-enn

De Arbres

Le suffixe –enn [εn] est un singulatif. Ce morphème s'attache à un radical nominal ou adjectival.

Sur un nom collectif (cf. fubu 'moucherons') sur un nom massique (gwer 'du verre'), il obtient une entité singulière, d'où ce terme de singulatif puisqu'il crée un singulier.


(1) Kouezhet ez eus ur fubuenn e-barzh er werenn.
tomb.é R+C est un moucherons.SG dans en.le verre.1
'Un moucheron est tombé dans le verre.'
Standard, Chalm (2008:C7144)


Son usage est cependant plus large que celui d'un singulatif. Le suffixe -enn peut aussi sémantiquement opérer d'autres changements sémantiques sur sa base que l'individuation. Il obtient cependant toujours un nom singulier, qui peut ensuite parfois être pluralisé.


Gros (1984:362) donne kafeenn 'un grain de café', hadenn 'graine', perenn 'poire', gwezenn 'arbre', kaolenn 'chou', kraoñenn 'noix', kelienenn 'mouche'.

Trépos (2001:76) donne pellenn 'pelote', mezenn 'un gland' et neudenn 'un fil'.


Sélection de la base et effet sémantique

Les radicaux auxquels le singulatif s'affixe peuvent aussi être eux-mêmes des dérivés; des adjectifs dénominaux et des noms déverbaux.


singulatif sur base nominale

sur nom collectif

Le singulatif, avec un nom collectif, peut obtenir une lecture d'individuation, c'est-à-dire une unité extraite d'un ensemble. Dans ce cas, la dénotation de l'élément obtenu est une sous-partie de la dénotation de sa racine.

Ce singulatif -enn sur nom collectif est répandu dans tous les dialectes du breton (cf. carte 47 de l'ALBB pour buzhugenn 'ver de terre' et carte 291 pour gwenanenn 'abeille'; carte 455 pour merienenn 'fourmi'...).


Lecture du singulatif des noms collectifs

sens collectif racine + SG sens obtenu
(2) a. 'souris' logod logod-enn 'une souris'
b. 'herbe' geot geot-enn 'un brin d'herbe'


Les noms de collectifs humains, comme les noms de famille, rentrent dans cette classe. Un nom de famille suffixé par -enn obtient un individu femme de cet ensemble humain (voir Le Bayon (1878:12).

En (3), le nom composé aval(où?)-douar /pomme(?)-terre/, a probablement été réinterprété comme un nom collectif, ce qui motive le singulatif -enn pour obtenir une seule 'patate'.


(3) Loa(r)iet é un aldouarenn deut glas ga'r loar.
lune est un patate ven.u vert avec le lune
'« Loariet », c'est une pomme-de-terre qui est devenue verte à cause de la lune.'
Cornouaillais de l'intérieur (Laz), Lozac'h (2014:'avalou-douar')


sur nom massique

Sur nom massique, le suffixe peut opérer une individuation:

  • /bwed/, boued 'nourriture' > /'bwe:dɛn/, bouedenn 'partie comestible (par ex. d'un coquillage)'
  • /'du:ar/, douar 'terre', > /du'a:rɛn/, douarenn 'terrier, terrain', Plozevet, Goyat (2012:318)


L'individuation n'est pas la seule opération sémantique que le suffixe -enn peut opérer sur un nom massique. La lecture obtenue peut aussi être, de façon plus lâche, une 'entité partageant les propriétés prototypiques de N'.


(4) Ar verklenn wenn a zo kouet war deliou an dero yaouank.
le 1rouille.SG 1blanc R est tomb.é sur feuillage.s le chênes jeune
'Les feuillages des jeunes chênes ont attrapé l'oïdium.'
Cornouaillais (L'Hôpital-Camfrout), Le Gall (1958)


Lecture du singulatif des noms massiques

sens massique racine + SG sens obtenu [racine + SG] + PL sens obtenu
(5) b. 'cuivre' kouevr kouevr-enn 'un morceau de cuivre'
b. 'eau' dour dour-enn 'un liquide, une sécrétion' dourenn-où 'liquides, sécrétions'
c. 'cuir' ler ler-enn 'une courroie' lerrenn-où 'des courroies'


Un 'morceau de cuivre (identifié)' n'est pas équivalent à 'du cuivre', mais en partage les propriété prototypiques. Un liquide n'est pas une sous-partie de l'eau, mais en partage les propriété prototypiques. A Bannalec en cornouaillais de l'est maritime, dourenn dénote la 'poche des eaux' d'un accouchement (Bouzec & al. 2017:312).


