjectif postverbal. On peut observer en (y) que le nom propre féminin Matriona, qui n'est pas précédé d'un déterminant et qui par conséquent n'est pas muté, reste un déclencheur de lénition sur son adjectif postverbal.


(y) Tristaet-tout e oa Matriona baour o tont d'ar gêr. ( < paour)
tristé-tout R était Matriona pauvre à venir àle maison
'Matriona était toute triste en rentrant à la maison.'
Treger (Kaouenneg), ar Barzhig (1976:38)

les noms vides font barrière

En (1)a, l'adjectif numéral cardinal masculin tri provoque une spirantisation sur le nom kamm qui le suit. En (1)b, le nom qui suit le cardinal est vide, et kamm est un adjectif. On voit que tri ne provoque pas de spirantisation sur cet adjectif postnominal kamm. Au contraire, c'est le nom masculin pluriel vide qui a provoqué une lénition. Les mutations consonantiques sont donc sensibles à l'environnement syntaxique, puisque tri ne déclenche pas de mutation sur n'importe quel mot qui le suit, et elles peuvent être déclenchées par des noms vides, ce qui montre qu'il ne s'agit pas d'un phénomène phonologique.


(1)a. tri2 c’hamm vs. b. tri2 _[ø]_ gamm
3.Masc pas 3.Masc N.Masc boiteux
'trois pas' vs. 'trois boiteux' standard, Kervella (1995:§515)

Bibliographie

  • Kerrien, J. 1987. « Pennad-kaoz gant Jakez Kerrien: Re, re em-bije karet ar brezhoneg », conversation (en breton) avec Jakez Kerrien : « Trop, j'aurais trop aimé la langue bretonne », recueillie par Pascal Rannou, publiée dans Le Peuple Breton n° 287.
  • Loth, J. 1888. 'Un cas de provection inédit ', Henri d'Arbois de Jubainville (dir.), Revue Celtique IX.
  • Loth, J. 1888. 'Provection de moyennes en spirantes sourdes en breton armoricain', Henri d'Arbois de Jubainville (dir.), Revue Celtique IX.
  • Stephens, J. 1996. 'The acquisition of mutations in Breton', Teod 2:22-32.
  • Stump, G. T. 1988. 'Non-local spirantization in Breton', Journal of Linguistics, 24(2),457-81.
  • Stump, G. T. 1987. 'On incomplete mutations in Breton', A Festschrift for Ilse Lehiste, Ohio University Working Papers in Linguistics 35, 1-10.