De-, di-, dis-

De Arbres
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Le morphème de-, di- ou dis- préfixe les noms, les adjectifs ou les verbes et marque un rapprochement ou, de façon plus vague, un mouvement comme dans kan-ha-diskan 'chant-et-contre.chant'. Ce morphème semble aussi se trouver dans des composés sans notion de mouvement aucune.

Sa sémantique est donc floue, et se définit principalement en contraste avec le morphème privatif ou d'opposition di-, dis-, dont la sémantique est plus aisée à cerner. En (1), on voit que le sens n'est pas en contredisant cela...


(1) O tislavared kement-se, ar plah paour a grene.
à4 pfx.dire autant.ça le femme pauvre a1 tremblait
'En disant cela, la pauvre femme tremblait.'
Trégorrois (Tréguier), Ar Moal (1902:12)


Chalm (2008:w-217) donne: deredek 'accourir', degas 'apporter', degouezhout 'arriver', denesaat 'approcher', dezougen 'rapprocher en transportant'.

Press (2010:452) donne dedennus 'attirant' (de tennañ 'tirer' avec le suffixe adjectival -us).


Morphologie

accentuation

Kervella (1947:§880) note que le préfixe de- ou di- n'est pas accentué. Il reconnaît donc ce préfixe dans les bisyllabiques du KLT accentués sur la seconde syllabe.


allomorphes

Sémantiquement, c'est ce même morphème non-privatif que l'on trouve sous la forme dis-. Le -s final du préfixe, comme son homophone privatif, fait souvent obstacle à la mutation.

T: distreiñ 'revenir' sur treiñ 'tourner'
G: disglac'hariñ 'se lamenter' (Menard & Bihan 2016-) sur glac'har 'chagrin'
M: disvalañ 'ruminer' (Menard & Bihan 2016-) sur malañ 'moudre'
Gw: disgwalc'hiñ 'rincer' sur gwalc'hiñ 'laver'.


variation dialectale

La variation entre allomorphes est aussi dialectale. Le morphème de- est prononcé di- en dehors du vannetais en breton moderne (Kervella 1947:§880, Gros 1984:374), et dans certains mots comme:

(2) diabarzh, diavaez, diaraog, diadreñv, diabell, diamen, diagent, diadraoñv, diwarlerc'h, dindan


Selon le trégorrois Gros (1984:374), l'allomorphe de- marque la langue littéraire dans les mots degas (digas), degemenn (digemenn), degouezoud (digouezoud), deredeg (diredeg), etc…


mutations

Chalm (2008:w-217) signale que de- provoque une lénition sur sa racine. On trouve cependant des exceptions.


(3) Goude e vezont bloñset ha dibloñset tout evel-just.
après R sont tap.é et dé.tap.é tout bien.sur
'Après, ils sont meurtris bien sûr.'
Léonard, Mellouet & Pennec (2004:152).

dérivation

Selon Kervella (1947:§880), le morphème de- est un composé dans les préfixes:

dam- (/de-am-/)
dar- (/de-ar-/)
das- (/de-as-/az-/)


productivité

Fin XXe, la carte 017 du NALBB documente la forme diuhel 'haut' le long de la rivière Ellé. Seule la forme simple uhel 'haut' avait été documentée au début du XXe (carte 593 de l'ALBB). La carte 021 réplique ces résultats pour l'adjectif de sens contraire 'bas' avec dizel, dont seule la forme simple izel était documentée dans la carte 345 de l'ALBB.


Syntaxe

base nominale

Kervella (1947:§880) donne, devant le nom penn, dibenn et devant le nom lost, dilost.


(4) Roll ar c'helaouennoù brezhonek adalek dibenn an eil brezel-bed
liste le 5journal.x breton depuis fin le second guerre-monde
'liste des journaux bretons depuis la fin de la seconde guerre mondiale'
'Raoul, titre d'article', Hor Yezh (1996)


base adjectivale

(5) / ar vi'ɡa:le ma zo n ˌdivɛr 'bye/
Ar vugale-mañ zo eun diverr buhez.
le 1enfant.s.ci est un pfx1.court vie
'Ces enfants sont « tuants ».' (Ils vous abrègent la vie)
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:278)


base verbale

sélection de l'auxiliaire

Les verbes de mouvement prennent normalement l'auxiliaire kaout, 'avoir', cependant, les dérivés de verbes de mouvements par préfixe, comme deredek, dilammat, dinijal sélectionnent l'auxiliaire bezañ, 'être' Kervella (1995:§213).


