Différences entre les versions de « L'état construit »

De Arbres
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Les exemples de structures possessives avec article à l'initiale en Haut-Cornouaillais maritime illustrent une relation sémantique de partie/tout. [[Bouzec & al. (2017)|Bouzec & al. (2017]]:200, 205) donnent un [[état construit]] en équivalent standardisé de ces structures: ''e deun ar stank'' 'au fond du vallon' et ''e deun ar prat'' 'au fond du champ'.  
Les exemples de structures possessives avec article à l'initiale en Haut-Cornouaillais maritime illustrent une relation sémantique de partie/tout. [[Bouzec & al. (2017)|Bouzec & al. (2017]]:200, 205) donnent un [[état construit]] en équivalent standardisé de ces structures: ''e deun ar stank'' 'au fond du vallon' et ''e deun ar prat'' 'au fond du champ'. C'est d'autant plus frappant que ce dialecte élide beaucoup d'articles.




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==== cas litigieux ====
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Version du 4 mars 2018 à 17:58

L'état construit est une structure directe où un dépendant du nom possesseur est introduit sans l'aide d'une préposition.

Cette structure est prototypiquement reconnaissable par l'absence de déterminant défini à l'initiale. La présence de l'article rendrait en effet la construction agrammaticale (*al liou ar goañv).


(1) Hizio n'eus ket med ø liou ar goañv war an amzer.
aujourd'hui ne'y.a pas mais couleur le hiver sur le temps
'Aujourd'hui le temps n'a que l'apparence de l'hiver.' Gros (1970b:§'liou')


Sémantique

Le dépendant du nom est canoniquement un possesseur dans l'état construit.


(2) O sacha e-giz-mañ war ø nask va buoc'h, a rankan da stleja ...
à4 tirer comme. sur chaîne mon2 vache R1 dois de1 trainer
'En tirant ainsi sur la chaîne de ma vache, que je dois trainer.'
Cornouaille (Pleyben), Ar Floc’h (1950:57)


Sa sémantique excède cependant la possession. En (3), la relation est partie/tout.


(3) Hennez a oa e ø bord eur batiment a lïen.
celui.là R était dans bord un bâtiment à1 voile
'Celui-là était à bord d'un navire à voiles.' Gros (1970b:§'lien')


En (4), la matière d'un contenu.


(4) Evit ober dezho diskenn e lonkas Yann meur a skudellad laezh.
pour faire pour.eux descendre R avala Yann moulte de écuelle lait
'Yann avala plus d'une écuelle de lait pour les faire descendre (les crêpes).'
Cornouaille (Pleyben), ar Gow (1999:51)


Morphologie

mutation

Le nom possédé ne provoque normalement pas de mutation consonantique sur le groupe nominal du possesseur qui le suit. En (1), la structure d'état construit est précédée de la préposition da1 qui provoque une lénition. Cette lénition est ici transmise à l'interrogatif possessif piv 'qui'.


(1) N'eus forz da di biou ez in, e vin degemeret mad.
ne'y.a à1 maison 1qui R irai R serai accueilli bien
'N'importe chez qui j'irai, je serai bien reçu.'
Trégorrois, Gros (1989:'forz')


Syntaxe

pas d'article

En breton standard et dans la plupart des dialectes, l'état construit est incompatible avec la réalisation d'un article devant le nom tête, celui qui tient le rôle du possédé. L'article est donc canoniquement absent à l'initiale d'une structure possessive directe.


(1) {kambr / * (ar) gambr } ar vugale
chambre le 1enfants
'la chambre des enfants' Planiel, M-N. Kadour-Le Gonidec, kontañ kaoz (12/2017)


(2) ø kramm ar vugale
chambre le 1enfants
'la chambre des enfants' Douarnenez, kontañ kaoz (12/2017)


La phrase en (3) montre que le syntagme nominal possesseur peut, lui, contenir un article, et que dans les structures de double possession, chaque structure possessive correspond ainsi à une absence d'article devant le possédé.


(3) ø toenn ø ti ar pesketaer
toit maison le pêcheur
'le toit de la maison du pêcheur.' Press (1986:211)


donc pas de démonstratif

Le démonstratif analytique impose un article défini avant le nom suivi d'un adverbe déictique spatial de type -mañ, -se, -hont (ar vuoc'h-se, /la vache ci/, 'cette vache').

Gourmelon (2014:92) note que ces démonstratifs analytiques finissant par -mañ, -se, ne sont pas compatibles avec la structure possessive directe ((ar c'horn-mañ eus ar sal, et non pas * ar c'horn-mañ ar sal).

variation dialectale avec article

Cependant à Bégard, Tangi Yekel signale, à côté des états construits classiques qui se trouvent aussi en corpus, des structures possessives avec un article à l'initiale. Cet article est indépendamment rarement prononcé lui-même dans cette variété, mais la lénition sur les noms féminins mutables est le signe de sa présence au niveau syntaxique.