(6) dourek 'qui contient de l'eau' dourennek 'qui contient un liquide déterminé (fruit aqueux)'
eau.Adj. eau.sfx.Adj.
dourus '(terrain, fruit) qui peut produire' dourennus '(temps, etc.) qui peut faire produire de l'eau ou un liquide déterminé'
eau.Adj. eau.sfx.Adj.
Vallée (1980:XXIII)


Cette propriété s'applique aux noms de pays ou de lieux. Une suffixation en -enn obtient un individu femme en provenance de ce lieu (un Alréen 'une fille ou une femme d'Auray', Le Bayon (1878:12).

sur nom comptable

La même lecture est convoquée avec les noms comptables.



Lecture du singulatif sur base de noms comptables

sens racine nom sens obtenu
(7) a. 'barre/levier' sparl sparl-enn 'unité ayant les propriétés prototypiques d'une barre, levier: barette (ou, par extension, femme portant barette)'
b. 'couverture' golo golo-enn 'unité ayant les propriétés prototypiques d'une couverture'
c. 'cœur' kalon kalon-enn 'unité ayant la propriété prototypiques d'un cœur'
d. 'œil' lagad lagad-enn 'unité ayant les propriétés prototypiques d'un œil: œilleton'


Le suffixe -enn obtient une atténuation du sens sur le nom comptable blaz 'goût' avec blazenn 'fumet, arrière-goût' (Trévérec, Ernault 1879-1880:149).

nom d'agent (féminin)

Sur les noms de lieux ou sur un pluralia tantum, on peut obtenir un agent (féminin) caractérisé par l'entité dénotée par la racine.

  • /ar 'ha:p/ ar Hap 'le Cap Sizun' > /'kapɛn/ Kapenn 'femme du Cap Sizun', Plozevet, Goyat (2012:318)


Dans l'exemple chistrouenn, la suffixation obtient précisément une entité qui produit l'entité dénotée par sa racine.

  • /'ʃistru/ chistrou 'manières' > /ʃis'tru:ɛn/ chistrouenn 'femme maniérée', Plozevet, Goyat (2012:318)


singulatif sur base verbale

La lecture obtenue par une suffixation sur base verbale peut être 'objet servant à V'.

  • /ʃyk/ chuk 'action de sucer' > /'ʃykɛn/ chukenn 'tétine', Plozevet, Goyat (2012:318)

… ou 'instance d'une action de V'

  • /'pe:di/ pedi 'prier' > /'pe:dɛn/ pedenn 'prière', Plozevet, Goyat (2012:318)
  • /'pra:da/ prada 'battre (le linge)' > /pra'da:ɛn/ pradaenn 'fessée', Plozevet, Goyat (2012:318)


nominalisé en -adenn

Lorsque le suffixe -enn apparaît sur une racine verbale nominalisée en -ad, l'opération d'individuation modifie l'aspect du verbe nominalisé et obtient 'action de V opérée une fois'.


Lectures du singulatif des noms déverbaux

sens infinitif racine racine + -ad [racine + -ad]+ SG sens obtenu
(1) a. 'appeler' gervel galv- *galv-ad galvad-enn 'un appel, une interpellation de la voix'
b. 'tirer à soi' frapañ frap- *frapad frapad-enn 'saccade'
c. 'marcher' bale bale *bale-ad bale-ad-enn 'promenade'
d. 'balayer' skubañ skub- *skub-ad skubad-enn 'coup de balai'


Un pluriel morphologique peut ensuite être rajouté à ce complexe déverbal.


