En

De Arbres

Le complémenteur déclaratif ou rannig en est restreint en breton moderne à certaines variétés de vannetais.


(1) gant aon mah ouiahe Annaig en en deus ouelet
avec peur que+C saurait Anna.DIM que R.3SGM a pleur.é
'de peur que la petite Anna ne sache qu'il a pleuré'
Vannetais, Ar Meliner (2009:40)


(2) Pegours en en deus goarnemant er Frans sauet é voéh a du geté ?
quand que R.3SGM a gouvernement en.le France mont.é son1 voix à1 côté avec.eux
'Quand le gouvernement en France leur a-t-il déclaré son soutien ?'
Vannetais, Herrieu (1974:30/05/1918)


Morphologie

Morphologiquement, le morphème en ressemble au rannig e, ou à un pronom objet de forme masculine. Il ressemble aussi à la partie en du composé du verbe kaout à la personne 3 du singulier (en deus), ou à la première partie du composé en em qui forme le pronom réfléchi. Il ne semble pas y avoir de variation dialectale quant à sa réalisation.


répartition dialectale

Dans son étude du breton pré-moderne, Châtelier (2016:382) associe cette particule à l'est de l'aire vannetaise.

  Châtelier (2016:382):
 "les auteurs ayant une utilisation complète et assez fréquente de cette particule sont originaires des communes les plus à l'est du haut-vannetais, proches de Vannes et de la frontière linguistique : Marion (Aradon), Sévéno (Moréac), Héneu (Naizin) et l'utilisation de en apparaît déjà moindre chez des auteurs originaires de communes un peu plus à l'ouest comme Le Bayon (Pluvigner) et Buléon (Plumergat)."


Syntaxe

En n'est pas plausiblement un pronom objet car il apparaît avec des verbes intransitifs comme avec des objets réalisés.


distribution

sélectionné par les verbes déclaratifs

(2) … hag e lâr d'ar vestrez a sell doc'hti get truez, en he deus naon he mamm.
et R dit à le 1patron.ne R regarde à.elle avec pitié que 3SGF a faim son2 mère
'...et elle dit à la patronne qui la regarde avec pitié que sa mère a faim.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:64)


(3) Displeg e hra demb en hé des prénet un dousén uieu get un amezegéz ...
explique R1 fait à.nous que 3SG a achet.é le douzaine œuf.s avec un voisin.e
'Elle nous explique qu'elle a acheté une douzaine d'œufs à une voisine … '
Vannetais, Herrieu (1994:28/03/1917)


(4) Gwir eo en en deus tud ar vro-mañ un digarez… ,

'C'est vrai que les gens de ce pays ont une excuse … '
Vannetais, Herrieu (1994:154)

(5) Goût a raomp emberr en en deus ar Jermaned esaet donet en holl linenn…

'Nous savons bientôt que les Allemands ont essayé de pénétrer nos lignes… '
Vannetais, Herrieu (1994:133)

(6) Displeg e hra demb en hé des prénet un dousén uieu get un amezegéz...

'Elle nous explique qu'elle a acheté une douzaine d'oeufs à une voisine … '
Vannetais, Herrieu (1994:28/03/1917)

(7) Hiziu n'en des kén konz get en dud, nameit en en des en Itali em lakeit a du get Frans.

'Aujourd'hui il n'est pas question d'autre chose que de la nouvelle que l'Italie rejoint la France.'
Vannetais, Herrieu (1994:24/05/1915)

(8) Tud er vro ne ziskoant ket en ou dehè ur ioh karanté é kevér ou rè varu…

'Les gens du coin ne montrent pas avoir un amour immodéré pour leurs morts… '
Vannetais, Herrieu (1994:02/10/1916)


sans sélection

après ha(g)

En peut apparaître après la coordination ha(g), en initiale de matrice coordonnée.

  • Mont a reas ganti trema ar gwele hag en he stardas en e zivrec'h.
'Il s'approcha du lit avec elle et la serra dans ses bras.'
Langleiz (1958:190), cité par Le Gléau (1989)


à l'initiale de relative

La tête en se trouve à l'initiale de relative, et conséquemment à la suite des clivées.


(1) Donet e hra de oulen genein penaos é hellehè éan dijabein ag en huéh ugent mil lur en en des én é di.

'Il vient me demander comment il pouvait se débarasser des /six vingt ?/ mille francs qu'il a chez lui.'
Vannetais, Herrieu (1974:04/04/1918)


(2) Revé ma larér, é ma soudarded du, lakeit é kreiz, en en des kilet ketan ha lakeit elsé en deu gosté én danjér.