(6) Adal m' en deus klevet ar c'heloù, ez eo deredet.
depuis que4 3SGM a entend.u le 5nouvelles R+C,4 est pfx.encourru
'Il s'est enfuit dès qu'il a entendu la nouvelle.'
Cornillet (2008:237)


base prépositionnelle

(7) /e-dijaro:k t-ənti /
e-diaraok d'an ti
à-pfx.avant de-le.maison
'devant la maison.'
Vannetais (Groix), Ternes (1970:319)

Sémantique

avec la notion de mouvement

Selon Gros (1984:374), di- marque un "mouvement vers, un rapprochement". Helias (1986:14) donne la paire minimale degas 'apporter' sur kas 'envoyer'. Le morphème de- devant un verbe marque un mouvement de rapprochement. Effectivement, on ne peut pas forcer la lecture d'accompagnement avec le verbe kas 'envoyer' (1).


(1) Degaset meus ma gasketenn ganin.
* Kaset meus ma gasketenn ganin.
envoy.é 1SG.a mon2 casquette avec.moi
'J'ai emmené ma casquette.'
Plogonnec, kontañ kaoz (12/2017)


(2) kas, degas / dougen, dezougen
kemer, degemer / tarzhañ, dedarzhañ
gorren, diorren / berañ, deverañ
tostaat, dedostaat / nesaat, denesaat
ren, deren / tennañ, dedennañ
sevel, desevel / kemenn, degemenn
azezañ, diazezañ / redek, deredek
Standard, Kervella (1947:§880)


Dans d'autres cas, la racine verbale implique un mouvement comme skrabellat 'gratter comme font les poules', mais le préfixe n'apporte pas de modification saisissable de ce mouvement.


(3) Sell doc'h ar yér é tiskrabellat al leurenn.
regarde à le poule.s à4 pfx.gratter le sol
'Regarde les poules qui grattent l'aire.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:57)


Selon Kervella (1947:§880), c'est vers le locuteur que le rapprochement exprimé est orienté. Cependant, dans Dedennet eo gant an destenn 'Elle est attirée par le texte', le rapprochement n'est pas en référence à la position du locuteur, mais à celle du sujet du verbe. Le cas de dedenn, dedennañ est intéressant car la notion de mouvement, orientée vers la dénotation du sujet de la proposition, est en plus abtraite car il s'agit d'un intéressement émotionnel ou intellectuel. Ce verbe est supplanté par les verbes tennañ et sachañ sur la notion de mouvement physique de rapprochement.

sans notion de mouvement

La composante de mouvement dans le préfixe est optionnelle. On le voit nettement quand la racine verbale ne dénote pas de mouvement, comme dans azezañ 'asseoir' > diazezañ 'baser'. Le préfixe de-, di-, dis- n'apporte alors pas seul ce sens de mouvement, ni celui de rapprochement vers le référent du sujet.


(4) bremañ, avat, edo bras-disec'het...
maintenant cependant était grand-pfx.sec.é
'… elle était cependant maintenant complètement desséchée.'
Standard, Kervella (1933:58)


(5) an defotadou beb sizun: sukr, holen, kafe …
le pfx.faut.N.PL chaque semaine sucre sel café
'les produits de nécessité hebdomadaires : sucre, sel, café… '
Léonard (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:13)


(6) Gav ket nen aes boût dikriet.
1trouve pas on facile être dé.cri.é
'On n'aime pas être critiqué.'
Cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:30)


(7) Dibonjour, plac'hik Penn-al-lenn !
pfx.bonjour fille.DIM Penn-al-lenn
'Bonjour, fillette de Penn-al-lenn !'
Chanson Pérennès (1938:248-9)

Diachronie

Kervella (1947:§880) donne une ancienne racine de forme te-. Il la postule dans les noms de saints et de lieux: S.Tegoneg, Tevenneg, Tenenan.

Deshayes (2003:36) propose, lui, que le préfixe de-, prononcé localement / di /, vient du vieux breton do- 'à, vers'. Il correspondrait au gallois dy-.

Horizons comparatifs

Selon Gros (1984:374), di- marque un "mouvement vers, un rapprochement, comme zu- en allemand dans zutun, zubringen, zuführen". Press (1986:224) considère que le préfixe de- correspond au préfixe allemand her-.

En gallo, Auffray (2007:intro) donne le préfixe d(e)- comme intensifieur, comme dans degouter.

À ne pas confondre

Le morphème de-, di-, dis- ne doit pas être confondu avec le morphème di-, dis- qui est sémantiquement plus facile à cerner car privatif. Il peut paraître surprenant qu'un préfixe réalisé comme di- ou dis- puisse avoir deux sens contraires, mais ce n'est pas exceptionnel dans les langues humaines (cf. le français tourner qui donne retourner 'revenir' et retourner 'tourner de nouveau', ou l'anglais flammable = inflammable, incapable = not capable, invaluable = very valuable).

Un autre morphème di-/(deiz-) apparaît devant les jours de la semaine comme dilun, dimeurzh...

Enfin, il existe un morphème div- du duel, comme dans divarr 'houe à deux dents'.