(1) (ar) gambr ar vugale
le1 chambre le enfants
'la chambre des enfants.' Bégard, Yekel (2016:'ar renadenn-dra')


Yekel (2016:'ar renadenn-dra') rapporte que si certains locuteurs traditionnels, comme sa grand-mère née en 1928, ne produisent jamais la forme avec un déterminant, d'autres locuteurs traditionnels ont même pour elle une préférence.


(2) Arri eo (ar) vazh ar paotr kozh !
arrivé est le1 bâton le gars vieux
'Voilà le bâton du vieux !' Bégard, locuteur né en 1915, Yekel (2016:'ar renadenn-dra')


(3) (ar) volotenn an hini bihan
le1 balle le N petit
'la balle du petit.' Bégard, Yekel (2016:'ar renadenn-dra')


(4) (an) dro ar porzh

'le tour de la cour', Bégard, Yekel (2016:'ar renadenn-dra')


partie/tout

Les exemples de structures possessives avec article à l'initiale en Haut-Cornouaillais maritime illustrent une relation sémantique de partie/tout. Bouzec & al. (2017:200, 205) donnent un état construit en équivalent standardisé de ces structures: e deun ar stank 'au fond du vallon' et e deun ar prat 'au fond du champ'. C'est d'autant plus frappant que ce dialecte élide beaucoup d'articles.


(5) Ba n deun m prad oa un takad lerc'h 'oa ket 'mè' boull'nn. Haut-cornouaillais
dans un fond le champ était un endroit était pas mais boue
'Dans le bas de la prairie, il y avait un endroit où il n'y avait que de la boue.' Bouzec & al. (2017:205)


(6) Alies, oa m prad ba n deun stank. Haut-cornouaillais
souvent était un champ dans un fond vallon
'Une prairie occupait souvent le creux du vallon.' Bouzec & al. (2017:200)

cas litigieux

En (7), le /ʁ/ pourrait provenir non pas de l'article ar mais de la préposition complexe e-barzh.


(7) [ pe hɛmp baʁsal aʁgwiju ] Duault, Avezard-Roger (2004a:448)
pa yemp 'barzh (ar?) sal ar gouelioù...
quand1 allions dans (le) salle le fêtes
'Quand nous allions à la salle des fêtes...'


On retrouve aussi une structure possessive avec article en 1576 dans la Vie de Sainte Catherine, mais dans les cas où le nom "possesseur" est anv 'nom', il pourrait s'agir d'une apposition.


(8) prest da meruell euit an hanoff hon saluer iesus-christ
prêt à mourir pour le nom notre sauveur Jésus-Christ
'prêts à mourir pour le nom de notre sauveur Jésus-Christ' Moyen breton 1576 (Ca.), Ernault (1887a:90,91)


De façon dialectalement plus large, et en breton moderne, on trouve aussi, mais c'est probablement une consonne épenthétique, la préposition e suivie d'un article devant un nom commençant par une voyelle (en anv Doue, en anv hor salver 'au nom de Dieu') avec une productivité relative (en anv ar gevredigezh 'au nom de l'association'). En (9), Le /n/ pourrait être ainsi purement phonologique, motivé par la voyelle à l'initiale de ostaleri.


(9) ... an tonton Laou a ranke lipat ur bigorn en ostaleri ar gar. Léon (Bodilis), Ar Floc'h (1985:35)
le tonton Laou R1 devait lécher un petit.truc dans.le café le gare
'... le tonton Laou devait boire un petit coup au café de la gare.'

pas de pronom fort indépendant en rôle de possesseur

Jouitteau (2005/2010:chap.4) note que l'état construit n'est pas disponible pour les pronoms (he zi 'sa maison', mais * ti hi). C'est vrai dans la langue pour les pronoms forts indépendants dans tous les dialectes.


Un exemple isolé est relevé dans Abeozeon.


(1) N'eo ket possupl, plac'h-kaezh-me! eme Seza...
ne1'est pas possible fille-cher-moi
'Ce n'est pas possible, ma pauvre! dit Seza...' Léonard, Abeozen (1969:125)


pronoms démonstratifs

En état construit, on trouve des pronoms démonstratifs dans le rôle de possesseur.


(2) An heñi gouez ba krabanou hezh beñ heñ n'a ket pell (a)nahoñ.
le celui (R)1 tombe dans paluches celui.ci ben lui ne1'va pas loin P.lui
'Celui qui tombe entre ses paluches ne va pas loin.' Haut-cornouaillais (Plouyé), Lozac'h (2014:'mond')


(3) Famill homañ a gendalh d'ar galleg evel ar re all endro dezi.
famille celle.ci R1 continue de'le français comme le ceux autre autour de.elle
'Sa famille (à elle) continue en français comme les autres autour d'elle.' Léon, Miossec (1980:69)


pronoms interrogatifs

On peut aussi trouver des pronoms interrogatifs en rôle de possesseur.


