Différences entre les versions de « Les mutations consonantiques »
Ligne 178 : | Ligne 178 : | ||
|- | |- | ||
| ||<i><font color=green>3PL</font></i>||o<sup>[[2]]</sup> '''b'''eloioù||o<sup>[[2]]</sup> '''f'''ilover ||''Haut-Cornouaillais (Rieg)'', [[Bouzeg (1986)|Bouzeg (1986]]:38) | | ||<i><font color=green>3PL</font></i>||o<sup>[[2]]</sup> '''b'''eloioù||o<sup>[[2]]</sup> '''f'''ilover ||''Haut-Cornouaillais (Rieg)'', [[Bouzeg (1986)|Bouzeg (1986]]:38) | ||
|} | |} | ||
Version du 26 mars 2012 à 16:57
Les mutations consonantiques sont un trait remarquable des langues celtiques. Elles modifient les consonnes initiales de catégories lexicales.
Les transformations des mutations
En breton, les consonnes initiales d'un mot susceptibles de muter sont:
- K, T, P, G, D, B, M, D, Gw
- (mnémotechnique: Kasse Ta Pipe Gueule De Bois Marmonne Gwenola)
Dans la réalité de la langue parlée, il en existe en fait d'autres (par exemple la lénition F > V).
Ce qu'il advient de ces consonnes une fois la mutation accomplie est résumé dans le tableau ci-dessous.
Consonne initiale mutable: | K | T | P | G | Gw | D | B | M |
1. lénition | G | D | B | C'h | W | Z | V | V |
1 a. | G | D | B | C'h | W | _ | V | V |
1 b. | _ | _ | _ | C'h | W | Z | V | V |
2. spirante | C'h | Z | F | _ | _ | _ | _ | _ |
3. durcissante | _ | _ | _ | K | Kw | T | P | _ |
4. léniprovection | _ | _ | _ | C'h | W | T | V | V |
5. réduite | C'H | _ | _ | _ | _ | _ | _ | _ |
Les différents déclencheurs des mutations
La lénition
La mutation consonantique dite 'adoucissante' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:
- le rannig a
- les déterminants possessifs da (2SG) et e (3SGM)
- les pronoms objet proclitiques da (2SG) et e (3SGM)
- les prépositions da, a, dre, et parfois après dindan, diwar, pe, war
- les cardinaux daou et div (2)
- les particules négatives ne et na
- le réflexif en em
- l'équivalent du gérondif: en ur,
- le quantifieur holl
- la préposition eme
- gwall, hanter, et de nombreux autres préfixes.
- un mot féminin singulier, ou masculin pluriel de personnes qui n'ont pas leur pluriel en -où sur un adjectif épithète ou un nom en apposition
- Cas 1a: après l'article défini ar et an, et l'article indéfini ur et un pour les noms féminins singuliers et les noms masculins pluriels de personnes qui n'ont pas leur pluriel en -où.
- Cas 1b: adjectifs épithètes et noms en apposition après les substantifs se terminant par autre chose que L, M, N, R, V ou une voyelle.
- note: la mutation de Z après N est facultative dans les cas 1 et 1b.
La spirantisation
La mutation consonantique dite 'spirante' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:
- les déterminants possessifs ma, va, em, am (1SG), he (3SGF), o (3PL)
- les pronoms objet proclitiques ma, va, em, am (1SG), he (3SGF), o (3PL)
- les cardinaux tri, teir (3), pevar et peder (4), nav (9)
la mutation durcissante
La mutation consonantique dite 'durcissante' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:
- les déterminants possessifs ho (2PL), az et ez (2SG)
- les pronoms objet proclitiques ho (2PL), az et ez (2SG)
léniprovection/mixte
La mutation consonantique dite 'léniprovection', ou 'mixte' (dictionnaire Mouladurioù Hor Yezh) est déclenchée par:
- le rannig e
- la conjonction ma
- la particule aspectuelle o
Cette mutation consonantique ne touche donc que des verbes, puisque tous ses éléments déclencheurs sont toujours directement préverbaux.
Cette mutation consonantique est dite mixte car elle a l'action de la lénition sur les consonnes G, Gw, B et M, et l'action de la mutation durcissante sur la consonne D.
K > C'H
La mutation consonantique réduite à K > C'H est déclenchée par:
- l'article ar et ur pour tous les mots sauf féminins singuliers et masculins pluriels de personnes (sauf ceux qui se terminent en -où).
