Le rannig

De Arbres

Description du phénomène

Dans tous les dialectes du breton, apparaît devant le verbe fléchi une particule préverbale (dite "rannig-verb", littéralement "petit bout de verbe"). Le rannig apparaît au maximum sous deux formes: a et e et ces deux formes sont en distribution mutuellement exclusive.

Quels que soient les dialectes les propriétés du rannig sont les suivantes:

Obligatoire

Un verbe fléchi doit être précédé d'un rannig (et d'un seul!).

Un seul verbe de la langue pourrait faire exception en apparaissant fléchi sans être précédé d'un rannig: c'est le verbe 'être' sous la forme emañ. En effet, aucun rannig, a ou e, ne peut jamais le précéder, et le E à l'initiale du verbe résiste à l'analyse en tant que rannig e incorporé (pas de forme a en alternance, même lorsqu'un DP est antéposé).

Mutations

Le rannig, provoque potentiellement des mutations consonantiques sur le verbe qui la suit.

Accentuation

Les rannigs sont monosyllabiques et inaccentués.


Variation dialectale

Il existe une variation dialectale immense dans la distribution des rannigs a et e.

Dans certains dialectes, la distinction entre les deux particules a même été perdue.

Il est plausible, quand on pense aux chansons où aux écrits où les rannigs sont toujours marqués/prononcés, que les locuteurs soient bilingues avec une autres variété de breton qui, elle, a préservé une distinction.

Zones de variation

On peut identifier des zones de variation, lister les propriétés qui changent de dialecte en dialecte. Dans chaque dialecte/variété, on peut se demander:

  • Y-a-il deux rannigs distincts ou seulement un seul?
  • Les rannigs induisent-ils des mutations semblables ou différentes sur le verbe consécutifs?
  • La distribution des différentes formes du verbe 'être', bezañ est associée à des rannigs différents. Les formes zo sont toujours attachées au rannig a, alors que les formes eus, eo sont toujours associées au rannig e (dans le cas de eman, il n'est pas sur qu'il y ait un rannig dans le composé du tout).

Comme le rannig, inaccentué, peut ne pas être prononcé, l'étude de la distribution des formes du verbe 'être', bezañ, est importante car elle les révèle même s'ils ne sont pas eux-même prononcés.

Leon

Le fonctionnement grammatical des rannigs dans le dialecte léonard (léonais) constitue le terrain empirique de l'étude de J.Y Urien (1989). Les rannigs y sont fortement distingués l'un de l'autre, avec un effacement uniquement dans les environnements de négation et de l'auxiliaire 'avoir'.

Rezac (2008:26) note que tout nominal, sujet, faux sujet ou objet déclenche le rannig a, mais que toute extraction A' du sujet ou de l'objet déclenche le rannig e.

La traduction de Tintin Le Lotus Bleu en breton par An Here en 2002 illustre ce point en (1), avec un interrogatif objet préverbal qui déclenche le rannig e, décelable ici par la mutation qu'il déclenche sur le verbe talvezout, 'signifier'.


(1) [Petra an diaoul] ' talvez kement-se _ ?
Quoi det. diable R signifie autant-ça
'Que diable cela signifie-t-il?' Al Lotuz Glas (2002:1)


Le mot responsable de la sélection du rannig peut ne pas lui être adjacent. Ici, c'est le sujet antéposé qui déclenche le rannig a malgré l'intervention du syntagme prépositionnel.


(2) [DP Kement ki klanv a zeuio er vro ] [PP dre Voujez ] a dremeno.
chaque chien malade R viendra P.det pays par Boujez R passera
'Tous les chiens enragés qui arriveront dans la contrée passeront par Boujez.' léonard Kerrien (2000:4)

breton central

Le système du breton central a perdu la distinction a/e des rannigs jusque dans la mutation que la particule provoque sur le verbe qui suit (Wymffre (1998: 56,57,58)).

Il est à noter qu'en parallèle à cette perte de distinction des rannigs, le breton central use d'un nouveau complémenteur en enchâssées, la, grammaticalisation du verbe lavar, 'dire' (cf. les complémenteurs). Les distributions respectives des deux complémenteurs 'rannig + lénition' et la reste à documenter.

vannetais

Le Bayon (1878:24) associe à un antécédent sujet ou "au régime direct" le rannig e et sa mutation douce, et aux autres antécédents le rannig é et sa mutation mixte.

Il note comme exception la structure [attribut-rannig-copule]. Dans cette structure où l'attribut précède le rannig, le rannig disparaît au présent, et aux autres temsp, c'est le rannig e qui apparaît, bien qu'il ne soit pas au cas direct (Le Bayon 1878:26§IV). Guillevic & Le Goff (1986:160) notent de même qu'en vannetais, l'ordre des mots [attribut-rannig-copule] est associé à ë, l'équivalent vannetais du rannig a.

cornouaillais

Trépos (1980:96) semble présumer que la distinction a/e est présente dans son dialecte.