(4) N'eus forz da di biou ez in, e vin degemeret mad.
ne'y.a importance à1 maison qui R4 irai R4 serai accueilli bien
'N'importe chez qui j'irai, je serai bien reçu.'
Trégorrois, Gros (1989:'forz')


hypothèse casuelle

Jouitteau (2005/2010:chap.4) propose que l'état construit est aussi représenté dans le groupe verbal, entre la tête verbale et son argument interne. Comme dans le système nominal, le cas direct n'est pas disponible pour les pronoms (he gwelout, 'la voir', mais *gwelout hi).

Dans cette hypothèse, le breton n'a pas d'équivalent du Cas accusatif, et il n'existe qu'une opposition cas direct/cas indirect.

pas de fraction en rôle de possesseur

Gourmelon (2014:91) note que hanter ne peut pas avoir de complément direct lorsqu'il est utilisé en tant que fraction (un hanter eus/ag an dud, 'la moitié des gens', mais pas * hanter an dud).

Lorsque hanter est un nom, le complément direct est disponible (betek hanter ma divesker, 'jusqu'à la moitié de mes épaules', ou hanter ar miz, 'la moitié du mois', Gourmelon 2014:91).


pas d'ordinal en rôle de possesseur

Gourmelon (2014:91) note que les ordinaux comme eil, trede, ne sont pas disponibles dans l'état construit.


les noms qui font exception

Gourmelon (2014:92) considère que les noms gwel, anaoudegezh, soñj, kont, ezhomm, dizober ne peuvent avoir de complément direct (ar gwel eus ar gwad, 'la vue du sang', ar soñj deus ar reuz oa bet, 'la pensée du reuz qu'il y a eu', ar gont eus ma dispignoù, 'le compte de mes dépenses').


Ezhomm, 'besoin', peut avoir un complément direct, mais pas dans la structure possessive d'un état construit.


(5) An dud o deus ezhomm dour evit chom beo.
le gens 3PL a besoin eau pour rester vivant
'On a besoin d'eau pour survivre.' Plougerneau, M-L. B. (04/2016)

alternatives à l'état construit

Lorsque l'article est présent devant le nom référant au possédé, le groupe référant au possesseur est introduit par une préposition.


(1) ø chapel gaerañ ar barrez état construit
ar chapel gaerañ eus ar barrez
le chapelle 1belle.plus de le 1paroisse
'la plus belle chapelle de la paroisse.' Plozévet, Goyat (2012:203)


Cette préposition est le plus souvent la préposition eus, mais on trouve aussi eus a, et Gros cite aussi une structure avec un possesseur introduit par la préposition da.


(2) ... tri mis bennac goudé ar maro eus à Yvon...
trois mois quelconque après le mort de a Yvon
'Trois mois après la mort d'Yvon...' Breton 1905 (Plouider), Burel (2012:188)


(3) He bizaj a oa el liou d'ar pri.
son2 visage R était dans.le couleur de'le argile
'Son visage avait la couleur de l'argile.' Trégorrois, Gros (1970b:§'liou')

Horizons comparatifs

Hingant (1868:132) note qu'il s'agit en breton de structures "où on mettrait un génitif en latin".

La construction dite de l'état construit est typique de l'hébreu et des différents dialectes de l'arabe (sauf un dialecte influencé par la langue romane castillane; l'arabe Shamaliya, cf. Ouhalla 2009). Selon Lumsden (1989), cette structure est aussi représentée en créole Haitien.


Terminologie

Kervella (1947:§359) utilise le terme renadenn anv pour 'modification nominale', et anv-kadarn renadenn anv pour l'état construit.

Bibliographie

breton

  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici.


autres langues celtiques

  • Gealbháin, Séamas Ó. 1991. 'The double article and related features of genitive syntax in Old Irish and Middle Welsh', Celtica 22:119–144,pdf.
  • McCaughey, Terence P. 1976. 'The possessive construction in Scottish Gaelic', Celtica 11:141–149.


horizons théoriques

  • Borer, H. 1989 . 'On the morphological parallelism between compounds and constructs', G. Booij and J. van Marle (eds.) Morphology Yearbook. Dordrecht: Foris, 45-64.
  • Borer, H. 1996. 'The construct in review', Jacqueline Lecarme, Jean Lowenstamm & Shlonsky Ur (eds.) Studies in Afroasiatic Grammar, The Hague: Holland Academic Graphics: 30-61.
  • Borer, H. 1999. 'Deconstructing the construct', Kyle, Johnson, & Ian G. Roberts (eds.) Beyond Principles and Parameters, Dordrecht: Kluwer, 43-89.
  • Lumsden J.S. 1989. 'On the Distribution of Determiners in Haitian Creole', Revue québécoise de linguistique, vol. 18, n° 2, 65-93.
  • Ouhalla, J. 2009. 'Variation and Change in Possessive noun Phrases: The Evolution of the Analytic Type and Loss of the Synthetic Type', Brill’s Annual of Afroasiatic Languages and Linguistics 1, 311–337. texte.
  • Haspelmath, Martin. 1999. 'Explaining Article-Possessor Complementarity: Economic Motivation in Noun Phrase Syntax', Language Vol. 75:2, 227-243.