- le déterminant possessif hor (1PL)
oral / écrit
Les écrits modernes marquent la plupart des formes mutées. Cependant, certaines mutations consonanntiques marquées à l'oral ne sont pas généralement retranscrites, comme typiquement les voisements F > V, ou S > Z.
(1) | Blaz vat zo gant ar zoubenn. | ||||||||||
goût bon est avec le soupe | |||||||||||
'La soupe a bon goût.' | Léon, (Kleder), | Fave (1998:60) | |||||||||
litt. 'Il y a bon goût avec la soupe.' |
L'apprentissage du système des mutations consonantiques réserve de grands moments de joie mélangée lorsque l'apprenant.e se rend compte que sans intérioriser ce système complexe, même trouver un mot dans le dictionnaire devient une gageure. L'apprentissage du breton par des adultes passe souvent par une phase prototypique où le locuteur surgénère et se met à appliquer les mutations consonantiques dans sa langue native. Cela marque généralement un stade important dans l'apprentissage.
L'apprentissage des mutations à l'écrit peut poser problème même à des natifs, comme le montre le témoignage de J. Kerrien dans Le Peuple Breton n°287 (1987:14).
Effets d'intervention
En (2), on voit qu'un adjectif prénominal intervenant bloque la lénition sur le nom féminin gwezenn (eur1 wezenn). La lénition ne s'applique pas sur l'adjectif prénominal. L'adjectif postnominal qui suit directement le nom gwezenn mais ne le modifie pas (il modifie he deliou), ne reçoit pas non plus de mutation consonantique.
(2) | eur mell gwezenn | [ glas-kaol | he deliou ] | |||
un1 grand arbre | vert-chou | son feuilles | ||||
'Un grand arbres aux feuilles vert-chou' | léonard (Kleder), | Seite (1998:44) |
Emprunts
Les formes empruntées à d'autres langues peuvent être interprétées comme ayant reçu une mutation.
Le mot 'visage' emprunté au français entre dans le lexique breton comme si son V initial résultait d'une mutation B>V (lénition). Le mot breton est donc rétabli en bizaj, ur vizaj. En (3), on voit que l'initiale de référence du mot est bien B. La mutation spirante déclenchée par le possessif féminin singulier ne change pas l'initiale B.
(3) | Homañ | a zo dir | war | he | bizaj. | ||
celle.là | R est acier | sur | son2 | visage | |||
litt. 'Elle a de l'acier sur le visage.' > 'Elle est effrontée, elle a toute les audaces.' | |||||||
Le Berre & Le Dû (1999:56) |
En (4), l'emprunt au français 'valise' s'est intégré dans le lexique breton comme si son V initial résultait d'une mutation M>V (lénition).
Le mot breton est donc rétabli en malizenn, ur valizenn. En (4), le mot 'valise' est utilisé dans une construction génitive qui entraine l'absence d'article devant le nom. La forme est donc non-mutée.
(4) | Pelec'h 'ta | eo chomet | malizenn | an itron | Alberto? | ||
où donc | R est resté | valise | le madame | Alberto | |||
'Mais où est donc passé la valise de madame Alberto ?' | |||||||
titre de livre jeunesse, M.D. Arros (2004), An Here (éd.) |
Bouzeg (1986:38) donne, pour les emprunts pull-over et vélo:
(5) | 1SG | ma2 belo | ma2 filover | |
2SG | da1 velo | da1 bilover | ||
3SGM | e1 velo | e1 bilover | ||
3SGF | he2 belo | he2 filover | ||
1PL | - | - | ||
2PL | ho3 pelo | ho3 pilover | ||
3PL | o2 beloioù | o2 filover | Haut-Cornouaillais (Rieg), Bouzeg (1986:38) |
pourquoi ce n'est pas un phénomène phonologique
Les mutations consonantiques sont très intéressantes à étudier du point de vue phonologique, mais le déclenchement des mutations, lui, ne ressort pas de la phonologie en breton moderne. Il ne s'agit pas, en synchronie, d'un phénomène de liaison compliqué, mais bien d'un marquage morphologique dépendant du contexte syntaxique.
l'identité syntaxique de la cible importe
L'identité syntaxique de la cible est importante pour décider si une mutation sera effectuée ou pas.
