Forzh

De Arbres

Forzh a une sémantique et une catégorie grammaticale difficiles à définir. Il semble cependant toujours attaché à un 'haut degré'.


(1) Dre forzh labourat, e tay da benn.
par force travailler R4 viendra à1 tête
'A force de travailler, il réussira.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:65)


Adverbe

L'adverbe forzh sélectionne un verbe infinitif. Il équivaut au français 'à force de'.


(2) deut... forzh bale
venu marcher
'venu, à force de marcher.' Favereau (1997:§703)


a-forzh da...

(3) Pa deu ar mor war-laez, a-forzh da bignat, e veze truiet an div enez.
quand1 vient le mer sur-haut à-force de1 monter R est guéé le deux île
'Quand la marée montait, à force de monter, elle créait un gué entre les deux îles.'
Léon (Plougerneau), Elégoët (1982:14)


dre forzh...

(4) Dre forz sacha war ar gordenn, o-devoa torret anezi.
par force tirer sur le 1corde 3PL-avait cassé P.elle
'A force de tirer sur la corde, ils l'avaient cassée.'
Trégorrois, Gros (1989:'forz')


(5) Ma bizier zo uz't dre forz gob'r pikurio dè. Cornouaillais de l'Est (Moëlan)
mon2 doigts est usé par force faire piqures à.eux
'Mes doigts sont usés à force d'être piqués.' Bouzec & al. (2017:386)


La forme variante de dre à Groix est dar.


(6) /dar-forz məla:bu:r /
par-force mon2.travail
'à force de mon travail' Groix, Ternes (1970:320)


gant forzh...

A Groix, la préposition dar est utilisée, mais aussi la préposition get.


(7) / ̌jə-forX nweiẃ /
avec-force nager
'à force de nager' Groix, Ternes (1970:321)


Quantifieur 'beaucoup'

Forzh signifie 'beaucoup (de)' lorsqu'il modifie un nom, et 'beaucoup' 'pas mal' lorsqu'il modifie un verbe.


(1) Ha forzh boued n'o dez ket...
et beaucoup nourriture ne'3PL a pas
'Et ils n'ont pas beaucoup de nourriture.' Vannetais, Herrieu (1994:90)


(2) Eno oa forz tud...
était beaucoup gens
'Il y avait là beaucoup de monde.' Trégorrois, Gros (1989:'forz')


(3) [ aze [...] eviʒɛ tremenɛt fɔʁs kɔnwenu ] Duault, Avezard-Roger (2004a:452)
Aze [...] e vije tremenet forzh kanaouennoù.
ici R4 serait passé beaucoup chansons
'Ici, on passait pas mal de chansons.'


dérivation

Le quantifieur forzh peut apparaître avec un diminutif:


(4) forzhig otoioù / Komz a ra forzhig
beaucoup.DIM voitures parler R fait beaucoup.DIM
'pas mal de voitures / Il parle pas mal (beaucoup).' Favereau (1997:§309)


(5) Don' a rae forzhig, ya; hehi n'ae ket. Breton central, Favereau (1984:376)
venir R1 faisait beaucoup.DIM oui elle ne1 allait pas
'Ça venait pas mal, mais elle, elle n'allait pas (en consultation).'


quantifieur de degré 'très'

Forzh est aussi un quantifieur de degré. Il signifie 'beaucoup' 'très' lorsqu'il modifie le degré d'un adjectif. C'est donc un intensifieur.


(1) N'eo ket forzh fin anezhoñ. / N'eo ket forzh amiapl anezhi.
ne est pas très fin P.lui / ne'est pas très gentil P.elle
'Il n'est pas très fin.'/, 'Elle n'est pas très gentille.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:52, 56)


(2) Atav nend eo ket forzh blot ar gwele: peder flankenn diblaen, hep tamm plouz.
toujours ne est pas très douillet le lit quatre planche non.plat sans morceau paille
'Le lit n'est toujours pas très douillet: quatre planches grossières, sans paille.' Vannetais, Herrieu (1994:92)


Particule de discours intensificatrice

Forzh sert aussi à former une structure exclamative (avec ellipse).


