Différences entre les versions de « Indéfini de choix libre formé par reduplication »

De Arbres
Ligne 314 : Ligne 314 :


* Muller, C. 2007. 'quelque, déterminant singulier', ''Cahiers de lexicologie'' 90, 135-149. ([http://erssab.u-bordeaux3.fr/IMG/pdf/Quelque.pdf texte])
* Muller, C. 2007. 'quelque, déterminant singulier', ''Cahiers de lexicologie'' 90, 135-149. ([http://erssab.u-bordeaux3.fr/IMG/pdf/Quelque.pdf texte])
* Muller, C. 2006. 'Polarité négative et free choice dans les indéfinis de type ''que ce soit'' et ''n'importe''', ''Langages'', 162, 7-31.


* Prince, E. F. 1981. ‘On the inferencing of indefinite-this NPs’, Joshi & al. (eds.), ''Elements of discourse understanding'', 231-50.
* Prince, E. F. 1981. ‘On the inferencing of indefinite-this NPs’, Joshi & al. (eds.), ''Elements of discourse understanding'', 231-50.

Version du 10 août 2010 à 19:34

La reduplication est en breton un processus morphologique productif pour obtenir un indéfini: un nom nu est y redupliqué pour produire un indéfini. Cette formation est très étrange. Elle implique un nom dont l'article peut être présent, suivi du déictique locatif adverbial -mañ et, immédiatement, de la reduplication nominale. Le résultat sémantique est un terme désignant une entité indifférenciée des autres entités avec lesquelles elle forme classe (dico An Here:-mañ, II br. ).

On trouve ces constructions dans Chalm (2008:§Q6) sous le nom de 'locutions binaires'.

Det X-mañ X

En s'affixant au nom, les déictiques locatifs adverbiaux clitiques -mañ, -se et -hont créent des démonstratifs.


  • an dra-mañ, /DET chose-ci/, 'cette chose'
  • Mari-mañ, /Marie-ci/, 'Marie ici présente'
Favereau (1993:§ -mañ)


Ce mécanisme de création des démonstratifs à partir d'un DP et d'un déictique spatial est commun à travers les langues (par exemple en créole Haitien).

Ce qui est étonnant en breton est que ce démonstratif formé avec le déictique spatial, -mañ, sert de base à une reduplication qui obtient un indéfini de choix libre.

  • an dez-mañ ('n) dez, /DET jour-ci (DET) jour/, 'tel ou tel jour'
Favereau (1993:§ -mañ)


l'expression démonstrative (à gauche)

Dans cette construction, l'expression démonstrative peut être, ou non, précédée d'un déterminant défini.


(1) a. racine nominale reduplication b. DP reduplication
plac'h > plac'h-mañ plac'h an ti > an ti-mañ ti
fille fille-ci fille DET maison DET maison-ci maison
fille 'telle ou telle fille' 'la maison' 'telle ou telle maison'


L'absence de déterminant défini est documentée à travers la plupart des dialectes. Favereau (1997:119) mentionne à Brasparzh les deux structures avec et sans déterminants (DET-N-ci-DET-N et N-ci-N):


(5) (da werzhañ) an 1dra-mañ-'n 1dra / tra-mañ-tra
pour vendre DET chose-ci-DET chose chose-ci-chose Brasparzh K Favereau (1997:119)


Favereau (1993:§ -mañ) donne aussi re-mañ-re à Groix, dewezh-mañ-dewezh en Léon, ou g' dez-mañ-dez en Poher.


l'élément redupliqué (à droite)

L'élément redupliqué est la plupart du temps un nom nu, qui peut être lui-même composé (cf. stumm-verb, 'forme de verbe').


(x) ...pe ne vez ket gwraet ken get amzer-mañ-amzer, stumm-verb-mañ-stumm-verb.
ou NEG est NEG fait plus avec temps-ci-temps forme-verbe-ci-forme-verbe
'... ou que tel ou tel temps, telle ou telle forme de verbe n'est plus utilisée.'
vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:7)


(x) ...goulenn g'an ditourerion penaos e vez lâret troienn-mañ-troienn, tra-mañ-tra e breton.
... demander P.DET informateurs comment R est dit tournure-ci-tournure chose-ci-chose P breton
'... demander aux informateurs comment se dit en breton telle ou telle tournure, telle ou telle chose.'
vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:6)


Cependant, l'opération de reduplication peut concerner aussi le déterminant défini précédant le nom.

L'élément redupliqué apparaît avec son déterminant défini dans Kervella (1995:§509), Gros (1984:73) et Chalm (2008:§Q6).