(2) Lavaret a vefe lipadennou leue !
d.it R serait lèch.N.SG.PL veau
'On dirait des lèchements de veau!' (traînées de peinture inégales)
Trégorrois, Gros (1970b:§'lipadenn')

singulatif sur base adjectivale

Lorsque le singulatif nominalise un adjectif, l'opération obtient sémantiquement 'une unité ayant la propriété d'être Adj'. Ce composé est productif.


Lectures du singulatif sur base adjectivale

sens adjectif racine + -enn sens obtenu
(3) a. 'vert naturel ou bleu' glas glaz-enn 'unité ayant la propriété d'être vert naturel ou bleu : un champ vert'
b. 'stérile' gaonac'h gaonac'h-enn 'unité ayant la propriété d'être stérile: une vache stérile'
c. 'joli' koant koant-enn 'unité ayant la propriété d'être beau/belle, une jolie fille'
d. 'bas' traoñv traoñ-ienn 'unité ayant la propriété d'être en bas, une vallée'


Si l'adjectif est en fait nominalisé lors d'une étape de cette dérivation, c'est probablement en nom massique qu'il est transformé.

base plurielle

Le morphème singulatif peut se trouver après un pluriel productif, comme le pluriel interne.

Lectures du singulatif sur pluriel interne

sens racine pluriel interne pluriel interne + SG sens obtenu
(4) a. 'étourneau' tred tridi tridi-enn 'étourneau'
b. 'corbeau' bran brini brini-enn 'corbeau'
c. 'maquereau' brell brilli brilli-enn 'maquereau'


Trépos (2001:93) signale aussi un cas de composition sur la morphologie du pluriel en -où d'un nom comptable: loer-ou-enn, /chaussette-PL-SG/, 'un bas'.

Productivité

Gros (1984:360) considère le suffixe -enn comme très productif.


optionalité

Dans la chanson Minores Penn-al-lenn recueillie en 1937 près de Lorient d'une locutrice née en 1850, le singulatif est utilisé sur le nom furbu 'moustiques' selon qu'on en a besoin pour la rime. La notion sémantique d'individuation est assurée ici par l'article indéfini (sa prononciation assure que le nom qui suit est singulier).


(1) Me na ran ket fouter gant o inkane gwenn, ken nebeut a ran gant eur furbuen.
moi ne.R1 fais pas cas avec votre3 haquenée blanc tant peu R1 fais avec un moustique.SG
'Je me moque bien de votre haquenée blanche, tout autant que d'un moustique.'
Chanson, Pérennès (1938:250-1)


(2) Me na ran ket fouter gant da vantel ru, ken nebeut a ran gant eur furbu.
moi ne.R1 fais pas cas avec ton1 manteau rouge tant peu R1 fais avec un moustique
'Je me moque bien de ton manteau rouge, tout autant que d'un moustique.'
Chanson, Pérennès (1938:250-1)


stratégies concurrentes

Le singulatif -enn n'est pas ou plus productif en breton dans tous les contextes syntaxiques.


classificateurs lexicaux

Quelques stratégies concurrentes remplacent le singulatif pour des items lexicaux qui ne prennent pas de singulatif en -enn.

L'individuation du collectif dilhad, 'habits', est obtenue par la composition avec un le nom pezh signifiant 'morceau'. L'individuation du duel daoulin, 'genoux', est obtenue par la composition avec le nom signifiant 'tête' (comme en français quand l'unité est la 'tête de pipe').

(3) dilhad > ur pezh dilhad 'une pièce d'habit'

daoulin > penn glin, penn daoulin (litt. 'une tête de genou(x)')


Sur la carte 111 de l'ALBB, on voit que dans l'aire centrale, deñved 'moutons' n'est pas interprété comme un pluriel interne, mais comme un nom collectif. Son singulier est penndeñved ('tête de … ').


(4) penndeñved, deñved

'un mouton, des moutons', aire centrale sur la carte 111 de l'ALBB


enn vs. -ier, -ad

D'autre suffixe que -enn obtiennent une lecture d'individuation.

On trouve une individuation en -ier dans disglavier 'parapluie', comme dans disklavenn 'préau'.