(3) Papa vie aet da zornañ forzh vie, ken evit kaout ur banne lambig.
papa serait allé pour1 battre tant serait juste pour avoir un verre lambig
'Papa aurait fait le battage tant et tant, juste pour un verre de lambig.'
Cornouaille (Le Juch), Bernard, Hor Yezh (1983:9)


n'eus forzh 'malgré'

(1) [ɛˑdeɔ᷉ də ˈbuamən gɐˈti fwæs no ke χwɑ᷉ n]
Aet eñ da bourmen ganti (neus) forzh n'e deus ket c'hoant.
allé lui pour1 promener avec.elle malgré ne1' R.3SGM a pas envie
'Il est allé se promener avec elle bien qu'il n'en aie pas envie.' Cornouaille (Briec), Noyer (2019:186)

Item de polarité négative

Lorsque forzh est l'argument de ober, 'faire' ou de la copule existentielle eus, c'est un item de polarité négative.


ne ra forzh

Dans cette expression, le mot forzh est un item de polarité négative car sa version positive est agrammaticale (*ober a ra forzh). L'expression semble productive dans tous les dialectes, et à toutes les personnes.


(1) Ne ran (ket) forzh .
ne fais (pas)
'Peu m'importe.' Sizun, Chalm (2008::87)
'Je n'en fais pas cas.'


(2) Ne ret forzh goude oñ bet pilet ganti.
ne faites attention après suis été rétamé avec.elle
'Vous n'en faites pas cas bien que qu'elle m'aie rétamé.' Bas-Cornouaillais (Saint-Coulitz), Kedez (2015b:10)


(3) Ne 'ran forz ' bed gand ar gisti.
ne 'fais aucun avec le prostitués
'Peu m'importent les prostituées.' Cornouaillais de l'Est, Derrien (1980:10)


(4) Me na ran ket a forz, gand ma teuio dioustu.
moi ne.R fais pas de importance pourvu.que4 viendra tout.de.suite
'Cela m'est égal, pourvu qu'il vienne tout de suite.' Trégorrois, Gros (1970:30)


Lorsque l'argument de forzh est une proposition, elle peut apparaître sans préposition.


(5) Tud diroudet, na reont forz [ petra d'ober ].
gens dévoyé ne.R font importance quoi de1 faire
'Des gens dévoyés, à qui il est égal de faire n'importe quoi.'
Trégorrois, Gros (1989:'diroudet')


Le contexte de polarité de cet item "de polarité négative" doit être entendu au sens large car l'expression apparaît chez Gros ou à Ouessant chez Malgorn (1909) dans une question oui/non positive (a fors a zo? 'Est-ce important?', Ouessant).


(6) Me a ra forz petra a vo greet?
moi R fait quoi R sera fait
'Est-ce que je me soucie de ce qu'on fera?'
'Peu m'importe ce qu'on fera.', Trégorrois, Gros (1989:'forz')


La distribution de forzh est à rapprocher du français faire cas de quelque chose, qui est illicite dans les affirmatives épisodiques (*/#Elle fait cas de ce dossier), et autorisé dans les négatives (Elle ne fait pas cas de ce dossier) et les questions (Fait-elle cas de ce dossier?).

En breton, la distribution de forzh est concurrencée par celle de foutre, dans les même environnements (Ne ra foutre kaer 'Il s'en balance).

n'eus forzh

Dans cette expression, le mot forzh est un item de polarité négative car sa version positive est agrammaticale (*forzh a zo).


(1) -N’eus forzh ! eme an ozac’h; gwelet a rankan hag ez eo gwir.
ne'y.a dit le mari voir R dois si R est vrai
'Qu'importe! dit l'homme; Je dois voir si c'est vrai.' Léon, Milin (1924)


Lorsque n'eus forzh prend portée sur un pronom interrogatif, on obtient sémantiquement un indéfini de choix libre.


(2) N'eus forz da di biou ez in, e vin degemeret mad.
ne'y.a à1 maison 1qui R irai R serai accueilli bien
'N'importe chez qui j'irai, je serai bien reçu.'
Trégorrois, Gros (1989:'forz')


Indéfinis de choix libre

n'eus forzh pe

Forzh se trouve aussi dans la structure complexe n'eus forzh pe X, qui obtient un constituant nominal. A l'intérieur de ce syntagme nominal, forzh co-réalise un indéfini de choix libre avec un pronom interrogatif: N'eus forzh pe X.


(1) N'eus forz pegoulz ez i di...
ne'y.a importance quand R iras y
'N'importe quand tu y iras...' Trégorrois, Gros (1989:'forz')
'Quand que tu ailles...'


N'eus forzh pe X est composé de façon similaire à l'indéfini de choix libre français n'importe qui, n'importe quoi.


forzh petra, forzh pegen...

Des indéfinis de choix libre apparaissent avec forzh sans la présence de la négation. Ici, c'est le conditionnel qui sert d'autorisateur. Cet autorisateur peut être prononcé après l'éléement autorisé.