(x). DP reduplication DP reduplication DP reduplication
an den-mañ > an den-mañ-'n den ar c'hi-mañ > ar c'hi-mañ-'r c'hi el lec'h-mañ > el lec'h-mañ-'l lec'h
DET homme-ci DET homme-ci-l'homme DET chien-ci DET chien-ci DET chien P.DET lieu-ci P.DET lieu-ci-DET lieu
'cet homme' 'tel ou tel homme' 'ce chien' 'tel ou tel chien' 'dans ce lieu' 'dans tel ou tel lieu'
Kervella (1995:§509)


(3) D'an eur-mañ-'n-eur e vo lano.
P heure-ci-DET-heure R sera marée
'La mer commencera à monter à telle heure.' trégorrois, Gros (1984:73)


(4) D'an eur-mañ-'n-eur , an den-mañ-'n den , an deiz-mañ-'n deiz
P heure-ci-DET-heure P homme-ci-DET homme P jour-ci-DET-jour
'à telle ou telle heure', 'telle ou telle personne', 'tel ou tel jour' Cap Sizhun, Chalm (2008:§Q6)


Le déictique spatial -mañ, lui, n'est jamais redupliqué.


Lorsque le déterminant induit une mutation consonantique sur le nom, le nom redupliqué peut porter la même mutation (ici, en (3) la lénition T>D notée "1"). Celà n'est pas automatique (4).

(3) ... ma ran an 1dra-man-1dra.
... si fais.1SG DET chose-ci-chose
'... si je fais telle ou telle chose.' léonard Kerrien (2000:8)
(4) ar 1wezenn-mañ-gwezenn.
DET arbre-ci-arbre standard dico An Here (2001)

formes interdites hors composé

Ni la reduplication de gauche, avec son déictique locatif, ni la reduplication de droite, ne sont des éléments qu'on peut trouver en isolation en dehors de ce composé. L'argument vient de l'examen des démonstratifs.

Les démonstratifs pronominaux singuliers (type celui-ci, celle-ci), lorsqu'aucun adjectif n'est présent dans le DP, sont synthétiques. Ils sont réalisés en un seul morphème (hemañ, houmañ). Ces pronoms démonstratifs peuvent entrer dans la construction reduplicative. Il est intéressant de noter que l'élément alors redupliqué sur la droite (hen), n'existe pas en isolation.


(2)a. hen-mañ hen
'tel ou tel' Cornouaillais, Trépos (2001:177)


(2)b. hemañ-henn homañ-honn
'tel ou tel, un tel' 'telle ou telle', une telle' Cap Sizhun, Chalm (2008:§Q6)


(2)c. hemañ-hen houmañ-houn
celui-ci-celui celle-ci-celle
'tel ou tel' 'telle ou telle'
Favereau (1997:119) tirant source de Trépos et Kervella (citation non identifiée)


(2)d hemañ-hen a zo deuet, hemañ-hen n'eo ket deuet...
celui-ci-celui R est venu celui-ci-celui NEG est NEG venu
'Untel est venu, untel n'est pas venu.' (sans marque de genre)
standard, ar Barzhig (1976:32)


La forme hini-ma-hini, 'un tel', est signalée dans Trépos (2001:§217). Il est alors intéressant de noter que l'élément hini n'existe pas en isolation avec un déictique locatif comme -ma. La forme *hini-ma, en isolation, serait remplacée par le démonstratif synthétique hema).

Distribution

- relevés en situation - voir aussi Gros (1984:73,74).

(x) M'ho pez ezhomm ac'hanon da c'houzout tra pe dra, da gavout ar sal-mañ sal, sonit ar c'hloc'h [].
Si 2PL avez besoin P.1SG pour savoir chose ou chose, pour trouver DET salle-ci salle, sonnez la cloche
'Si vous avez besoin de moi pour savoir quoi que ce soit, pour trouver une salle (quelconque), sonnez la cloche.'
standard, Dupuy (2007:40)


(2) Ya, ya, e-giz ma leverez, an devezh-mañ devezh e vezo graet memestra
Oui, oui, comme C dis.2SG le jour-ci jour R sera fait quand.même
'Oui, comme tu dis, tel ou tel jour ce sera fait quand même.'
standard, Blaz an douar, p.18


diachronie

La formation de l'indéfini par reduplication date au moins du moyen breton. Hemon (2000:§77 et §108, n.5) en relève quelques exemples. Il se pourrait que dans les structures qu'il note, certaines soient des reduplications autour non pas d'un déictique spatial, mais de l'élément de coordination a (hen-a-hen).


de Rostrenen, au XVIII°, utilise communément de telles structures.


(1) Pe evit tra ne leveres-te qet 'an dra-man-dra?
que pour chose NEG dis-tu NEG DET chose-là-chose
'Que ne dis-tu telle chose?' de Rostrenen (1738:62)

X ha X

La reduplication créant un indéfini de choix libre peut aussi s'opérer autour de la coordination ha ('et').


(y) henn-ha-henn honn-ha-honn
'un tel' 'une telle' Cap Sizhun, Chalm (2008:§Q6)


Il cite aussi:

(y) hag evel henn hag evel-hont
'et patati, et patata' Cap Sizhun, Chalm (2008:§Q6)

X pe X

La reduplication créant un indéfini de choix libre peut aussi s'opérer autour de la préposition pe ('ou').