(5) En disklavenn, meur a hini a zo o c'hoari patati.
en.le .pluie.eur plus de1 un R1 est à4 jouer "patati"
'Sous le préau, quelques uns jouent à saute-mouton.'
Léonard, Seite & Stéphan (1957:15)


Seite & Stéphan (1957:32) donnent comme équivalents renkad et renkennad, m. 'rangée'.


suffixe de bretonnisation

Le suffixe -enn reste très productif pour la bretonnisation d'emprunts.

 Vallée (1980:XVI):
 "Dans les technologies scientifiques, -enn a été employé:
 
 -1° pour bretoniser les noms féminins étrangers de personnes: 
 Valkyrienn, 'Walkyrie'; Oreadenn, 'Oréade'; mousmeen, 'mousmée'; 
 dans ce cas -enn disparaît au pluriel et celui-ci est en -ezed:
 Valkyriezed, Oreadezed, mousmeezed
 comme dans le mot populaire femelenn, pl. femelezed.
 
 -2° pour bretoniser des noms d'animaux exotiques
 antilopenn, 'antilope'; jirafenn, 'girafe'; 
 dans ce cas le suffixe -enn disparaît encore au pluriel, mais celui-ci est en -ed: 
 antiloped, jirafed, comme dans le mot populaire karpenn, pl. karped.


Cette stratégie de bretonnisation est même plus large, comme on le voit dans le peu exotique erignenn, arignenn (traduction pour 'araignée' dans certains points vannetais de la carte 382 de l'ALBB), ou avec l'objet señturenn.


(6) En deus tapet gloc'horennoù a-geñver d'e señturenn.
R.3SG a attrap.é ampoule.s de1-côté de1 son1 ceinture.SG
'Il a attrapé des ampoules du côté de la ceinture.'
Breton central (Poullaouen), XIXe, manuscrit P. Roux:121
cité dans Menard (1995:'gloc'hor')


À noter que certains mots échappent à la nécessité ressentie de bretonnisation puisqu'ils sont empruntés sans que -enn soit même licite: on a ar gar, an ti gar 'la gare', mais pas * ar c'harenn.

étymologie

Il existe quelques mots formés comme des dérivations en -enn dont la racine n'est plus usitée dans la langue (tachenn, higenn).


Morphologie

variation dialectale

Pour la variation dialectale de la réalisation de ce suffixe, on peut se reporter à l'ALBB (cf. carte 47 de l'ALBB pour buzhug'enn 'ver de terre' et carte 291 pour gwenanenn 'abeille'; carte 455 pour merienenn 'fourmi'...). Châlons & Loth (1895) relèvent à Quiberon la forme llouogoadian 'souris'.


allomorphe rare en -ienn

Le suffixe -enn a un allomorphe rare en -ienn. En (1), la finale ne correspond ni au pluriel -ien de kelennerien 'enseignants', ni au suffixe des noms collectifs -ien comme dans glasien 'verdure', ni au suffixe -ienn qui forme des noms abstraits sur des bases adjectivales comme dans yenijenn.


(1) gwaz n.f., 'rivière'

> gwazienn n.f., 'veine, banc de poisson', pluriel gwazïed et gwazïou
Trégorrois, Gros (1989:'gwaz')

(2) gwrizienn n.f., 'racine', de même racine que gwriziañ 'prendre racine'

composition

Le composé singulatif, quel que soit son radical, est ensuite disponible pour d'autres opérations morphologiques régulières (affixation du diminutif -ig, du collectivisant -eg, etc. cf. Kervella 1947:§846). Parmi ces opérations, l'affixation d'une morphologie plurielle est possible, quoique peu productive.

On retrouve le suffixe -enn en composition avec -ach, -aj dans les finales en -achenn, et en composition avec -ad dans les finales en -adenn.


genre

Les noms qui portent le suffixe -enn sont tous féminins (Trépos 1968:§129).

Certains mots finissent en -enn mais n'ont rien à voir. Ils peuvent être masculins. Trépos (1968:§129) note que goulenn 'demande' et perhenn 'propriétaire' sont masculins et ne contiennent pas le suffixe -enn. Merser (2011:14) note aussi que pallenn 'tapis, couverture' et plankenn 'planche' sont masculins. On relève aussi planken à Plougerneau au masculin.