Chalm (2008:79) note que le rannig a apparaît après un sujet, un objet, un faux sujet (en ses termes 'un complément anticipé'), ou un verbe infinitif. Cette classe dessine celle des groupes nominaux antéposés. Le rannig e est utilisé dans tous les autres cas.

La Cournouailles de Gourin, Faouët et Scaër s'aligne sur le rannig unique du breton central. Martin (1929:182) écrit:

La particule verbale est toujours 'e' dans le vannetais, et le plus souvent dans le Cornouaillais,
lorsqu'elle n'est pas supprimée. La grande difficulté pour nous, lorsque nous voulons écrire conformément
aux dialectes du Léon et du Tréguier, c'est de savoir quand il faut remplacer 'e' par 'a'.
on emploie la particule 'a' quand le verbe est précédé du sujet ou du complément direct, et 'e' dans les autres cas.
M. Vallée a formulé la même règle, très peu suivie jusqu'ici, pour 'am eus' et 'em eus'.

Ce témoignage est intéressant, car il montre sa méconnaissance des systèmes qui différencient deux rannigs. Ayant séjourné à Lorient, il pense que le rannig vannetais est toujours 'e', ce qui est contredit par les sources vannetaises. Pour les dialectes de Léon et de Tréguier, il s'en remet à une règle de grammaire normative (plausiblement fausse).

Intérêt théorique

Les rannigs sont précieux pour l'étude théorique du langage à plus d'un égard.

Dans les dialectes où le rannig varie suivant la nature [+/- nominale] de l'élément antéposé, sa réalisation dans les phrases à stratégie explétive indique que cette stratégie explétive est sensible à la distinction de catégorie (Jouitteau 2007).

La question, ouverte, de l'identité théorique de cette particule est passionnante.

Horizons comparatifs

(à documenter)

Dans les langues celtiques, il existe une littérature touffue documentant ces particules, surtout en Gaélique d'Ecosse et d'Irlande. Les rannigs s'y comportent différemment des rannigs bretons. En Gaélique écossais par exemple, des particules a et e apparaissent dans les infinitives.

En dehors des langues celtiques, peu de cas sont avérés de particules préverbales sensibles à tout élément antéposé.

Bibliographie

Description générale

  • Fleuriot, L. 1984. 'Notes sur certaines particules relatives en brittonique', Etudes celtiques t.21:230-233.


Ouvrages théoriques

  • Hendrick, R. 1988. Anaphora in Celtic and Universal Grammar. Dordrecht: Kluwer.
  • Jouitteau, M. 2007. ‘The Brythonic Reconciliation: From V1 to generalized V2’, The Linguistics Variation Yearbook, Craenenbroek and Rooryck (eds.), Netherland. lingBuzz/000681
  • Jouitteau, M. 2005. La syntaxe comparée du breton, manuscrit de thèse, U. Nantes.
  • Urien, J-Y. 1999. 'Statut morphologique de la particule verbale', Breizh ha pobloù europa [Supplements à Klask], 645-676. Rennes: Hor Yezh & Klask.
  • Urien, J.Y. 1989. 'Le verbe bezañ et la relation médiate', Roazhon 2 : Klask 1 :101-128.
  • Urien, J.Y. 1987-9. La trame d'une langue, Le breton. Presentation d'une théorie de la syntaxe et application, Lesneven: Mouladurioù Hor Yezh. (première édition 1987).
  • Rezac, M. à paraître a. 'The Breton double subject construction', Recueil en hommage à Jean-Pierre Angoujard, PUR.
  • Rezac, M. 2008. ‘Building and interpreting a nonthematic A-position: A-resumption in English and Breton’, manuscrit à paraître dans Alain Rouveret (ed.), The Resumptive Book: Resumptive pronouns at the interfaces, Benjamins.
  • Rezac , M. 2004. ‘The EPP in Breton: An unvalued categorial feature’, Triggers, Studies in Generative Grammar, A. Breitbarth & H. v. Riemsdijk, Mouton de Gruyter. Preview

Description de la variation dialectale

  • Chalm, E. 2008. La Grammaire bretonne pour tous, An Alac'h embannadurioù.
  • Guillevic, A.; Le Goff, P. 1986 [1902 Vannes, Lafolye]. Grammaire Bretonne du Dialecte de Vannes, Brest: Ar Skol Vrezhoneg- Emgleo Breiz.
  • Martin, Pierre. 1929. Mouez Kerne; Echo de la Cornouaille: Scaër, Guiscriff et Gourin, le vrai pays des luttes, et des joyeux conteurs aux savantes disputes. [notes de langue à la fin de l'ouvrage], Moulerez Ar bayon-Roger, an Oriant.
  • Wmffre, I. 1998. Central Breton. [= Languages of the World Materials 152] Unterschleißheim: Lincom Europa.
  • Fave, V. 1998. Notennou yezadur, Emgleo Breiz. [description d'usage idiomatique, Léon, Cléder]

corpus

  • Hergé. 1946. le Lotus Bleu, [traduction An Here 2002. Troioù-kaer Tintin: Al Lotuz Glas par Divi Kervella].

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