Construction ECM

De Arbres

Les verbes à marquage exceptionnel de cas sont dits verbes ECM, acronyme de l'anglais Exceptional Case Marking. Ils sont exceptionnels en ce qu'ils assignent le cas de l'objet à un sujet.


En (1), le verbe gwelout 'voir' est un verbe ECM car il assigne le cas prototypique de l'objet à anezhañ qui n'est pas l'objet de ce verbe, mais le sujet d'un autre verbe (celui de dont 'venir'). Il se passe la même chose dans la traduction française de (1): le est un pronom qui a reçu le cas typique de l'objet, alors qu'il est le sujet de venir.


(1) / me ve 'kwãntãn ɡɥɛl ˌnɛ ton 'ãmɛ /
Me vefe kontant gweled anezañ o tond amañ.
moi R1 serait content voir [ P.lui à4 venir ici ]
'Je serais content de le voir venir ici.'
Cornouaillais (Plozévet), Goyat (2012:311)


Définition

Il s'agit de verbes qui sélectionnent une petite proposition comme argument interne, et qui assignent un Cas direct au sujet de cette petite proposition.


En anglais, ce sont sont les verbes believe, prove, expect...

Lenora believes [SC him to be innocent].
The prosecutor proved [SC him to be guilty].
Fabienne expects [SC him to sing].


En français, ce sont les verbes comme croire, prouver, entendre… Le pronom accusatif (en gras) apparaît alors proclitique sur le verbe ECM.

Je crois [SC Jules innocent].
Je le crois [SC _i innocent].
Le procureur l'a prouvé [SC _i coupable].
Fabienne li 'a entendue [SC _i chanter].


Les syntagmes nominaux doivent passer le filtre sur le cas. Ils reçoivent normalement un cas soit d'un verbe qui appartient à leur domaine propositionnel, soit d'une préposition assignatrice de cas comme da. Il est exceptionnel qu'un verbe assigne un cas à un syntagme d'une autre proposition. Les verbes ECM assignent effectivement un cas à un syntagme avec lequel ils n'ont aucune relation thématique.

Prenons par exemple la phrase Je crois Jules innocent. Jules n'est pas l'objet du verbe croire. Le locuteur Je ne croit pas Jules, ni ce que dit Jules (Jules pourrait, lui, s'accuser, que cela ne changerait rien). Le locuteur croit que 'Il est vrai que Jules est innocent'. Il n'y a pas de relation thématique entre le locuteur Je et Jules. Il y a une relation thématique entre le locuteur (Je) et la petite proposition qui prédique que Jules est innocent. Pourtant, le verbe ECM croire a assigné un cas direct au nom propre Jules (cf. le test de pronominalisation: Je le crois innocent).


Inventaire des verbes à marquage casuel exceptionnel

On relève en breton des verbes ECM. Ce sont :


(2) Gortoz anezhañ da zont.
attends [ P.lui de1 venir ]
'Attends qu'il vienne.'
Standard, Press (1986:161)


Ces verbes assignent au sujet de la petite proposition qu'ils prennent comme objet un cas qui serait celui qu'ils assigneraient à leur propre objet.

Dans l'exemple en (3), o bugale, reçoit un cas direct de klevout, le verbe ECM de perception qui introduit la petite proposition. On aurait le même cas si l'objet de klevet était réellement o bugale (Laouen int o klevet o bugale 'Ils sont heureux d'entendre leurs enfants').


(3) Laouen int o klevet o bugale o komz e brezhoneg.
heureux sont à4 entendre [ SC leur2 enfant.s à4 parler en breton ]
'Ils sont heureux d'entendre leurs enfants parler breton.'
Standard, A. Cousin, 'Ken eürus e galleg hag e brezhoneg'
Finistère, Revue d'Information du Conseil Général du Finistère p.22.


Dans l'exemple en (4), an traoù-se holl, reçoit un cas direct de gwelet, le verbe ECM de perception qui introduit la petite proposition.


(4) Gwall drist e oa gwelet an traoù-se holl é kouezhel tamm àr-lec'h tamm.
très triste R était voir [ SC le choses. tout à4 tomber morceau après morceau]
'C'était triste de voir tout cela tomber peu à peu en ruines.'
Vannetais, ar Meliner (2009:16)


Dans l'exemple en (5), hon daeroù, reçoit un cas direct de lakaat, le verbe ECM causatif qui introduit la petite proposition.


(5) … atav e tae geti ur ger fentus bennak a lakae hon daeroù da sec'hiñ.
toujours R4 venait avec.elle un mot drôle quelconque R mettait [ SC notre larmes.s à1 sécher ]
'Elle avait toujours quelque mot drôle qui nous faisait sécher nos larmes.'
Vannetais, Meriadeg, introduction ar Meliner (2009:7)


Cependant, la situation en breton est différente de celle de l'anglais ou du français, car le cas assigné canoniquement à l'objet en breton n'est pas toujours clairement un Cas direct. La construction ECM assigne un Cas direct en effet uniquement aux groupes nominaux lexicaux, et pas aux pronoms.


état construit ?

Les verbes ECM en breton n'assignent un Cas direct qu'aux sujets lexicaux, et non aux sujets pronominaux. Cela n'est pas surprenant d'une perspective interne à la langue, car c'est indépendamment ce qui se passe pour toutes les assignations casuelles de l'objet.

Lorsque le sujet de la proposition infinitive est un pronom, on voit apparaître une préposition assignatrice de cas, a. En (6), le sujet 2SG de la petite proposition, ahanout, est constitué d'une préposition fléchie, formée d'une préposition et du pronom incorporé 2SG. La préposition dans laquelle le pronom 2SG est incorporée est la préposition a, préposition sémantiquement vide assignatrice de cas.


(6) A-raog pellaad diouz Penmarh e karfen kleved ahanout o kana Gwerz Penmarh.
avant éloign.er de Penmarc'h R4 aimerais entendre [ SC P.toi à4 chanter complainte Penmarc'h ]
'Avant de quitter Penmarc'h, j'aimerais t'entendre chanter la complainte de Penmarc'h.'
Léonard (Cléder), Seite (1998:93)


Le fait que les constructions ECM distribuent un Cas direct uniquement aux groupes nominaux qui ne sont pas des pronoms est un diagnostic du cas prototypique de l'objet. Cette asymétrie groupe nominal / pronom rappelle le fonctionnement de l'état construit dans le système nominal (ti un den, pe un ti anezhañ 'la maison de quelqu'un, ou une maison à cette personne').

Horizons comparatifs

Un verbe qui est ECM dans une langue n'est pas forcément ECM dans une autre. Cela dépend aussi de si la construction verbale sélectionne une proposititon infinitive où cela pourrait être observé. Le verbe anglais to believe 'croire' est ECM dans I believe him to be sad, mais le verbe breton krediñ 'croire' sélectionne une proposition tensée (Krediñ a ran ez eo-eñ trist), et le verbe français croire une petite proposition (Je le crois triste = /je crois [SC lui triste ] /).

Terminologie

Dans la tradition latine, les constructions à marquage exceptionnel de cas sont appelés accusativus cum infinitivo.

En breton, l'expression construction à marquage exceptionnel de cas correspond à framm a zegas un troad divoutin.