(2) Ha neuze e poa ur planken da bignat warno pa vezent uhel.
et alors R 2.avait un planche pour1 monter sur.eux quand1 étaient haut
'Et alors tu avais une planche pour leur monter dessus quand elles étaient hautes.'
Léonard (Plougerneau), Elégoët (1982:42)


Le genre de plankenn peut cependant être sujet à variation dialectale. Herrieu (1994:92) le traite comme un nom féminin. Dans sa grammaire, il s'agit du suffixe -enn.


(3) peder flankenn diblaen.
quatre2 planche non1.plat
'quatre planches grossières.'
Vannetais, Herrieu (1994:92)


On observe une telle variation avec plantenn 'plante'.


(4) [ɐ ˈplɑ᷉ tən nie, nøs lak a ʃas ve klɑ᷉ ]
Ar plantenn-se an hini eo, e neus lakaet ar chas da vez klañv.
le plantes.SG. le celui est R a m.is le chiens à1 être malade
'C'est cette plante qui a rendu les chiens malades.'
Cornouaillais (Briec), Noyer (2019:244)

nombre

pluriel en -ennoù

Kervella (1947:§337) nomme ces composés le « pluriel défini » (liester strizh). La morphologie du pluriel traite le composé singulatif comme un nom singulier régulier.


sens collectif massique racine + -enn + -où sens obtenu
(5) a. 'nuage' koumoul koumoul-enn-où 'nuages'
b. 'herbe' geot geot-enn-où 'brins d'herbes'
c. 'souris' logod logod-enn-où 'souris'
d. 'roseau' korz korz-enn-où 'tiges, tubes'


retranchement de -enn pour la forme plurielle

Quelques noms ont un singulier en -enn sans que la forme plurielle en -où obtienne -ennoù. C'est le cas de lunedenn 'lunette', lunedoù 'lunettes', ou optionnellement de kartenn 'carte', kulotenn 'culotte'.


(6) Ur c'hoari kart (, unan a 52 gartenn,) a oa àr e gulot.
un jeu carte.s un de 52 1carte R était sur son1 culottes
'Son pantalon était tout rapiécé.'
Haut-vannetais, Louis (2015:76)

composés complexes

Les composés obtenus peuvent être extrêmement complexes, avec des doubles pluriels.

Composés complexes

sens collectif massique racine + PL [racine + PL] +SG [[racine + PL] +SG] +PL sens obtenu
(6) a. '(du) poisson, crustacés' pesk pesk-ed pesk-ed-enn pesk-ed-enn-où 'des poissons, des coquillages'
b. 'étoile' ster ster-ed ster-ed-enn ster-ed-enn-où 'gerbe d'étoiles'


En (6)a, on a sémantiquement une base massique multipliée (lecture plusieurs sortes ?), puis individuée ('un individu parmi les plusieurs sortes de poissons'), puis multipliée ('plusieurs individus parmi les plusieurs sortes dont les propriétés sont celles des poissons').

Le passage de 'poisson' au sens strict à 'poisson ou fruits de mer en général' semble de plus induire une étape supplémentaire dans le complexe morphologique : une transformation de 'pesked' en adjectif, qui est ensuite nominalisé par affixation du singulatif.

Syntaxiquement, on a une base au masculin singulier, pluralisée, puis marquée féminin singulier par le singulatif, puis re-pluralisée par le morphème pluriel en –où.

La situation est la même avec le nom collectif en (6)b, à part que le radical est syntaxiquement pluriel, ce qui donne in fine trois marques du pluriel dans le même composé.


Syntaxe du nom singulatif

Après un cardinal, en breton, un nom doit normalement apparaître au singulier.

La carte 385 de l'ALBB (Le Roux 1924-1953) montre une apparition du singulatif -enn restreinte au sud de la Cornouaille dans ce contexte syntaxique.

