Jouitteau (2015a)

De Arbres

Jouitteau, M. 2015. 'Pronoms impersonnels dans le breton vannetais de Loeiz Herrieu : Syntaxe, sémantique et usages en concurrence avec le passif', Mannaig Thomas & Nelly Blanchard (éds.), La Bretagne Linguistique 19, CRBC, 261-280. [texte en ligne.


 Cette enquête porte sur les pronoms impersonnels dans le breton vannetais de Loeiz Herrieu, tels qu’observés dans le corpus Kammdro an Ankou, journal personnel quotidien en breton vannetais d’un soldat de la guerre de 1914-18 . J'ai choisi ce texte car il est un terrain propice aux occurrences de pronoms impersonnels en -r, l'impersonnel d'inflexion verbale propre aux langues celtiques (1)a. La profusion d'impersonnels en -r dans le texte s'explique aisément. D'abord, le corpus est rédigé au temps présent, où la forme en -r est morphologiquement vivante. Ensuite, l'auteur produit de courts récits d'une journée durant quatre ans, pendant lesquels il cumule de multiples raisons tant psychologiques que militaires de procéder à  une impersonalisation répétée des acteurs. La répétition monotone de scénarios semblables offre ce qui se rapproche le plus en corpus de paires minimales pragmatiques: on peut saisir des formes d'impersonalisations différentes dans deux scénarios présentés comme rigoureusement identiques.
 
 (1)a.	Ne ouier ket, /ne sait.IMP pas/
 (1)b. Ne oar  ket unan / an den, /ne sait pas  1 / le homme
 (1)c. Ne  ouiec’h ket, /ne savez pas /
 « On ne sait pas. »
 
 Dans une première partie, je vais dresser le portrait morphologique et syntaxique des impersonnels dans le corpus. Je comparerai ce portrait aux variations dialectales (autres dialectes du breton), et typologiques (autres langues du monde). Herrieu n’utilise pas la grammaticalisation du cardinal 1 (unan en 1b), mais un pronom semblable au on français ou au man allemand dans son histoire diachronique de grammaticalisation, mais qui n’est pas restreint à la position de sujet (an den  en 1b). 
 
 Les autres formes d’impersonnels sont un pronom vide arbitraire sujet des propositions infinitives (PROarb), les pronoms 2PL (1c) et, la plus utilisée, la forme prototypiquement celtique d’accord verbal en V-r. Je vais montrer que cette forme V-r présente dans le corpus toutes les lectures différentes disponibles aux impersonnels : (i) la lecture générique, de vérité générale (On ne voit bien qu’avec le cœur), (ii) la lecture épisodique existentielle (Depuis ce matin, on est en grève à Rennes), qui peut aller jusqu’à une lecture spécifique (On frappe à la porte, on a mangé dans mon assiette), et même (iii) lorsque le locuteur sait spécifiquement de qui il s’agit et choisit de ne pas le préciser (On a demandé à te voir ce matin). Je finis par l’inspection des usages dans les zones laissées optionnelles par la syntaxe : je montre que dans le corpus, les formes en V-r apparaissent dans les mêmes environnements sémantiques, pragmatiques et de discours que le passif. Dans les environnements où la morphologie, la syntaxe et la structure informationnelle autorisent les deux formes, on voit en effet en corpus ces deux formes alterner, et le choix semble être entièrement optionnel.