Cette reduplication nominale autour de pe, 'ou' résulte en un indéfini. Den pe zen, littéralement [homme ou homme], désigne réfère à n'importe quelle entité répondant à la qualification de 'homme'. La tournure implique une attitude indifférente du locuteur vis-à-vis de l'identification de cette entité.


Cette préposition provoque une mutation consonnantique (lénition) sur le nom nu redupliqué:

e ti-pe-di: /dans maison-ou-maison/ signifie 'dans une maison quelconque'.


Gros (1984:70,71) donne, entre autres:

devezh-pe-zevezh (/jour ou jour/ = 'un jour ou un autre, un jour quelconque à ton choix'),
hini-pe-hini (/N-ou-N/ 'l'un ou l'autre'),
e prenestr-pe-brenestr (/P fenêtre-ou-fenêtre/ = à une fenêtre ou à une autre),
mad d'ober sort pe sort (/ bon à faire sorte-ou-sorte/ = 'bon pour faire une chose ou une autre'),
tamm-pe-damm (/morceau ou morceau/ = 'un morceau ou un autre'),
tu-pe-du (/coté-ou-coté/ = d'un 'coté ou de l'autre')...


autres indéfinis de choix libre

Il existe en breton d'autres stratégies que la reduplication pour créer des indéfinis de choix libre.

Le dictionnaire Imbourc'h donne par exemple nep den pe egile pour 'tel ou tel homme'.


bibliographie

études formelles

  • Abbot, B. 2004. 'Definiteness and Indefiniteness', Laurence R. Horn and Gregory Ward (eds.), The Handbook of Pragmatics, 122-150.
  • Alonso-Ovalle, L. and P. Menendez-Benito 2003. ‘Some epistemic indefinites’, in M. Kadowakiand S. Kawahara, eds., Proceedings of the North Eastern Linguistic Society 33, pp. 1–12, GLSA,University of Massachusetts, Amherst.
  • Corblin, F., L. M. Tovena, E. Vlachou (éds.) 2010. Les indéfinis de choix libre du français, numéro thématique 166 de Langue Française. (+ introduction, 1-13)
  • Corblin, F. 2010. 'Une analyse compositionnelle de quoi que ce soit comme universel', Francis Corblin, Lucia M. Tovena, Evangelia Vlachou (éds.), Les indéfinis de choix libre du français, numéro thématique 166 de Langue Française, 15-48.
  • Dayal, V. 1998. 'Any as Inherently Modal', Linguistics & Philosophy, 21(5), 433-476.
  • Farkas, D. 2009. ‘Free choice in Romanian’, Betty J. Birner and Gregory Ward (eds.), Drawing the Boundaries of Meaning, Benjamins, 71-94.
  • Giannakidou, A. 2001. 'The Meaning of Free Choice', Linguistics & Philosophy 24, 659-735.
  • Giannakidou, A. 1999. 'Affective Dependencies', Linguistics and philosophy 22, 367-421.
  • Gundel, J. K., N. Hedberg & R. Zacharski 1993. ‘Cognitive status and the form of referring expressions in discourse’, Language 69:274-307.
  • Haspelmath, M. 1997. Indefinite Pronouns, Oxford :Oxford University Press.
  • Heim, I. 1982. The Semantics of Definite and Indefinite Noun Phrases, UMass Ph.D. Dissertation.
  • von Heusinger 2007, 'Referentially Anchored Indefinites', Comorovski and von Heusinger (éds.), Existence: semantics and syntax, Studies in Linguistics and Philosophy 84, 273-292. (texte)
  • Jayez, J & L. Tovena 2010. 'Description et évolution de quelque', Lucia M. Tovena (éd.), Déterminants en diachronie et synchronie, Paris, Projet ELICO publications 104-124. (texte)
  • Jayez, J. & L. Tovena 2010. 'Quatre problèmes pour le choix libre', Francis Corblin, Lucia M. Tovena, Evangelia Vlachou (éds.), Les indéfinis de choix libre du français, numéro thématique 166 de Langue Française, 49-73.
  • Jayez, J. & L. Tovena 2006. 'Epistenic determiners', Journal of Semantics 23, 217-250.
  • Jayez J. & L. Tovena. 2005. 'Free-choiceness and Non Individuation', Linguistics and Philosophy 28, 1-71.
  • Muller, C. 2007. 'quelque, déterminant singulier', Cahiers de lexicologie 90, 135-149. (texte)
  • Muller, C. 2006. 'Polarité négative et free choice dans les indéfinis de type que ce soit et n'importe', Langages, 162, 7-31.
  • Prince, E. F. 1981. ‘On the inferencing of indefinite-this NPs’, Joshi & al. (eds.), Elements of discourse understanding, 231-50.
  • Tovena L. 2007. 'Negative quantification and existential sentences', I. Comorovski and K. von Heusinger (eds.), Existence: Semantics and Syntax, Springer, 191-219.