(2) Forz pegen uel e vehe ar vezenn atao 'z ea.
importe combien haut R4 serait le 1arbres.1 toujours R4 allait
'Quelle que soit la hauteur d'un arbre, il (y) montait toujours.' Léon (Plougerneau), Elegoet (1975:14)


(3) En noz em eus aon. Forzh petra en em gavfe.
dans.le nuit 1SG a peur importe quoi se passerait
'J'ai peur la nuit. Tout peut arriver.' Léon, Kervella (2009:65)


en composé morphologique

Cette même lecture d'indéfini de choix libre peut être obtenue à l'intérieur d'un composé morphologique contenant un préfixe négatif.

Le préfixe privatif di- donne ainsi le composé adjectival diforzh, 'indifférent' (Favereau 1997:§230) ou 'quelconque' en vocabulaire mathématique ('point quelconque', poent diforzh, 'polygone quelconque', liestueg diforzh, Ménard 2012:'quelconque').


Expression

forzh ma buhez!, 'au secours!'

L'expression n'est pas connue partout. Elle est présente chez Le Pelletier. Malgorn (1909) à Ouessant dit ne connaitre dans ce sens qu'une comptine qui dit For ! For ! al laer ouz ma laza ! 'Au secours, au voleur!'.

Diachronie

Ci-dessous, je rassemble les différents candidats étymologiques pour les différentes (?) occurrences de /ˈfɔrs/ forzh en breton moderne.


(1) forzh m., 'force'

< ancien français force, 'force'
< latin fortis, 'fort'
< peut-être sur une racine indo-européenne *bhergh- apparentée au breton bre 'colline', comme les mots allemands Burg et Berg.

C'est clairement sur ce mot qu'est construit le breton dre forzh 'à force de'.


Le mot force en français a aussi donné un quantifieur qui est d'usage daté en français contemporain.

  • Le lion dit "J'ai dévoré force moutons.", Français, Grevisse (1969:§492)
  • ...terriens, bateliers, inscrits maritimes, retraités et "en congés" sablent force quarts de tafia.
Saint-Pol-Roux, poèmes roscanvélistes, Français du XIX° (Burel 2011).


Par la traduction de forzh en 'cas' en français dans la plupart des sources, il est induit que l'indéfini de choix libre n'eus forzh dérive du sens en (1) 'force' (Je n'en fais pas cas).


(2) Forzh est traduit 'vulve, vagin' en 1902 (Le Menn 1999, ref. VI 16 selon Menard 1995).

forzh m., pl. ferzhier (Favereau 1993), 'vagin'
/ autres pl.: forzier, 'vulve' (Merser 2009), ou forzhioù

Le pluriel irrégulier ferzhier n'existe pas pour le sens en (1), ce qui montre que (1) et (2) sont distincts.

L'origine de ce mot dénotant 'vagin' est disputée.

Selon Deshayes (2003:§'forz'), "forz, s. m., 'vagin, vulve' est un emprunt, par déviation sémantique [?], à l'ancien français force, grand ciseau, cisaille, issu du latin *forfices, 'cisailles'". Le latin forfices que Deshayes signale comme une reconstruction est attesté, ce qui donnerait:

(3) forz, m. 'vagin'

< ancien français force 'grand ciseaux'
< latin forfex, forfices, forficis, 'grand ciseau, cisaille, cisailles'
< peut-être apparenté au grec pertho 'saccager', cf. le surnom ptoliporthos 'destructeur de villes' dans l'Odyssée (de Vaan 2008).

La technique obsétricale de naissance par forceps consiste en l'introduction de deux cuillères dans l'utérus par le vagin afin de saisir la tête du bébé et de l'extraire par voie vaginale en aidant sa descente en appliquant une force de traction. Le liage des deux cuillères avant l'extraction forme une pince ressemblant une cisaille.


(4) Menard & Kadored (2001) donne forzh, f. pl. ferzhier, 'voie, chemin à une voie', dont 'vagin', et au pluriel, 'voies respiratoires'.

Wikeriadur en français 14/10/2013: rapproche aussi 'vagin' et 'voie', avec le cornouaillais forth, le gallois ffordd, 'route', 'chemin', comme Menard (1995) proposait le lien avec le moyen breton fordd.

< ancien anglais/anglais ford, 'gue'
< indo-européen *por- 'traverser', comme dans le latin porta, 'door'

A noter que Wikeriadur et Menard & Kadored (2001) ont en commun de proposer que forzh, 'voie, vagin' est un mot féminin. Dans Favereau (1993), Merser (2009) et Menard (1995), forzh pour 'vulve' ou 'vagin' est un nom masculin.