'A ce qu'on dit, ce sont des soldats noirs, mis au milieu, qui ont reculé en premier et mis ainsi les deux côtés en danger.'
Vannetais, Herrieu (1974:16/04/1917)


précédant le verbe kaout … ou d'autres

Lorsque ce complémenteur apparaît, on le trouve surtout en préface du verbe kaout 'avoir'.


(6) Hag e teu soñj din en am eus gwelet an dra-se c'hoazh e Breizh-Veur.
et R4 vient mémoire à.moi que R1.1SG a v.u le 1chose. déjà en Grande-Bretagne
'Et je me rappelle avoir déjà vu cela en Grande-Bretagne.'
Vannetais, Herrieu (1994:110)


Cependant, on en trouve aussi des formes devant des verbes lexicaux, avec un proclitique objet intervenant.


(7) Haval guet-n-eign en hou kleuañ doh hum glem.
sembler avec.moi que vous3 entends à4 se1 plaindre
'Il me semble que je vous entends vous plaindre.'
Vannetais pré-moderne, Le Bayon (1878:51)


Ernault (1888b:252) relève un exemple dans une édition des Collocou de 1690. Il renvoie aussi à la Revue Celtique VIII, 44-46, 82, 83.


(8) Livirit dezan en é trugarecan.
dites à.lui que le remercie
'Dites-lui que je le remercie.'
Moyen Breton (1623), Qu.:41, cf. 110, 1. 7, 11.


Ces formes sont utilisées par Langleiz (donc en breton littéraire par un non-natif de la langue), citées par Le Gléau (natif) :

  • Perinis, distro a-herr trema da vestrez ha lavar dezhi en he saludan gant doujañs ha karantez.
Langleiz (1958:176)
  • Mont a reas ganti trema ar gwele hag en he stardas en e zivrec'h.
'Il s'approcha du lit avec elle et la serra dans ses bras.'
Langleiz (1958:190)


analyse: complémenteur haut ou rannig ?

Le Bayon (1878:51), suivi par Le Gléau (1989), considère que en est un allomorphe de la particule e, déclenché par les pronoms obliques.

 Le Gléau (1989:2029)
 "Devant le pronom complément, on peut employer la particule énonciative en, utilisée devant le réfléchi em, dans les mêmes conditions que l'on emploierait la particule ez; c'est-à-dire à l'indicatif et au conditionnel et à la seule forme affirmative."


Mais s'agit-il d'un rannig (tête Fin, bas dans le CP) ou d'un complémenteur plus haut placé, comme la traduction en 'que' de Le Bayon (1878:51) le laisse entendre ?


une tête plus basse que les interrogatifs

En est de toute façon plus bas que le complémenteur de causalité pandeogwir, ou l'interrogatif perak.


(3) pen-dé-guir en hé des treménet kel liés étaldomb hep hon diskar.,

'puisqu'elle est passée si souvent si près de nous sans nous détruire.'
Vannetais, Herrieu (1994:28/03/1917)

(4) A pe oulennan geton perak en en des me galuet…

'Et quand je lui demande pourquoi il m'a appelé… '
Vannetais, Herrieu (1994:29/03/1916)


hypothèse d'une forme de rannig déclenchée par un pronom oblique

L'hypothèse qu'il s'agit d'un rannig qui prend une forme particulière lorsqu'il précède un pronom oblique (proclitique objet ou morphème d'accord du verbe kaout) prédit aisément l'optionalité de en dans les dialectes où il apparaît puisque la prononciation des rannigs est elle-même optionnelle. Dans cette hypothèse, ce rannig serait insensible à l'élément qui le précède puisque en n'a pas de variante en a.

Cette hypothèse demande cependant de considérer que la voyelle a/e débutant le complexe morphologique du verbe endevout/kaout, dans ces dialectes, n'est pas lui-même un rannig. En effet, dans le cas contraire, deux rannigs consécutifs se suivraient (en am eus, en en deus).


hypothèse d'une tête déclarative déclenchée par un pronom oblique

Si il s'agit d'un complémenteur (Force) plus haut dans la structure, alors les cas où un rannig le suit se comprennent.

Le problème devient alors l'analyse des phrases matrices où la forme apparaît. Dans certains cas, on pourrait postuler une clivée vide puisque en peut apparaître après les copules de clivées comme en (1).


(1) er Germaned é en en des, er ré getan kavet er mod-sé de gastiein en éneberion.

'Ce sont les allemands qui, les premiers, ont trouvé cette façon de punir les ennemis.'
Vannetais, Herrieu (1994:20/05/1917)


L'hypothèse des clivées vides s'adapte bien aux interrogatifs, mais est cependant difficile à maintenir en (2).