On a ainsi la préposition pe, qui déclenche la lénition, ici D> Z:
Cette mutation n'est pas effectuée quand pe précède un adverbe tel que kentoc'h (* K > G):
- pe kentoc'h...
- 'ou plutôt...'
l'interprétation sémantique de la cible importe
L'interprétation sémantique de la cible est importante pour décider quelle mutation effectuer.
Le substantif pluriel kranked, 'crabes', a une interprétation littérale, et une interprétation imagée. En argot, kranked désigne des garçons aux jambes maigres, rappelant celles des crabes (poatred-o-divhar-moan, Kervella 2003:9,79).
Selon le système des mutations, après l'article, le mot kranked qui n'est ni féminin singulier ni masculin pluriel de personne, subit la mutation réduite K>C'H.
On a donc: kranked, ar c'hranked, 'les crabes'
Le mot d'argot, lui, désigne un nom masculin pluriel de personne (qui n'a pas son pluriel en -où), et subit une lénition.
On a donc: kranked, ar granked, 'les gars aux jambes de crabes'
Sans prendre en compte l'interprétation, imagée ou non, du substantif, il est impossible de décider quelle mutation choisir.
Idiosyncrasie
Si les mutations étaient un phénomène purement phonologique, on aurait du mal à expliquer les exceptions, telles que celle du mot plac'h.
Le mot plac'h, 'femme', est grammaticalement féminin. Cependant, ce mot ne présente jamais de lénition après l'article, et les adjectifs ne mutent pas après lui.
(1) | Goudeze, | setu mestrez an ti, | eur plac'h koz, | da lavarout... | ||
après.ça | voici maitresse le maison | un femme vieux | de dire | |||
'Après ça, la maitresse de maison, une vieille femme, dit...' | ||||||
Cornouaille (Pleiben), Ar Floc'h (1950:157) |
la mutation ou non du déclencheur n'est pas importante
Canoniquement, un déterminant fait muter un nom féminin, qui à son tour fait muter un potentiel adjectif postverbal. On peut observer en (y) que le nom propre féminin Matriona, qui n'est pas précédé d'un déterminant et qui par conséquent n'est pas muté, reste un déclencheur de lénition sur son adjectif postverbal.
(y) | Tristaet-tout | e oa | Matriona baour | o tont d'ar gêr. ( < paour) | |||
tristé-tout | R était | Matriona pauvre | à venir àle maison | ||||
'Matriona était toute triste en rentrant à la maison.' | |||||||
Treger (Kaouenneg), ar Barzhig (1976:38) |
les noms vides font barrière
En (1)a, l'adjectif numéral cardinal masculin tri provoque une spirantisation sur le nom kamm qui le suit. En (1)b, le nom qui suit le cardinal est vide, et kamm est un adjectif. On voit que tri ne provoque pas de spirantisation sur cet adjectif postnominal kamm. Au contraire, c'est le nom masculin pluriel vide qui a provoqué une lénition. Les mutations consonantiques sont donc sensibles à l'environnement syntaxique, puisque tri ne déclenche pas de mutation sur n'importe quel mot qui le suit, et elles peuvent être déclenchées par des noms vides, ce qui montre qu'il ne s'agit pas d'un phénomène phonologique.
(1)a. | tri2 | c’hamm | vs. | b. | tri2 | _[ø]_ | gamm | ||
3.Masc | pas | 3.Masc | N.Masc | boiteux | |||||
'trois pas' vs. 'trois boiteux' | standard, Kervella (1995:§515) |
Bibliographie
- Ernault, E. 1897. 'Sur la mutation faible de d après n en breton', Zeitschrift für Celtische Philologie 1, 38-46.
- Kerrien, J. 1987. « Pennad-kaoz gant Jakez Kerrien: Re, re em-bije karet ar brezhoneg », conversation (en breton) avec Jakez Kerrien : « Trop, j'aurais trop aimé la langue bretonne », recueillie par Pascal Rannou, publiée dans Le Peuple Breton n° 287.
- Stephens, J. 1996. 'The acquisition of mutations in Breton', Teod 2:22-32.
- Stump, G. T. 1988. 'Non-local spirantization in Breton', Journal of Linguistics, 24(2),457-81.
- Stump, G. T. 1987. 'On incomplete mutations in Breton', A Festschrift for Ilse Lehiste, Ohio University Working Papers in Linguistics 35, 1-10.