De manière générale, la variation dialectale n'est pas actuellement prise en compte dans les discussions théoriques concernant ces constructions.


variation dialectale

Régulièrement dans la langue, des pluriels réguliers sont réinterprétés comme des noms collectifs, susceptibles d'avoir un singulier en -enn. C'est le cas de stered 'étoiles' qui fait son singulier en steredenn 'étoile', comme le montre uniformément la carte 569 de l'ALBB pour le KLT.

En vannetais, la situation est plus confuse car l'ancien système est aussi resté vivant: on obtient les données de KLT, mais aussi:

ster / ster-enn (point 41, 61, 63, 7...)
ster-ed / ster-enn (point 62, 65, 66, 84, 68...)
ster-ed-enn-où / ster-ed-enn (point 38)
… et le guérandais ster-en-ier / ster-enn.


Sémantique

lecture d'espèce

En (1), on voit que la lecture d'espèce est disponible sur un singulatif. La référence d'un nom dérivé en -enn n'est donc pas obligatoirement à son unité la plus petite ('une touffe, une fleur, une feuille de trèfle').


(1) Hag aze, a-hed an hañv, e vez ur velchonenn vat.
et ici pendant le été R est un 1trèfle 1bon
'Et là, durant l'été, il y a un petit trèfle abondant.'
Trégorrois, Gros (1966:234)

Diachronie et horizons comparatifs

En vieux breton, le singulatif était d'abord genré avec la forme masculine -in(n) et la forme féminine -en(n)'. Les deux ont été cnfondus lorsque le [i] vieux breton est devenu [e] (Hemon 1975a:§25). Le moyen breton et breton moderne n'ont donc pas cette alternance.

En gallois moderne, comme en vieux breton, le singulatif marque une alternance -yn / -en suivant le genre de la racine Irslinger (2014:95).

Sur la sémantique des dérivés en -yn/-en en gallois, -en(n) en moyen cornique et –enn en breton, voir Irslinger (2011).


Intérêt théorique

singulatif sur base au singulier

Lorsque le morphème -enn s'adjoint à une base qui est déjà au singulier, on obtient un phénomène de doublement des marques du singulier qui est difficile à motiver au niveau sémantique. Cette propriété est partagée avec le nom penn 'tête', qui peut aussi précéder des noms au singulier (penn-deñved, mais aussi penn-dañvad 'un mouton').

dérivation ou flexion ?

La propriété sans doute la plus curieuse du singulatif est qu'il montre à la fois des propriétés de la dérivation et des propriétés de la flexion (Stump 1989:272).

La suffixation d'un singulatif est exocentrique, c'est-à-dire que cette opération change le genre d'un nom massique de masculin en féminin, ou peut transformer un adjectif en nom (koant-enn ; joli-SG = jolie femme). L'exocentricité est une propriété de la dérivation morphologique.

Cependant, le suffixe -enn peut apparaître après la flexion plurielle (stered-enn 'étoiles-SG'). Comme le morphème du pluriel est plus proche du noyau que le morphème singulatif, on pense que le morphème singulatif est ajouté sur la forme plurielle. Comme on sait que la pluralisation est flexionnelle, cela est contradictoire avec ce que l'on sait de l'ordre des opérations en morphologie (dérivation, puis flexion).


horizons comparatifs

Le gallois comme le breton autorise le singulatif -enn sur des noms singuliers, collectifs, massiques ou même des non-nominaux mais seul le breton l'autorise sur des pluriels réguliers de type brin-i-enn 'corneille, corbeau' (N-PL-SING) (Nurmio 2017:67).


Terminologie

Press (1986:248) traduit unanderenn par l'anglais singulative.


À ne pas confondre

finale en -en(n) des noms collectifs

Certains noms collectifs ont une terminaison qui peut sonner comme un singulatif. Les noms c'hwenn 'puces' ou saladen 'salade' sont des noms collectifs.


(1) Deus al loar ' hadoñ ma saladen.
selon le lune R4 sème mon2 salade
'Je sème mes salades selon la lune.
Breton central, Favereau (1984:374)


Les noms collectifs se décèlent lorsque leur genre masculin est mis en évidence.