(2) Ha kentizh arruet en o lakaer da c'houarn pontoù…
et sitôt arriv.é que les2 mettre.on pour1 garder pont.s
'Et sitôt arrivés on les met à garder des ponts…'
Vannetais, Herrieu (1974:47)


L'exemple cité par Le Gléau est problématique pour cette hypothèse, car en y apparaît après la coordination ha(g).

(3) Mont a reas ganti trema ar gwele hag en he stardas en e zivrec'h.

'Il s'approcha du lit avec elle et la serra dans ses bras.'
Langleiz (1958:190), cité par Le Gléau (1989)

Variation dialectale

Pour un recensement des formes en en dans le vannetais de Loeiz Herrieu, voir Châtelier 2015.

A Belle-Île-en-mer, ce complémenteur peut introduire une petite proposition, et donc apparaître devant un infinitif. Dans cette variété en tout cas, en n'est donc pas plausiblement un rannig puisque ceux-ci n'apparaissent jamais avec un verbe infinitif.


(1) Ar vuoh n'hall ket en he bout leue.
le 1vache ne1 peut pas que 3SGF avoir veau
'La vache ne peut pas avoir de veau.'
Vannetais (Belle-Île-en-mer), Le Besco (2005:76)


Ces formes sont très nettement associées au vannetais. Elles ne sont pas reconnues ailleurs.


(2) … hag e lâr d'ar vestrez a sell doc'hti get truez, en he deus naon he mamm.
et R dit à le 1patron.ne R1 regarde à.elle avec pitié que R.3SGF a faim son2 mère
'...et elle dit à la patronne qui la regarde avec pitié que sa mère a faim.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:64)


La même phrase en Léon avec (* ... en he deus') est agrammaticale, corrigée comme ci-dessous.


(3) Hi a lavare d'ar batronez a zo o sellet outi gant truez en neus naon he mamm.
elle R disait à le 1patron.ne R1 est à4 regarder à.elle avec pitié R.3SG a faim son2 mère
'Elle dit à la patronne qui la regarde avec pitié que sa mère a faim.'
Léonard (Lesneven/Kerlouan), Y. M. (04/2016b)


Diachronie

Selon Pennaod (1964:§109), la forme en se trouve "en place de ez" en moyen breton à toutes les personnes sauf les deux premières. Cela ne doit pas être compris comme une distribution complémentaire de en et de ez, mais plutôt comme "là où autrement, s'il y a quoi que ce soit, on atttendrait ez" (comparez ci-dessous hon eus et en hon eus).


  • Deomp seder da ober cher vat
Rak dre hon eus en hon eus glad, B. 42.


La restriction en personne pointée par Pennaod (1964:§109) serait un trait qui a évolué, car en breton vannetais du XXe, la plupart des formes relevées sont repliées sur la personne 3 mais on relève tout de même la forme en am eus chez Herrieu.


(1) Hag e teu soñj din en am eus gwelet an dra-se c'hoazh e Breizh-Veur.

'Et je me rappelle avoir déjà vu cela en Grande-Bretagne.'
Vannetais, Herrieu (1994:110)


Pennaod (1964:§109) a une page de relevés de en devant un proclitique objet, la plupart devant des verbes lexicaux.


  • Hep ket a var en hoz karañ
Moyen breton (fin du XV°), N. 340.
  • Hag en ti Simon en hi fardonas
Moyen breton (1530), J. 4b.
  • Hep bezañ bref na deçevanç,
A'm chevanç en hoz avançiñ
Moyen breton (1557), B. 42.
  • onest en he quifis
'Je la trouvai honnête'
Moyen breton (1532), PO traduit par Bihan (2016)


(2) Neuze ne rafac'h fors e-bed pe hen a vez eaz pe ziez ho toare.
neuze ne1 feriez cas en-monde ou1 que R est facile ou1 difficile votre3 façon
'Vous ne feriez alors aucun cas de la facilité ou de la difficulté de votre position.'
Vannetais pré-moderne (1862), JKS.:110
cité dans Hemon (1975:§70,a)


À ne pas confondre

Il semble que Herrieu puisse aussi produire des formes du verbe endevout dans laquelle s'insère un proclitique objet. En (2), le sujet ar Mestr, 'le maître' est masculin. La forme du verbe kaout 'avoir' n'est pas la forme en deus mais la forme he, féminine, du pronom objet proclitique. Il n'est pas clair si ces faits peuvent être liés à la présence de en.


(1) Ar Mestr en he deus nac'het…
le Maître R.3SGM la a refus.é
'Le Maître qui l'a refusée … '
Vannetais, Herrieu (1994:76)