Le conditionnel passé

De Arbres

Le conditionnel irréalis, ou conditionnel passé est caractérisé en breton moderne standard par le morphème -je. Prototypiquement, il exprime que les potentiels évoqués ne sont plus ou pas du domaine du possible.


(1) Kriz e vije ar galon na ouelje.
cruel R serait le 1cœur ne1 pleurerait
'Il aurait été dur le cœur qui n'eût pleuré.'
Standard, Falc'hun & Fleuriot (1978-79:7B)


Morphologie

variation dialectale

Se reporter à l'article sur le conditionnel pour la documentation sur la variation des formes du conditionnel présent et passé.


répartition dialectale

Les formes en -je ne sont pas également utilisées dans tous les dialectes du breton.

A Guiscriff et à Scaër, selon Naoned (1952:61), la forme du conditionnel passé est rare. Selon Timm (1987a:272), elle est absente du breton de Carhaix en Poher.


Syntaxe

classes de verbes de Hooper & Thompson (1973)

Les verbes en -je sont licites après toutes les classes de verbes, dont les verbes factifs.


(A) assertions fortes, verbes déclaratifs Lavaret en deus e vije deuet hirio.
(B) assertions faibles, verbes dénotant des processus mentaux Soñjet en deus e vije mat mont…
Huñvreet en deus e vije gouest.
(C) ni présupposée ni assertive Posupl eo e vije …
(D) semi-factive, présupposée, attitudes subjectives Aon bras en deus e vije bet ret dezhañ kenderc'hel
C'hoant ho peus e vije graet..
(E) factives et présupposées Kompren a reont e vije bet ken euzhus…


Sémantique

la forme -j pour un fait avéré

On trouve cependant, tout du moins en trégorrois et en Léon, des formes en -je après ma pour des faits du passé dont l'existence n'est pas remise en cause.


(1) A-benn ma'z aje kuit e vijed a-unan gantañ.
avant que+C irait parti R4 fut.on de-un avec.lui
'Avant qu'il ne partît, on était d'accord avec lui.'
Trégorrois, Gros (1984:189)


En (2), le locuteur explique la façon dont fonctionnait la punition du symbole à l'école monolingue. C'est un conditionnel passé sans irréalisation du prédicat, ce qui explique la reprise en oas, à l'imparfait.


(2) Ma vijes o c'hoari kanetennoù […], oas ket gouest da jom eken pesogwir e rankes klask eun all.
si4 serais à4 jouer bille.s étais pas capable de1 rester même car R4 dois chercher un autre
'Si on était en train de jouer aux billes, on ne pouvait même pas rester parce qu'on devait en chercher un autre.'
Léonard (Plougerneau), Elegoet (1975:9)


(3) Pa vijen o c'hlizennañ ar saout e parkeier ar Bugn…
quand1 serais à4 V le vaches en champ.s le Bugn
'Quand j'étais à faire paître les vaches dans les champs du Bugn.'
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:20)


la forme -j pour un habituatif

La forme en -j peut être utilisée pour exprimer l'aspect habituel d'une action.


(1) Alies gwech, mestr an ti a vije er park o labourat...
souvent fois maître le maison R1 serait en.le champ à4 travailler
'Bien souvent, le maître de maison était à travailler aux champs… '
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:119)


 Gros (1970:31):
 "Le trégorrois parlé exprime encore l'idée d'habitude, quel que soit le verbe, en employant le futur au lieu du présent, et le conditionnel au lieu de l'imparfait."
 
 Hennez pa vo mezo na dostäo ket amañ .
 'Celui-la, quand il est saoul ne s'approche pas d'ici (et cela, de façon habituelle, chaque fois qu'il est saoul).'
 
 Diou lonkadenn a evje
 'Il buvait habituellement deux gorgées'...


l'irréel sans conditionnel

L'irréel du passé peut être exprimé sans recourir au paradigme du conditionnel.


infinitive passé

(1) Kar dezhi boût bet deuet !
aime à.elle être été ven.u
'Si elle était venue hier !'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:36)


(2) /ma kar ˌheãw be 'tomɛd ãn ˌdu:r/
Ma kar beza tommet an dour… Graphie standard
si aime lui être chauff.é le eau
'S'il avait voulu faire chauffer l'eau… '
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:276)


imparfait

C'est la morphologie de l'imparfait qui apparaît dans les tournures modales.


(1) ' Oa ket dav mont du-se.
ne1 était pas fallu aller côté.
'Il n'aurait pas fallu aller là-bas.'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:36)


(2) Ret 'oa deoc'h boût bet tañvaet 'nezhañ !
obligé était à.vous être été goût.é P.lui
'Si vous l'aviez goûté !'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:36)


en enchâssées

La forme de l'imparfait, en enchâssées, peut aussi avoir une lecture de conditionnel.


(3) Ma mije gouiet lar a oah é tond ma laket 'han'h ba ma gwetur 'mestra !
si 1SG.avait s.u que R étiez à4 venir 1SG.avait m.is P.vous dans mon2 voiture quand même
'Si j'avais su que tu venais je t'aurais pris dans ma voiture quand-même !'
Haut-cornouaillais (Berrien), Lozac'h (2014:'la/lar')


(4) An hini a yaje a-benn dezañ e hallfes lavared hardiz e oa maro.
le celui R irait à.tête à.lui R pourrais dire sans.crainte R était mort
'Celui qui l'aurait affronté, tu pourrais dire sans crainte qu'il était (qu'il serait) mort.'
Trégorrois, Gros (1970:27)


la forme -j pour un futur

(6) Soñjal a raen a-zevri en desped din, en istor a c'halljen da ober.
penser R1 faisais sérieusement malgré de.moi en.le histoire R1 pourrais de1 faire
'Je pensais sérieusement, malgré moi, à l'histoire que je pourrais créer.'
Léonard (Bodilis), Ar Floc'h (1985:138)


Diachronie

Le paradigme de l'hypothétique [‑je- (‑che-, G ‑ese-)] dérive historiquement du plus-que-parfait du vieux breton (Falc'hun & Fleuriot 1978-79:7B).


Terminologie

Le Clerc (1986:203) parle d' imparfait du subjonctif pour les forme en -je. Cette terminologie vient de l'analyse des phrases équivalentes en français.

On trouve le terme paradigme de l'hypothétique en opposition au conditionnel présent réalis, la forme potentielle. KAG (2016) traduit conditionnel hypothétique par amzer dic'hallus an doare divizout.

Kervella (1947) utilise le terme breton de doare divizout tremenet.


Bibliographie

  • Bottineau, Didier. 2012a. 'Les conditionnels potentiel et irréel en breton : De la morphologie temporelle à la valeur instructionnelle', Faits de langues 40, Peter Lang, 85-92. texte.
  • Desseigne, Adrien et Pierre-Yves Kersulec. 2014. 'Remarques sur l'emploi du conditionnel passé dans des récits au passé dans un dialecte vannetais contemporain', Catherine Moreau, Jean Albrespit et Frédéric Lambert (dir.), Du Réel à l'Irréel, PUR, 125-129.