(2) [ ɐ ˈplɑ᷉ tənsə nie, nøs lak a ʃas ve klɑ᷉ ]
Ar plantenn-se an hini eo, (e) neus lakaet ar chas da vez klañv.
le plantes.SG.ci le celui est R.3SG a m.is le chiens à1 être malade
'C'est cette plante qui a rendu les chiens malades.'
Cornouaillais (Briec), Noyer (2019:244)


finale en -enn des noms masculins

Il existe aussi des noms comme tevenn 'dune' qui sont des noms comptables masculins qui ne contiennent pas de suffixe -enn.


 Kedez (2012:19):
 "Ar pozioù anv-den, -enn o lost, a c'hoarvez tri rummad anezho.
 Benel eo al lodenn vrasañ : 
 koantenn, tekenn, sparlenn, brizhenn, gaonac'henn, louzenn, segalenn, boudoupenn, hudurenn, kinklenn … 
 Gourel un darnig anezho : 
 labaskenn, labenn, galvachenn, istrogenn, oujennkolladenn (= lellig, sl. SAMA 162 Met an eil a blije d'ar c'holladenn kalz muioc'h eget ar c'hentañ …  (I. Krog) enep meno amwir R.H. en e c'heriadurioù) …
 Benel ha gourel war un dro un nebeut anezho, diwar skouer strodenn ("ces mots se disent pour le féminin aussi bien que pour le masculin" (GReg), libourc'henn (PEl.), stlejenn, marvasenn, panezenn, anduilhenn (daou anduilhenn Sant-Kouled), luduenn (Luduennoù a oa tud Ti-ar-Yun. O labour a raent goude ma oant bet er beilhadegoù. Da hanternoz e c'horoent hag e vouetent al loened…  Mai Botorel, Bodmeur), ranezenn (hag adanv ouzhpenn – ls. -eddaou ranezenn n'int kensetu aze teir ranezennur vaouez ranezennur gwaz ranezenn (Sant-Kouled) (hv. Y ar Gow in War-du ar pal 2)… kenveriañ eta div lustrugenn uzik, ha daou lustrugenn pelloc'h."

Bibliographie

breton

  • Costaouec, D. XXXX. "Affixe ou modalité ? Le cas du singulatif et du duel en breton", Actes du Colloque en hommage à B. Vardar, Université d'Istanbul.
  • Jouitteau, Mélanie & Milan Rezac. 2018. 'Tester les noms collectifs en Breton, enquête sur le nombre et la numérosité', Ronan Le Coadic (éd.), Mélanges en l'honneur de Francis Favereau, Morlaix : Skol Vreizh, 331-364. texte.
  • Kersulec, Pierre-Yves. 2015. 'Le marqueur singulatif breton -enn adjoint à un nom singulier dénombrable', Journal of Celtic Linguistics, 41-59.
  • Stump, Gregory T. 1989. 'A note on Breton pluralization and the Elsewhere Condition', Natural Language and Linguistic Theory, 7:261-73.

horizons théoriques


horizons comparatifs

  • Cuzzolin, Pierluigi, 1998. 'Sull'origine del singolativo in Celtico, con particolare riferimento al Medio Gallese', Archivio Glottologico Italiano 83(2), 121–149.
  • Harrison, Godfrey & Susan Jones, 1984. 'The imperceptible marking of Welsh singulatives', Cardiff Working Papers in Welsh Linguistics 3, 89–96.
  • Irslinger, Britta. 2011. 'Les dérivés gallois, cornique en -yn/-en, breton en -enn et irlandais en -ne: fonction et sémantique', Nelly Blanchard, Ronan Calvez, Yves Le Berre, Daniel Le Bris, Jean Le Dû, Mannaig Thomas (dir.), La Bretagne Linguistique 15:43-81.
  • Irslinger, Britta. 2009. 'Singulativ und Kollektiv in den britannischen Sprachen', Uwe Hinrichs, Norbert Reiter et Siegfried Tornow (éds.), Eurolinguistik. Entwicklung und Perspektiven, 233–53. (Eurolinguisitische Arbeiten 5) Wiesbaden: Harrassowitz.